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A deux jours de distance … au même endroit ou presque

 

Carrefour entre Boulevard et quai de Grenelle, station Bir-Hakeim. D'abord, côté Seine, sur cette esplanade au bout de quoi est dressé le monument à la mémoire des victimes de la rafle du Vel d'hiv, esplanade où furent prononcés de nombreux discours, notamment celui où Chirac reconnut la faute alors commise, assis sur le rebord et tournant le dos aux fleurs fraîchement plantées et qui commencent pourtant à redonner à l'endroit quelque air de vie et couleurs printanières, un homme, dis-je, penché sur son journal. Il lit ; seul. Presque au calme.

Quoi de plus anodin ?

De l'autre côté, à l'angle du quai et du boulevard, assis de biais tant le rebord est étroit et n'offrant ainsi qu'une posture inconfortable, cet autre homme plongé dans un volume de la collection Série Noire - reconnaissable entre toute. Le volume était ancien ou avait été acheté d'occasion. On aurait pu l'imaginer chassé de chez lui par une femme de ménage acariâtre ou des voisins turbulents mais non ! il se serait sans doute choisi assise plus confortable. L'homme ne levait pas le nez, semblait n'attendre personne ; n'était en tout cas perturbé en rien par le bruit de la circulation et des travaux en cours au carrefour. Comme s'il avait choisi ce lieu, à l'air ni pur ni libre, ni surtout calme pour l'activité la plus intime et silencieuse qui soit.

L'espace public toujours se réapproprie ; se réinvente.

Terrasses et bistrots fermés depuis de si longs mois, nous auront privés de ces lieux dont nous avions l'habitude de faire les annexes ou bien plutôt les excroissances de nos chez-nous. Signe, s'il en peut être, que nous ne nous contentons pas de traverser l'espace mais n'avons de cesse de nous l'approprier, de le réinventer. Nous le faisons au moins autant qu'il nous constitue.

Second signe, s'il le fallait vraiment, que tous les contempteurs de la communication à l'ancienne, tous les sycophantes du monde d'avant, tous ces sinistres adulateurs des réseaux sociaux, tous ces thuriféraires de la communauté en ligne, tous ces caudataires de l'échange qui avilissent l'humanité du dialogue en veule argumentaire de vente, tous ces obséquieux panégyristes de la technologie feraient mieux de tourner sept fois la langue dans leurs bouches avant … de se taire.

Qu'ils se taisent enfin ! Je n'ai pas de meilleur souhait pour ce fichu monde d'après qu'on tente de nous solder.

Quiconque instrumentalise ce qui fait notre humanité - dialogue, savoir, culture, arts - ou pire encore en fait une marchandise, ne vaut pas mieux que ce mépris suffisant dont il ourdit notre dignité.

Le crime contre l'humanité commence exactement à l'instant de cette instrumentalisation.

Ces deux-là, à leur manière, résistent.