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Huster sur S Zweig II


Je crois à la mission de l'écrivain

Nous n'avons point cherché la gloire qui vient des hommes, ni de vous ni des autres ; nous aurions pu nous produire avec autorité comme apôtres de Christ, mais nous avons été pleins de douceur au milieu de vous. De même qu'une nourrice prend un tendre soin de ses enfants,
I Tess, 2, 7

De Zweig, encore et toujours parce que je crois ne pas en avoir fini avec lui.

Huster y fait allusion : Bernanos et Zweig s'étaient vus peu avant le suicide de ce dernier.

Un témoin de cette rencontre Geraldo França de Lima, qui l'avait organisée, racontera plus tard :

« J’avoue que je n’avais jamais vu avant de réception si tendre, un accueil aussi ému et fraternel. Zweig était défiguré, triste, abattu, sans espoir, plein de pensées funestes. Bernanos l’encourageait lui parlait doucement […]». Ce fut une rencontre mélancolique, ajouta-t-il, soulignant combien Bernanos fut prévenant à l'extrême à l'égard de Zweig dont le visage n'avait plus de couleurs. La détresse de Zweig devait être criante pour que Bernanos confie à França de Lima : « il est en train de mourir »

Quelques jours plus tard Bernanos fit paraître un article sous le titre d'Apologie du suicide qui est un véritable hommage à l'auteur mais une interrogation cruelle sur son suicide ; sur cette mission devant quoi Zweig se serait dérobé.

Bernanos ne fait pas partie de ces voix qui me sont familières : il vient d'une droite non seulement catholique mais monarchiste et tant par son adhésion à l'Action Française - qu'il quittera plus tard - que par son apologie de la guerre d'Espagne - sur quoi il reviendra plus tard - appartint à ce qu'aujourd'hui on nommerait extrême-droite, à ce que spontanément j'abhorre. Mais il n'est pas le seul et comme d'autres eut un parcours qui vit ses yeux se dessiller après 1940. Il ne tomba pas dans le piège de Pétain et j'avoue, dans l'affaire, ne pas trop savoir, quoi, de sa foi chrétienne ou de son attachement à la France, le fit ainsi verser vers de Gaulle qui, à la Libération, lui écrivit rentrez votre place est parmi nous. Mais enfin il le fit et son honneur s'y préserva. C'est enfin un chrétien de haut vol dont la foi habite l'œuvre entière. A ce titre, il appartient, avec Mauriac et Claudel, à un passé révolu - qui se proclame écrivain catholique aujourd'hui ? - qui reviendra sans doute demain ; qui m'intéresse en tout cas.

Ils sont nombreux ces français, exilés en Amérique latine : Huster évoque Jouvet parti avec toute sa troupe ; mais on peut citer aussi R Caillois installé en Argentine, Supervielle, Breton, J Romains. Ils furent moins nombreux que ceux qui partirent pour les USA mais souvent leur rôle y fut décisif à côté des gaullistes de la France Libre, St John Perse mis à part ou St Exupéry anti-gaullistes chevronnés … et évidemment Breton !

J'aime pourtant ces parcours fracassés et, je l'avoue, autant pour Mauriac que pour Bernanos, qu'ils eussent le courage et fussent capables, par honnêteté autant que par lucidité, de sortir des ornières usuelles, de leurs conforts idéologiques quitte à combattre contre leur camp. L’Église, depuis l'Affaire Dreyfus, aura systématiquement misé sur le mauvais cheval et son ralliement tonitruant à Pétain en fut le point d'orgue.

Bernanos ne peut se contenter des rituelles louages post-mortem tout en rappelant au passage la profonde admiration nourrie à l'endroit de Zweig. Mais il ne peut pas ne pas souligner combien dans le cas d'un écrivain célèbre même cet événement le plus insondablement intime que peut être un suicide cesse de l'être ; est éminemment public dès lors qu'il laisserait entendre que tout espoir serait désormais interdit.

Ce qu'écrit Bernanos de la mission de l'écrivain n'est pas si différent de ce qu'Huster dit de la mission du peuple juif. Il y est question identiquement de témoignage - et je ne saurais oublier jamais combien c'est être martyr que de témoigner. C'est que peut-être il n'est pas facile d'être écrivain catholique pas plus du reste qu'il ne fut évident d'être écrivain communiste, encarté en général. Même demeurer seulement compagnon de route ne l'épargne, Sartre en fit, sans se l'avouer jamais, l'amère expérience. Invariablement se télescopent des légitimités dont les mélodies entremêlées résonnent rarement de manière harmonieuse. Sans doute serait-il plus juste de se proclamer catholique qui écrit qu'écrivain catholique ! C'est d'ailleurs ce que suggère Bernanos qui rappelle que

l'écrivain catholique aurait bien tort de s'asseoir lui-même à la chaire professorale. Nous sommes des frères parlant à leurs frères, et non pas des docteurs ou des intendants. (1)

Il y est question identiquement des arts et des sciences qui seuls admettent se pouvoir tromper, qui seuls en appellent à la vie. Je ne déteste pas que ce plaidoyer pour l'homme, la tolérance et l'accueil de l'autre se fasse ainsi identiquement sous l'égide de l'esprit.

J'aime cette idée que l'universalisme de ce chrétien rejoigne si spontanément cette hauteur d'âme à quoi Huster en appelle à rebâtir le monde.

Il est certes flatteur de concevoir que ce fût au people juif d'éclairer le monde et que cette lumière, qu'il tint des ultimes échos - tonnant à en trembler d'espérances - de la parole du Sinaï, qui illumine son parcours et son courage, fût aussi celle qui éclairera demain le monde. Il est honorable sans doute de se vouloir ainsi le grand enseigneur des mondes. Pourtant, même s'il est vrai que pour la répudiation de toute violence, le peuple juif aura incontestablement été précurseur ; qu'en matière de courage et de résistance, quoiqu'il ne fût pas le premier, le peuple juif offrît, bien sûr, l'exemple même qu'il n'est de liberté et d'identité que pour celui qui ne ploie pas le genou, il pourrait paraître néanmoins présomptueux de s'en attribuer l'exclusivité. Il y a, dans l'élection du peuple juif, bien trop de haines recuites, d'orgueil savamment blessé, de sottises répétées. Cette élection ne désigne aucune supériorité mais un devoir ; la plus incroyable des missions.

A nous juifs de faire à nouveau le soleil se lever, de faire entendre la musique d'âme de l'homme

Oui, sans doute parce qu'aujourd'hui comme hier, le juif continue à réunir contre lui tout ce que le monde peut réunir de haine, de sottise, de violence, lui appartient-il, aujourd'hui et à jamais, de montrer l'exemple. Ne pas céder d'un iota à l'engrenage infernal de la violence.

Oui, assurément, c'est du côté des arts, des sciences, de la culture qu'il faut tourner nos regard et chercher l'apaisement. Une société se mesurera toujours au soin et au silence qu'elle sait faire respecter devant l'enfant qui, au soir, fait glisser son archet et métamorphoser son violon en un océan de paix.

Qu'il faut y chercher l'espoir et les raisons de se lever ; les formes mêmes de la fierté.

Chez Huster être juif et artiste c'est tout un ! Je l'entends et ceci m'ébranle plus que je ne saurais le comprendre. Mais je veux qu'on puisse admettre la même sincérité dans l'engagement de tout artiste qui en appelle à la vie, à l'homme.

C'est exactement pour cette raison, quoique je me sente spontanément plus proche de celui-ci que de celui-là, que chez Huster et Bernanos je lis le même appel à l'universel et ne saurais m'étonner dès lors que son plaidoyer se terminât par un credo ! ni celui de Bernanos par le témoignage

« Nous nous sommes souvent trompés, comme tout le monde. Mais nous n'avons jamais refusé notre témoignage à personne, ami ou ennemi. »

C'est en ceci en tout cas que Zweig a manqué ; nous a manqué.