index précédent suivant

 

 

L'art de l'amphigouri

Déniché un peu par hasard, sur le site de ma propre université cette vidéo d'une enseignante, je suppose, travaillant sur l'intersectionnalité et s'attachant à expliquer de quoi il s'agit.

Ceci fait un moment que j'essaie de comprendre de quoi il s'agissait d'autant que Blanquer, le Torquemada cauteleux, le Robin des bois des dogmes républicains, le Robespierre de la libéralité sirupeuse a choisi d'enfourcher la cause de M'me Anastasie et de pourfendre ces infâmes chercheurs qui d'études de genre à celles du postcolonialisme en passant par l'intersectionnalité seraient à l'origine de cet islamo-gauchisme qui provoque des poussées d'urticaire chez les bien-pensants du moment et les parangons de vertu républicaine. Et de les traquer jusque ans leurs arrières-boutiques : l'UNEF, notamment pour des réunions organisées où des blancs n'étaient pas conviés.

Ne revenons pas sur la dérive autoritaire que suppose cette vocation de censeur ; je m'interroge sur la chose elle-même.

Et espérais véritablement que la dame en question m'éclairât ! Car enfin qu'est ce concept qui ne dit rien, n'évoque rien, ne donne aucune indication même vague sur l'objet qu'il est pourtant supposer expliquer, théoriser.

Je n'ai pas été déçu : soyons honnête.

D'abord, déclare-t-elle, intersectionnalité, imbrication des rapports sociaux, de sexe, de race et de classe, co-formation des rapports sociaux, consubstantialité des rapports sociaux seraient des expressions différentes pour désigner la même chose. Soit. J'ai appris, mais désolé je ne suis pas sociologue, seulement philosophe, que le premier travail d'un théoricien est de construire prudemment son objet en s'assurant d'abord qu'il lui soit spécifique, en se donnant ensuite un concept précis, des méthodes d'investigation spécifiques enfin. De cela ici, rien mais plutôt un soin trop systématique de cacher la nature de son objet pour ne pas être volontaire. On ne parle que de rapports sociaux quand il s'agit de systèmes d'oppression, de ségrégation imbriqués.

Reconnaissons quand même que, présentée ainsi, la chose est plus aisément compréhensible. C'est ici chose connue, qui fit même débat aux tout débuts de la lutte féministe en France où certains, à gauche, s'inquiétaient que l'injustice faite aux femmes cachât la forêt de la lutte des classes qui était quand même - et devait le rester - au centre. A gauche on redouta un moment que les luttes sociales fy-ussent solubles dans le féminisme : c'était une erreur, évidemment ; mais eut le mérite au moins de poser la question de l'intrication des luttes.

Où est la nouveauté ? Que les rapports sociaux intègrent plusieurs dimensions, que ces dernières ne soient pas simplement des déterminismes qui viendraient s'ajouter les uns aux autres, s'aggraver ou se tempérer ; et, donc, que les violences, ségrégations, luttes ne s'additionnent pas comme on le ferait de petits pois, mais que la relation entre ces oppressions ne soit pas arithmétique mais géométrique, quoi ? , mais cela fait depuis Leibniz et l'invention du calcul intégral, qu'on sait le concevoir, l'appréhender et ceci même hors des mathématiques.

Au nom d'un américanisme idolâtre, d'un pragmatisme douteux ne s'offrirait-on pas trois siècles et demi de retard théorique ? Sans compter la confusion entre recherche et luttes sociales.

 

 

J'ai sans doute plus de mal à repérer ce qu'elle entend par ces systèmes d'oppression : qu'à la lutte des classes il faille intégrer l'inégalité imposée aux femmes je l'admets bien volontiers. Que l'on y rajoute le racisme, même si j’entends bien rappeler la spécificité de la situation américaine où la ségrégation raciale eut longtemps caractère officiel et légal et que la prise en compte des origines raciales demeure encore une réalité concrète : je ne suis pourtant pas certain qu'on puisse l'aborder de la même manière en France où, même s'il ne s'agit pas de nier que des comportements racistes existent, la ségrégation raciale n'a jamais eu de caractère institutionnel. Pas depuis 1789 ; depuis l'émancipation des juifs ; l'abolition de l'esclavage 1848

Je veux bien qu'on cède avec paresseuse facilité aux modèles US - je me souviens d'une époque où c'était plutôt la french philosophy qui faisait florès aux USA, o tempora, o mores - mais en la matière les contresens ne peuvent que pleuvoir avec ce type d'extrapolations et d'amalgames hâtifs.

J'ai, je le concède, plus encore de mal avec l'hétérosexualité présentée ici comme un système d'oppression. Je vois bien ce que l'on cherche à énoncer, même s'il serait malhonnête de ne pas reconnaître que l'acceptation de l'homosexualité est bien plus ample aujourd'hui qu'elle ne le fut dans les années 60.

En réalité, le plus grave ici est qu'on est en train de détricoter tout ce que depuis 70 ans on aura produit d'avancées ; tout ce que S de Beauvoir avait pu, dans le cadre même de l'existentialisme, poser d'incontournable. Regardons les termes utilisées : consubstantialité trahit ici l'inavoué.

L'inavouable.

On est noir ; femme ; ouvrière ; homosexuelle : comme si c'était là fait de nature. Nous avions appris avec Sartre que nous n'étions juif que dans le regard de l'antisémite ; avec Beauvoir que nos identités étaient des constructions élaborées dans un contexte social certes, en face de déterminismes et souvent de fortes contraintes, mais des constructions où notre liberté se jouait précisément dans notre capacité à donner un sens à notre parcours.

Ce retour à un essentialisme délétère, insidieux et périmé n'est rien d'autre qu'une trahison. Une fabuleuse sottise.

J'aimerais bien qu'on m'explique ce qu'est une femme non racisée, par exemple. Ce que l’hétérosexualité aurait d'ontologiquement oppressif.

Autant j'avais en son temps trouvé absurde l'offensive autrefois de ceux qui voulurent faire retirer le mot race de la déclaration des droits de l'homme sous prétexte que la chose n'avait aucun sens scientifique ; autant réinstaller la race dans les théories autant que dans les stratégies et luttes me parait de la dernière inconséquence. En France, notamment.

Mais explique que l'on en soit arrivé à exclure telle ou telle catégorie lors de réunions. Ces gens-là, si l'on n'y prenait garde, vous réinventerait les communautés - par américanisme bêlant - ghettos et autre gynécées.

Tout est ici jeté en un embrouillamini idéologique effrayant ; dans une négligence amphigourique détestable.

Qu'on ne s'y trompe pas : je ne consent ni aux offensives névrotiques des Onfray, Zemmour mais désormais Blanquer et autre apprentis-censeurs avides de couper les vivres à tous ces chercheurs qui n'ont pas l'heur de leur complaire. Je demeure convaincu que la recherche doit demeurer libre : le temps a toujours su faire le tri - étymologiquement la critique - de ce qui relevait de la recherche rigoureuse, de l'empressement, ou du parti-pris.

Mais la confusion est ici telle que, décidément, les verges sont désormais complaisamment tendues pour se faire efficacement battre. L'heure est à une sorte de fascisme mou, à l'accent bureaucratique mais sirupeux, parfois à celui du prédicateur empressé de faire votre bien.

Les intentions ne sont pas bonnes mais l'enfer est à notre porte nonobstant.

 


 

Jean-Michel Blanquer réfléchit à des mesures pour rendre illégales les « réunions non mixtes racisées » de l’UNEF

Le ministre de l’éducation nationale a dénoncé, vendredi, « des choses qui ressemblent au fascisme » et fait part de sa volonté de les rendre illégales.

Le Monde 19 mars 2021 à 11h20 -

Le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, a vivement dénoncé, vendredi 19 mars sur BFM-TV - RMC, la tenue de « réunions non mixtes racisées » au sein du syndicat étudiant l’Union nationale des étudiants de France (UNEF).

« C’est profondément scandaleux », a dénoncé le ministre, évoquant d’éventuelles « évolutions législatives » pour les rendre illégales. « La République française repose sur des principes que nous considérons comme intangibles (…). On ne distingue pas les gens en fonction de la couleur de leur peau », a-t-il martelé.

La présidente du syndicat étudiant, Mélanie Luce, avait évoqué lors d’un passage sur Europe 1, mercredi, l’organisation de telles réunions pour « permettre aux personnes touchées par le racisme de pouvoir exprimer ce qu’elles subissent ». Elle avait alors précisé qu’aucune décision n’était prise dans ce cadre.

Fragmenter la société

« Les gens qui se prétendent progressistes et qui (…) distinguent les gens en fonction de leur peau nous mènent vers des choses qui ressemblent au fascisme, c’est extrêmement grave », a fustigé Jean-Michel Blanquer. « Soit ils le font de bonne foi en pensant bien faire alors qu’ils font des choses folles, soit ils ont des projets politiques qui sont gravissimes, qui fragmentent la société, qui divisent les gens entre eux. »

Qualifiant ces faits de « condamnables », il considère que cela mérite d’être « porté en justice ». Il aexpliqué vouloir faire en sorte qu’il « soit illégal de faire des réunions, en réalité racistes, tout simplement en utilisant le mot “racialisé” pour couvrir l’idée de racisme ».

« Cette pente-là est gravissime », a insisté le ministre. « Elle s’insinue dans la jeunesse avec les apparences de la générosité, de la lutte contre les discriminations. En réalité, ça monte les gens les uns contre les autres, c’est très grave. »