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Miroir et masque
C’est, on le sait, le titre d’une nouvelle de Borgès, superbe d’intelligence et de concision ; d’émotion. Illustrant jusqu’à l’angoisse les périls et inévitables blasphèmes que l'art fait encourir sitôt qu’on se pique de marcher sur les platebandes de la création. Mais c’est à ces deux termes que je songeais pour caractériser les (presque) deux années qui viennent de s’écouler durant lesquelles ils prirent toute la place au point de nous étouffer et perdre.
Entre cette propension souvent fate de se saisir soi-même en pléonasme intempestif du trou noir engouffrant tout ce qui s’oserait maintenir à la périphérie, la cuistrerie de l’écran noir et ce fichu bout de papier faussement bleuâtre vous mangeant tout sourire, fichtre ! Tout aura contribué à nous isoler. J’entends bien que les jeunes furent les premiers à en souffrir même si le malaise atteignit à la fin l’ensemble de la population – signe en fut la réticence des salariés à regagner bureaux, open space etc.
D’où l’étonnante fortune de l’interaction sociale dont le manque serait source de tous nos troubles et mériterait thérapies précautionneuses …
J’aime la cuistrerie envahissant jusqu’à l’intimité de nos âmes.
J’avais appris avec Hegel autant qu’avec Feuerbach qu’il n’est d’humanité se construisant que face à l’autre et combien ce Je ne pouvait conserver de sens s’il demeurait seul. Et l’ai perçu avec d’autant plus d’acuité que la solitude, tout indispensable qu’elle me fût pour laisser sa chance à l’éclosion de la pensée, savait insidieusement m’être corrosive.
J’avais cru jusqu’ici que je dialoguais avec l’autre et compris, avec Rousseau, que ce dialogue, qui n’était ni échange ni retour, constituait au contraire l'ingrédient prometteur où se pétrissaient nos âmes et s’ourdissait la rencontre.
Bien loin de ce sabir d’électricien ou de troglodyte de laboratoire, j’avais appris, avec Lévinas, le visage.
Le visage : loin du cliché d’un jargon élitiste et sciemment hermétique, parfois la philosophie sait se faire poète.