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RDC : retour de congés ou rayé des cadres ?

On ne devrait jamais partir … ou au moins ne jamais revenir ! Les rentrées m'ont toujours été difficiles : je me devine supporter assez mal les ruptures de rythme mais le retour en des lieux que j'aurai finalement assez peu fréquenté ces derniers 18 mois aura été d'autant plus troublant que ce sera l'ultime fois. Travailler en Août, de surcroît, m'a toujours été figure de l'interdit majeur : j'aurai vu en tout cas se décaler le calendrier qui de début octobre fixe désormais la rentrée début septembre rognant ainsi de deux semaines les peudo privilèges jugés exorbitants des enseignants en matière de congés.

Le temps était pourri ce lundi mais quelle importance : eût-il fait beau comme il le fera en fin de semaine que j'eusse pesté tout autant. Le plaisir de retrouver étudiants - fût ce avec masques et petites manies ! - petites contrariétés incontournables qui font le charme de ces étranges journées ; collègues amicaux ou aussi ronchons que moi … bref tout ce qui fait le charme de ce train-train qu'on nomme le travail.

La chose doit bien un peu me tirailler : j'en parle un peu trop. Je demeure assuré désormais que tout ce qu'on peut énoncer de juste, de sensé, d'avéré voire d'universel concernant la place occupée dans notre vie par le travail ne sert de rien. Ni ne nous prépare en rien au moment où l'on nous en privera. Nos postures face à lui sont moins contradictoires qu'ambivalentes : autre manière de suggérer qu'il est torture de toute manière. J'ai toujours, si je décide d'être ici franc, été à la fois dépité et impatient à envisager les vacances déjà s'achever. Et je crains bien, d'un même tenant, redouter d'être spolié de ce qui a rythmé mon existence depuis toujours mais aussi aspirer vivement à être délié enfin de trames où je ne me reconnais plus.

Pour autant ce formulaire de demande de radiation des cadres que je dus remplir dit l'essentiel de la cruauté de la chose : comment ne pas songer à cet ultime Jugement où Dieu ne manquerait pas d'effacer votre nom du Livre de la vie ou à ce Grand Livre de la Dette Publique à quoi Balzac affectait tant de se référer. Il dit tout : tu étais, tu n'es plus. Tu étais … mais rien de plus que ton métier.

Et si, cruellement, c'était vrai ?

Cette phase est en réalité une véritable régression qui nous ramène aux prémices adolescentes où nous nous demandions qui en réalité nous étions, voulions devenir et surtout faire. Pendant un demi-siècle, nos métiers et affairements familiaux, les soucis ordinaires autant qu'extraordinaires, les joies intenses autant que les petits plaisirs nous offrirent l'illusion que nous avions choisi le chemin, qu'il avait un sens et surtout, que ce fût le bon.

Las ! si notre environnement contribue à nous forger, ou que, comme je l'appris en ma jeunesse pétrie de sociologie, de marxisme et de psychanalyse, nous n'étions jamais que le fruit de déterminismes sociaux, en vérité nous n'aurons été que divertis par nos sérieux trop sages et tellement (petit-)bourgeois : à l'arrivée, dépossédés de tout, ne nous demeure que ce cri de l'être, de l'âme ou de la conscience - qu'importent les mots - qui n'a pas obtenu de réponse parce que sans doute nous nous entêtâmes de l'étouffer.

Qui es-tu ? qu'as-tu fait de ton talent ?

Jamais je ne fus autant qu'en ces jours frappé de la profonde justesse de ce divertissement repéré par Pascal : oui, tout, tout de nos existences, de nos lâchetés ou de nos paresses, contribue à nous détourner de nous-mêmes sans que pourtant nous fassions rien pour l'en empêcher. Nos vies durant nous demeurons le nez collé à la vitre tels des enfants à la vitrine d'une confiserie ou d'un magasin de jouets à la Noël approchant, le regard fixé sur la paroi de la caverne. Nous n'avons jamais osé nous retourner ; jamais entraperçu la lumière que piteusement éblouis. Il aurait fallu nous retourner : nous ne l'avons jamais fait ou que par cruelle inadvertance.

Par peur du vide ?

Il reste si peu de temps désormais pour le faire.

L'existence piège l'être.