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Jeux de maux

M'agace souvent cette toquade de plusieurs corps de métiers de nommer les choses non pas tant par des termes techniques qui leur seraient propres - voici chose courante et souvent nécessaire - mais de se choisir des concepts faussement sophistiqués voire absurdes pour être si vagues qu'ils n'appellent en rien l'idée qu'ils sont pourtant supposés désigner. Voire sont de simples copiés-collés d'anglicismes supposés vous faire paraître modernes ou progressistes.

M'amuse qu'on ne parle plus de problèmes mais de problématiques ; de thèmes mais de thématiques ; d'effets mais d'impacts : après tout ce ne sont que maniérismes. Souvent ridicules mais terriblement contagieux.

M'intrigue quand, telle l’attrition désignant pourtant simplement l'usure par frottement finit par désigner la perte de clientèle voire le regret d'avoir offensé Dieu, mais une contrition imparfaite uniquement par crainte des châtiments. Ainsi adulé dans les milieux bancaires le terme revêt une saveur singulière.

M'ennuie plus quand s'y niche quelque prosélytisme idéologique plus ou moins consciemment orchestré comme cet usage immodéré de la communauté que l'on retrouve pour désigner tout et n'importe quoi, le personnel d'une structure, mais aussi la clientèle d'une application de revente en ligne de vêtements etc.

M'inquiète ce galvaudage quand il revêt une dimension politique : passe encore que l'on eût accepté comme l'énonça en son temps Chirac que les promesses électorales n'engageaient que ceux qui voulaient bien y croire - ah cette fracture sociale à combattre aura été un bien cynique galvaudage ; passe moins bien que de manière systématique désormais les campagnes électorales chevauchent des mots d'ordre qui ne sont même plus des slogans publicitaires mais de simples litanies creuses - ah cette glorification du travail aussi grand-guignolesque que sournoise en 2007 ou cette redécouverte de la frontière en 2012 par Sarkozy ; ce changement qui n'est jamais venu ou cette révolution et de droite et de gauche ; minent la démocratie quand l'exercice du pouvoir se saisit de ces éléments de langages qui ne sont, au gré et selon les circonstances, que des reflets de la confusion ou les signes du mensonge.

J'ai évoqué déjà cette intersectionnalité qui ne dit pas ce qu'elle pense - ou ne pense pas ce qu'elle dit - je peux désormais ajouter ce confinement qui n'en est pas un ; ces restrictions qui n'en sont pas véritablement. Ce foutage de gueule qui en est véritablement un.

Après s'être obstiné à nous dire le contraire, désormais cette idée que le plus dangereux serait de rester dedans. Que la relation à la famille serait sans doute toxique.

Bref confinons-nous … mais dehors.

Ah que j'aimerais qu'un pouvoir avoue un jour, honnêtement, qu'il est désemparé ; qu'il ne sait pas comment faire ; qu'il est dépassé par la situation. Ce ne serait peut-être pas très rassurant mais honnête au moins ; et guère plus inquiétant que cette langue de bois technolâtre qu'on nous sert avec cette componction cynique qui finit par énerver.

Il suffit de se promener par quelque beau soleil printanier pour comprendre que fut bien entendue l'injonction à sortir et vite jetée aux orties la précaution des gestes dits barrière. Il suffit de se souvenir de l'aimable capharnaüm des attestations pour comprendre que ce pouvoir n'a plus rien à nous dire et d'ailleurs ne sait même plus nous le dire.

Je n'ignore pas que les langues sont vivantes et que les mots souvent affectionnent dans leur histoire contradictions, paradoxes, oxymore. Je ne voudrais pas paraître plus conservateur qu'en réalité je ne suis mais, de ceci je suis certain : à vider ainsi les mots de leur sens, à mentir ainsi ouvertement ou insidieusement par omission, ce n'est pas seulement parjure que l'on commet mais injure à la République et mépris insupportable.

J'ai rarement vu intellectuel avouer qu'il ne sait pas. Des philosophes parfois, mais si rarement. Socrate au moins dans notre imaginaire. Pourquoi voudrions-nous que les politiques en fussent capables ? Après tout leur grand-œuvre ce sont les mots, les discours : ils sont la preuve de l'inversion et pour cela les antonymes des philosophes. Pour ces derniers, c'est la connaissance qui rend possible l'action, la technique ; le pouvoir. En réalité c'est l'inverse : le pouvoir crée le savoir ; le suppose, le suscite ; l'impose.

Mais nous sommes bien au bout d'un cycle. Il a nom l'impuissance. Quoiqu'ils fassent, chose remarquable rien ne s'ensuit.