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Les indolents

Je n'écrirai rien ici qui soit original et ne puis confier que l'identique désarroi de maints électeurs à la veille du scrutin. La furieuse envie de glisser un bulletin blanc parce que, décidément, le sortant aura suffisamment démontré au cours de ces cinq dernières années sa chronique glissade à droite quitte à emprunter avec insolence quelques éléments de langage à la gauche. Quant à sa concurrente … Mais en face, le refus de devoir supporter jamais que ma voix manquante pût jamais contribuer à la victoire de l'infâme.

Désarroi et indécence !

Indécence, oui, pour ne pas écrire obscénité, avec laquelle les deux, identiquement et parallèlement, s'en allèrent glaner sur les terres de gauche, se piquèrent de promettre tout et n'importe quoi - que l'un ne voudra évidemment jamais réaliser et que l'autre ne le pourra - mentant et prenant les électeurs pour des imbéciles ; poursuivant la grande leçon d'un Chirac pour qui les promesses n'engageaient que ceux qui voulaient bien y croire ! Je ne reprendrai pas l'invective contre la com' - il fallait entendre les commentaires après le débat, sur la suffisance, condescendance ou mépris d'un Macron qui après tout s'était contenté de pointer les absurdités ou horreurs de son interlocutrice : l'impérialisme de la forme, du sophisme est, après tout, le fonds de commerce de la presse, et la forme élégante et moderne du mensonge - de la démagogie ? - politique. Je reprendrai seulement cette remarque de Hegel : la seule grande leçon qu'on puisse tirer de l'Histoire c'est qu’on ne tire jamais aucune leçon de l'Histoire ! Chacun y aura repris ses petites affaires - business as usual - avec une inconscience qui frise le cynisme. Au bord du gouffre, s'agitent encore en tout sens experts et bonimenteurs, courtisans et parasites.

Affligeant !

Dante : d'entre Enfer et Purgatoire

Je n'aurais sans doute rien écrit sur cet horrible week-end qui, en tout état de cause laissera un goût de cendres, sans l’introït de l'éditorial de Libération : faire appel à Dante ! Fallait le faire !

Qui sont ces indolents auxquels Dante ne consacre d'ailleurs que quelques lignes ni Doré aucune illustration ? Qui sont-ils ceux-là qui demeurent à la porte de tout … et sans doute d'eux-mêmes. Qui ne méritent assurément pas le Purgatoire car même avec le temps il ne s'amélioreront pas. Qui ne méritent non plus d'entrer en Enfer. Ils ne sont coupables de rien de n'avoir rien fait ni choisi. Trop fades, tièdes ; lâches. Ceux qui n'ont jamais pris parti pour rien ni personne ; qui n'ont cédé à aucune passion non plus que raison tout au plus à la paresse de soi ; qui, de n'avoir rien fait, pensé ou seulement entrepris, ne méritèrent ni louange ni infamie ; ceux-ci, les tièdes, dont Apocalypse 3, 16 affirme je te vomirai ; pareillement semblables à ces anges qui ne furent ni fidèles ni rebelles à Dieu en cette grande révolte des anges qui laissa dans la mémoire un écho diffus mais terrible. A ceux qui, honte suprême, n'eurent pas même courage de choisir. Ils courent derrière une bannière virevoltant à grande vitesse comme si elle-même se refusait à eux, cohorte se lamentant, pas même de honte, mais d'inanité, sale nue et sanguinolente tant elle ne cessait d'être piquée par taons et guêpes Ceux-ci, dit Dante, ne furent jamais vivants car c'est n'être pas vivant que de ne pas choisir !

Ils souilleraient les splendeur et pureté des Cieux. En Enfer de même ils seraient pernicieux : les damnés prendraient gloire et supériorité d'avoir au moins été au bout de leurs choix. Ils ne valent rien ; moins même que les âmes les plus noires.

J'aime assez cette idée. Etre homme, c'est choisir et donc renoncer ; si souvent. L'animal, lui, n'a pas à choisir et suit pas à pas le chemin que ses instincts ont tracé pour lui. L'homme, ce ver nu, n'est rien qu'il n'eût préalablement conquis ; est une machine à apprendre et désapprendre ; un de ces rares êtres qui se pose à la fois la question de qui il est et de sa place das le monde. Ne pas se la poser, rester dans un entre-deux indifférencié c'est précisément déroger à la dignité d'homme. Ne pas même avoir vécu. Le néant d'être doit ressembler à cela.

Je crois bien inepte l'expression ne pas choisir entre peste et choléra parce que les deux termes de l'alternative ne se valent décidément pas. Mais ce que Dante aide à comprendre c'est que cette indifférence ici maintenue n'est pas de suprême sagesse mais d'inavouable couardise.

Je sais bien devoir le regretter demain parce que je ne doute pas une seule seconde que le prêchi-prêcha du libéralisme prendra mon vote pour argent comptant parce qu'il ne peut faire autrement que s'accrocher comme corde au pendu à la seule idée qu'il eût jamais

Sans doute la référence à Dante et au vestibule de l'enfer est-elle légèrement sur-jouée. Mais elle dit quelque chose d'essentiel sur l'erreur fatale consistant en tout à ne se préoccuper que de soi ! Ici est la vulgarité suprême.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Éditorial Libération 23 Avril par Dov Alfon
Second tour de la présidentielle: contre l’extrême droite, il nous faut voter pour Emmanuel Macron

 

Dante nous avait déjà prévenus : face à l’éventualité d’une victoire de l’extrême droite et de l’arrivée à l’Elysée d’une présidente xénophobe et révisionniste climatique, il n’est pas possible de s’abstenir.

Emmanuel Macron lors de son meeting à la Défense, le 2 avril. (Bruno Amsellem/Libération)

A peine franchies les portes de l’Enfer, Dante est assailli par les cris et pleurs de ceux arrivés là parce qu’à un moment critique de leur vie, ils ont refusé de prendre position : ce sont «les indolents».

Personne ne veut de ces âmes pusillanimes, même pas Lucifer, et ils sont donc condamnés à errer nus dans le vestibule de la Divine Comédie, piqués par des guêpes et des taons. Certains tentent d’expliquer leur neutralité comme un choix idéologique mûrement réfléchi. Le poète les condamne à courir vainement en rond derrière une bannière qui ne représente rien.

Que représenterait dimanche ce que ce journal appelait déjà en 2002 «la désertion abstentionniste» ou son cousin, le vote blanc ? Une bannière vide. Et pourtant, ce moins que rien pourrait permettre l’instauration en France d’un régime nationaliste et xénophobe, comme ceux qui contribuent déjà malheureusement à affaiblir l’Europe.

On peut déjà entendre, y compris chez des intellectuels se disant de gauche, que Marine Le Pen n’est «évidemment» pas fasciste. Mmmoui. On peut ne voir en elle que l’héritière amoindrie d’une lignée typiquement française, des anti-dreyfusards aux tortionnaires de l’OAS, des collabos aux chantres du «grand remplacement». Alors «évidemment», on pourrait s’amuser à jouer avec ces allumettes. Ce serait se donner le beau rôle tout en poussant dans les flammes ceux qui sont toujours les premières victimes de ce genre d’amusements. Ce serait se sentir pur quand la légitimation de la parole raciste et misogyne déversera ses égouts sur la France, bien avant la nomination du premier Maurice Papon venu. Et il viendra, car ils viennent toujours.

«Supermenteur et Superfacho»

Il y a tout juste vingt ans, face au duel imposé par les électeurs pour le second tour de l’élection présidentielle de 2002, l’éditorialiste de ce journal constatait que ce terrible choix était le triomphe «d’une France affreuse». Nombre de nos lecteurs y auront reconnu la plume de Serge July, qui déplorait alors un face-à-face entre deux entités honteuses, qu’il surnomma «Supermenteur et Superfacho». Sans surprise, il annonça d’emblée sa préférence pour Supermenteur. Si la prise de position de ce journal n’a pas changé, les circonstances sont bien différentes. D’un côté, Superfacho n’est plus une figure caricaturale et minoritaire ; mais de l’autre, de nombreux électeurs de gauche se sentent aujourd’hui plus méprisés par le président sortant qu’ils ne l’étaient par Jacques Chirac. Et ne pouvant accepter ce nouvel appel au barrage, ils songent à rester chez eux, en désaccord avec leur journal.

Avouons-le, beaucoup de choses pourraient pousser à cette forme de protestation ce dimanche, à commencer par les récentes déclarations d’Emmanuel Macron, grand rabatteur d’abstentionnistes pendant cet entre-deux-tours. Le président sortant a convaincu moins de 10 millions d’électeurs au premier tour, mais semble persuadé qu’il sera réélu grâce à son «projet», et non grâce à un vote républicain dont il semble nier jusqu’à l’existence. Mais c’est là justement la raison pour laquelle il faut faire de ce second tour un référendum antifasciste, et seul un vote massif pour Macron y réussira. Les chiffres sont terribles : de 17,8 % pour Jean-Marie Le Pen en 2002, avec 20 % d’abstention, le vote pour l’extrême droite a progressé en France jusqu’à représenter 34 % des votes en 2017 pour sa fille Marine, avec 25 % d’abstention. Si les électeurs renforcent cette tendance effrayante, ils permettront a minima à l’extrême droite d’être en situation de peser sur les prochaines échéances et ce, dès les législatives de juin. Donc sur la tonalité du quinquennat qui s’ouvrira dimanche.

«Abandonnez toute espérance»

Et c’est là le résultat optimiste. Car même si des sondages donnent Macron gagnant avec 10 points d’écart, ces chiffres rassurants peuvent créer une dynamique qui tromperait les sondeurs. C’est un risque qu’il n’est pas possible de prendre. A quoi serviraient de bonnes paroles toute l’année pour les migrants, l’école publique ou la biodiversité si c’est pour déserter ce combat le seul jour où une mobilisation massive peut contrer le scénario catastrophe d’une présidente xénophobe et révisionniste climatique ?

Alors oui, c’est vrai : nombre des mesures du président sortant sont pour nous antisociales et liberticides, et nous les avons combattues sans relâche. Mais cette politique de droite affirmée, même si d’aventure elle devait être exécutée par un Gérald Darmanin ou un Jean-Michel Blanquer, ne peut pas être comparée à l’entrée au palais de l’Elysée de Marine Le Pen. «Abandonnez toute espérance», nous prévient Dante juste avant ce vestibule des lâches et des indolents. Nous le disons donc aujourd’hui plus clairement que jamais : face à l’éventualité d’une victoire de l’extrême droite en France, il n’est pas possible de s’abstenir, il est impossible de voter blanc, il nous faut voter pour Emmanuel Macron.



 

« Ça va être une élection à la Pompidou-Poher avec un second tour Macron-Pécresse » : les devins tout-scrutin de pacotille

CHRONIQUE

Guillemette Faure

 

Au dernier millénaire, la tradition voulait que les quotidiens populaires s’amusent à interroger des voyantes sur l’issue de chaque élection présidentielle : aujourd’hui, la voyance s’est démédiatisée comme le reste et chacun peut suivre la campagne en compagnie de Nostradamus. Quel que soit le résultat au soir du dimanche 24 avril, il y aura autour de vous des gens qui l’auront prévu.

Il est aussi probable qu’en cas de résultat inverse, ces mêmes gens l’aient également vu venir. Ces devins ont fait tellement de pronostics à voix haute que ce serait bien le diable s’il n’y en avait pas un qui corresponde. Avoir parié n’importe quoi permet de faire jeu égal avec l’astrologue Elizabeth Tessier, qui voyait Valérie Pécresse au second tour, avec le président du défunt Mouvement pour la France, Philippe de Villiers, convaincu qu’Emmanuel Macron ne se représenterait pas ou avec l’animateur télé Pascal Praud, qui clamait en off la victoire à venir d’Eric Zemmour (et pourquoi pas après un second tour contre Marine Le Pen).

Il y a aussi les mages, dont les prévisions ont été suffisamment larges pour qu’on puisse y inscrire à peu près n’importe quel résultat (« ce sera une élection à surprise »), ceux qui parlent en langage tellement énigmatique qu’on ne sait jusqu’où vont leurs prédictions (quand Mélenchon prédisait que, dans la dernière semaine de la campagne, il y aurait un grave incident ou un meurtre, la guerre en Urkaine, ça compte ?), ceux qui ont fait appel à la science de la machine (« L’intelligence artificielle, qui avait prédit la victoire de Trump me donne au second tour », se félicitait Eric Zemmour). Dans cette campagne à rebondissements, chaque oracle aura eu raison pendant cinq minutes.

A quoi on les reconnaît

Quand ils ont tort, ils estiment que ce sont les faits qui ne se sont pas déroulés comme prévu (« sans les affaires, Fillon aurait gagné »« sans la guerre en Ukraine, Zemmour aurait été au second tour »). Ils ont reproché à ceux qui sous-estimaient le vote Zemmour de vivre dans une bulle sans se rendre compte qu’ils vivaient eux-mêmes dans une bulle. Le soir du premier tour, ils ont émis immédiatement de nouveaux pronostics pour cacher qu’ils ne comprenaient pas ce qui leur arrivait. Eux savaient bien que Marine Le Pen était en réalité une fine stratège tapie dans l’ombre depuis le début. Quand ils se trompent, ils rappellent qu’ils avaient prédit la victoire de Trump ou le Brexit en espérant qu’à la fin le grand dieu des pronostics fera les comptes et les absoudra.

Comment ils parlent

« Ça va être une élection à la Pompidou-Poher avec un second tour Macron-Pécresse. » « La force de Pécresse, c’est d’avoir toujours été sous-estimée. » « Comme aux municipales à Paris, on aura une remontada d’­Hidalgo. » « Macron va gagner haut la main. » « Elle a déjà gagné. » « J’ai toujours dit qu’il y avait une chance que. » « J’en parlais avant que ça se voie dans les sondages. » « Ressortez ce tweet en temps voulu. » « Là où j’ai fait une petite erreur d’appréciation, c’est… »

Leurs grandes vérités

Ce ne sont pas eux qui se sont trompés, leur pronostic correspondait à l’état de l’opinion à un moment donné. Ce ne sont pas eux qui se sont trompés, ce sont les sondages qui ont fait bouger le vote utile.

Leurs questions existentielles

Quand Jacques Attali prédisait la victoire d’une femme en 2022, pensait-il qu’Internet s’en souviendrait si longtemps ? Mes amis se souviennent-ils de mes prévisions précédentes ?

Leur Graal

Se dire qu’il suffirait de tweeter tous les scénarios possibles pour ensuite ressortir la prédiction gagnante.

La faute de goût

Ces gens qui notent les prévisions des uns et des autres et se permettent de les ressortir alors que les paris sont faits pour être oubliés.

 


Dante, L'enfer, Chant III

Là, dans l’air sans astres, bruissaient des soupirs, des plaintes, de profonds gémissements, tels qu’au commencement j’en pleurai. Des cris divers, d’horribles langages, des paroles de douleur, des accents de colère, des voix hautes et rauques, et avec elles un bruit de mains,  faisaient un fracas qui sans cesse tournoie dans cet air à jamais ténébreux, comme le sable roulé par un tourbillon. Et moi, dont la tête était ceinte d’erreur [1], je dis : — Maître, qu’entends-je ? et quels sont ceux-là qui paraissent plongés si avant dans le deuil ? Et lui à moi : « Cet état misérable est celui des tristes âmes qui vécurent sans infamie ni louange. Elles sont mêlées à la troupe abjecte de ces anges qui ne furent ni rebelles, ni fidèles à Dieu, mais furent pour eux seuls. Le ciel les rejette, pour qu’ils n’altèrent point sa beauté : et ne les reçoit pas le profond enfer, parce que les damnés tireraient d’eux quelque gloire [2].

Et moi : — Maître, quelle angoisse les fait se lamenter si fort ? Il répondit : « Je te le dirai très brièvement ; ceux-ci n’ont point l’espérance de mourir, et leur aveugle vie est si basse [3] qu’ils envient tout autre sort. Le monde ne laisse subsister d’eux aucune mémoire : la Justice et la Miséricorde les dédaignent. Ne discourons point d’eux, mais regarde et passe ! »

Et je regardai, et je vis une bannière qui, en tournant, courait avec une telle vitesse, qu’elle me paraissait condamnée à ne prendre aucun repos. Et derrière elle venait une si longue suite de gens, que je n’aurais pas cru que la mort en eût tant défait. Lorsque je pus en reconnaître quelqu’un, je vis et discernai celui qui par lâcheté fit le grand refus [4]. Aussitôt je compris et fus certain que cette bande était celle des lâches, en dégoût à Dieu et à ses ennemis. Ces malheureux, qui ne furent jamais vivants, étaient nus et cruellement piqués par des taons et des guêpes, qui sur leur visage faisaient ruisseler le sang, lequel, tombant à terre mêlé de larmes, était recueilli par des vers immondes.