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Bistrots

Les 2 Magots, Paris 1944 - Doisneau

Simone de Beauvoir, attablée, seule en train d'écrire - elle n'enseigne déjà plus, révoquée par deux fois par le régime de Vichy, non pour des raisons politiques mais pour les relations qu'elle entretint avec ses élèves. Réintégrée à la Libération elle n'enseignera plus cependant.

Cette femme a laissé des traces durables dans l'histoire : pour la cause des femmes - son Deuxième sexe fut décisif - moins en littérature - Les Mandarins quoiqu'ayant reçu le Goncourt a beaucoup vieilli. Dans la légende de ce Tout-Paris germanopratin de l'après-guerre où avec Sartre elle sembla bien donner le la de ce qu'il fallait penser, lire, dire …

Epoque fabuleuse sans doute où avant la question du structuralisme la seule qui importait était de savoir si l'on était ou non existentialiste !

La photo vaut, me semble-t-il, moins pour le personnage ici croqué que pour cette solitude immense qui semble isoler cette femme attablée, la plume à la main, paraissant d'autant plus petite qu'écrasée par la hauteur de plafond et l'absence de tout voisinage.

Autre usage des bistrots - celui de l'Occupation : seuls lieux plus ou moins chauffés ils finirent par devenir espaces où il était possible de travailler.

Ce qui contribue à l'étrangeté de cette photo : on se tenait chaud à l'époque et Sartre et ses proches se déplaçaient toujours en bande … pour ne pas dire en tribu.

Couple insolite au reste que celui qu'elle forma avec Sartre, on le sait … Inutile d'y revenir.

On ne peut toutefois dire que S de Beauvoir inspirât la sympathie non plus qu'elle suscitât marques chaleureuses d'amitié encore moins d'affection. Dans l'ITV que Gisèle Halimi accorda au Monde quelques mois avant sa mort elle confie en effet, après avoir écrit à propos de S de Beauvoir dans Le Lait de l’oranger (1988) : « J’attendais une sœur de combat, je découvrais une entomologiste »,

Son manque de chaleur me troublait. On ne lui sautait pas au cou ! Et elle se barricadait devant la moindre émotion. Sans élan et sans affection pour les personnages de mes grandes affaires, qu’elle considérait essentiellement comme des « cas » utiles pour mener un combat.

Sans doute y eut-il en cette être quelque chose d'une humanité froissée, blessée : on ne se récuse pas ainsi impunément devant l'émotion.

C'est en tout cas ceci qui transpire de cette photo et que Doisneau a cerné : une femme, droite comme la justice - j'ai failli écrire raide - seule contre tous, prompte au combat, obsédée de distinguer toujours le nécessaire qui faisait l'objet de sa pensée, de ses luttes, du contingent qui englobait tout ce qui de personnel concernait amours, amitiés, émotions …

Ce chemisier blanc, quand tout alentour est soit noir soit gris, raconte l'histoire, certes d'une indéniable distinction, mais d'une étonnante solitude froide.

Un personnage admirable, sans doute ! Aimable ? pas si sûr !