index précédent suivant

 

 

Rencontre

Pourquoi ceci a-t-il retenu mon attention ? Pour ces minois émouvants ? mais toute scène enfantine est nécessairement charmante. Pour ces regards échangés entre l'enfant et la bête ? Je ne me lasse pas d'observer ce lien étrange entre l'enfant et la bête comme si ces deux-là avaient une fraternité à se dire qu'ils ne parviendront bientôt plus à partager.

Lui, un brin joueur, empressé d'expérimenter et de tester, approche son gâteau et sent bien que le volatile n'a d'yeux que pour cela. Bientôt il en jettera des miettes au sol et c'est toute une théorie de pigeons qui s'abattront autour de lui prêts à en découdre d'autant que quelques intrus, plus agiles, s'empressent de leur subtiliser et saisir les miettes au vol.

Prêts à surgir de n'importe où, scrutant avec patiente et besogneuse application toute fratrie s'adonnant sous les principes parentaux aussi mystérieux qu'addictifs à quelque sortie dominicale qui, autour du manège, donnera lieu à l'inévitable mais prometteuse pause goûter. Ils sont là, même en ayant l'air de n'y être pas. Peu leur importe l'agitation, la tour ou les vendeurs à la sauvette. Là où il y a enfants, il y a goûter, biscuits, miettes … Les vieilles dames quant à elles, nourrissent plutôt l'étrange adulation du pain sec qu'elles éparpillent devant elles autour du banc où elles s'assirent, pour ce demi-cercle bientôt dessiné de courtisans affamés, en un geste qu'elles croient charitable qui est seulement l'ultime lutte contre la solitude.

Etrange rapport que celui des hommes et des bêtes.

Il s'en fallut de peu que je ne me fisse écjarper par une femme percluse de vieillesse, de suffisance et de solitude, qui s'agaça de m'entendre dire qu'en cette posture ce cygne semblait particulièrement ridicule et niais. Et l'égérie cycnoïde de me corriger en affirmant que c'était une femelle et de me vouer aux gémonies pour la dignitée froissée du palmipède.

J'avoue préférer la curiosité de l'enfant au zoomorphisme pleutre de l'acariâtre septuagénaire. Mais, après tout, on combat le silence comme on peut.

Peut-être la prédilection des bestioles pour l'enfant tient elle seulement à ces gâteaux bien plus gouteux que le pain.

J'aime bien les pigeons ! Sans doute sont-ils l'essence même du parasite puisqu'ils se contentent de survivre de nos (si nombreux) déchets et rogatons. Mais ils sont aussi les derniers survivants entêtés de cette nature sur quoi la ville a empiété sans vergogne. Pas vraiment sauvages - ne sont-il pas les héritiers de ces colombes médiévales servant de messagers aux nobles, moines et militaires en campagne? - mais plus vraiment domestiques, ils occupent, parfois avec ingéniosité, l'espace qu'on leur laisse. Ils représentent l'autre versant de ce monde dont nous dépendons, qui nous intrigue mais dont nous avons négligé la présence. Il nous faudra pourtant bien un jour en retrouver le chemin. L'enfant semble spontanément vouloir le retrouver : est-ce si étonnant ?