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Histoire sans fin

Ce fut le titre d'un film culte qu'adorèrent mes filles et qui, avouons-le, était plutôt bien ficelé ; c'est désormais ce qui caractérise le mieux ce que nous vivons actuellement.

Histoire d'un monde - celui de l'imaginaire - qui lentement s'effrite et menace de sombrer dans le néant ; d'un monde qui ne tient plus qu'en un enfant qui y croit encore.

Pas si sot ! le nôtre s'écroule - fol serait celui qui ne le voudrait pas regarder en face - moins de ses crises sans doute que de son manque d'ambition, de rêve ; de son acariâtre et bien étriqué réalisme.

J'avais fini l'année en me promettant de tirer une forme de leçon des confinements et autres aspects de la crise sanitaire ; j'en repoussai l'échéance ; je dois le refaire aujourd'hui.

J'avais même commencé une série - qui des mots aux choses - eût tenté de dresser le portrait de cette étrange année. Plus d'un an après … l'impression d'en être toujours au même point. Toujours des masques, encore des confinements ; l'invraisemblable publicité faite autour des geste-barrière comme si l'urgent était de se protéger des autres et de se prémunir de tout contact car ils seraient définitivement devenus l'enfer … A l'explosion des contamination, des hospitalisations, des entrées en soins intensifs et l'accumulation régulière des décès si régulière qu'on finirait presque par s'y accoutumer, s'ajoutent désormais, à en croire les chroniqueurs, les dégêts collatéraux : dépressions ; troubles psychologiques jusque chez les enfants ; décrochages chez les jeunes et étudiants ; misère sociale accrue jusque chez les étudiants …

Voudrait-on expérimentation en grandeur nature de ce qu"esr un système on l'aurait ici. Il n'est pas un phénomène qui se puisse isoler des autres ou qui resterait insensible à l'évolution desautres éléments qui composent le tout auquel il appartient. Aucune approche technique ou spécialiste ne saurait tenir seule : le psychologique tient au médical qui affecte le social qui rejaillit sur le phychologique en même temps que l'économique etc… ad libitum.

Preuve, en passant, de l'inanité de l'expression communauté ! non décidément une société est un système ; complexe évidemment. Pas seulement la réunion sur quelques points d'une disparité d'individus se fondant quitte, à lui céder le pas, dans une collectivité parlant et agissant en son nom. Mais un ensemble d'acteurs agissant tous et simultanément sur des registres différents et interagissant constamment sur ces mêmes registres ; ensemble d'acteur qui donne corps à cette société au moins autant que cette société en une boucle intime fait vivre et agir cette collection d'individus. Le tout est plus que la somme des parties mais chacune de ces parties est toujours à la fois plis et autre que ce tout supposé le résumer. Qui ne l'intègre pourtant que partiellement et provisoirement.

M Serres évoquait la nécessité d'un récit au point d'y ramener notre existence : or ce récit, nous ne parvenons que très difficilement à l'entamer ; pas du tout à l'achever.

Est-ce pour cela que nous avons tant de difficultés à vivre ?

Comment raconter cette étrange épisode où nous avons désappris de nous retrouver ; de traîner aux terrasses ; de nous réjouir de nos départs autant que de nous enthousiaser de nos retrouvailles ; où prisonniers d'une rengaine bien pire encore que le boulot-métro-dodo d'autrefois, nous sommes condamnés à bredouiller une vie devenue impossible où, pour une fois, ce n'est pas nous qui, prenant retraite, nous éloignerions du monde mais bien pire, le monde qui résiolument s'écarterait ! Nous donnerait congé.

Point n'est besoin d'en appeler aux atteintes à la liberté ou à ce curieux concept d'interaction sociale pour le deviner mais qui nous oblige cependant à considérer ce que signifie pour nous exister, vivre.

Que l'homme soit un animal politique nous le savons depuis Aristote. Que la conscience individuelle ne se puisse constituer que face à une autre conscience, la belle affaire ! Feuerbach et Hegel l'avait depuis longtemps repéré. Que l'homme soit un être au travail, évidemment, Marx l'a théorisé avec tous les dangers qu'aura représenté le fait de l'y résumer. Qu'il ne soit de projet tant individuel que collectif qui ne doive assumer le regard de l'autre, le rapport à l'autre et ainsi maîtriser, canaliser au moins, la violence qui en menace perpétuellement la possibilité, ceci encore nous le savons depuis Lévinas, Girard et avant eux Freud au moins.

Quoi de neuf dont cette crise nous informerait ?

Rien, sinon souffrance et désarroi.

Une assez belle illustration en tout cas de l'entropie générale. Quelque chose s'est délité ou, en tout cas, ne fonctionne plus, qui consolidait le liant de cette belle architecture, qui agrégeait les éléments souvent épars en un ensemble apparemment cohérent. Chacun, ça et là, s'agite, amplifie les moyens mis à disposition, décide, concerte … pout un effet de moins en moins évident, de moins en moins visible. Plus rien ne semble répondre aux commandes. Maximum de causes, minimum d'effets. Le politique s'épuise à gérer ce qu'il ne maîtrise pas ; les circuits de Santé, après avoir souffert de la réduction de leurs moyens - ah pardon on dit rationalisation et modernisation - s'épuisent à faire face à un assaut qui les submerge. Le dogme libéral du trop d'Etat s'est enfin démasqué : il n'y a plus d'Etat, plus de providence non plus et voici jusqu'à l'Europe dépendante de laboratoires privés pour assumer une vaste campagne de Santé publique.

Plus rien ne semble fonctionner. ! Jusqu'au politique qui se corrode ! La Ve République, déjà passablement présidentielle en son esprit, s'achève en autocratie mielleuse et dévote. La crise larvée, le ver dans le fruit depuis la réforme du quinquennat a désormais pourri l'ensemble et contaminé jusqu'aux esprits : nul ne semble même plus vouloir regimber ; encore moins se rebeller. Silence et soumission à tous les étages. Jusqu'au système de soin qu'on aura ces dernières années épuré jusqu'à l'os : il s'effrite et s'épuise - à peine capable d'affronter d le strictement habituel.

Une assez belle illustration de l'inanité de la vulgate libérale et de la si tonitruante évidence du bon sens.

Ôtez de nos vies tout ce qui n'y serait pas utile et utilisable, rationnel ou rationalisable, sérieux ou au moins convenable ; ôtez de nos vies musique, théâtre, cinéma, fiction en général, les arts ou tout ce qu'Arendt nomme œuvre et tout ce qui nous augmente selon la si pertinente étymologie de auteur. Ôtez de nos existences dsirs, passions, engouements, pour les choses ou les êtres, privez-nous de tout ce qui nous meut et nous fait passer à l'acte quitte parfois à nous y consumer ou perdre … que resterait-il sinon morte et triste la lippe amère de l'austérité jetant implacablement son ombre sur les chemins que nous tentons désespérément de tracer ?

Or nous priver de ceci qui, oui, nous augmente et nous permet de demeurer acteurs de nos propres vies c'est nous amputer de toute cette puissance de faire advenir choses et être ; nous refuser toute joie ; nous réifier. L'aliénation n'a pas d'autre signification.

Voici définitive condamnation de nos préjugés et de la doxa ! non ?

Nos politiques ne savent plus nous parler que de performance, d'externalisation, de compétition internationale ; de compétitivité. Mesurons-nous à quoi nous avons ainsi renoncé de ne plus jauger nos perspectives qu'à l'inconciliable couple économico-social ? Certes, peuvent nous sembler grandiloquentes des formules telle celle-ci figurant sur la statue de de Gaulle, il n'empêche qu'elle renvoie à une ambition où le politique savait parfait se dresser devant et s'imposer. Et faire taire les gestionnaires de tout poil.

Il y a un pacte vingt fois séculaire entre la grandeur de la France et la liberté du monde. Ch de Gaulle

Ne savent plus nous faire rêver ni même nous aider à croire qui préférent leur culpabilisation abrupte et corsetée où ils pataugent avec une gourmandise veule.

Notre époque a tout misé sur l'économie, les sciences et le travail. Ah ce putride redonner aux français le goût du travail ! ou, qui n'est guère mieux ce très freudien Aimer et travailler !

Las ! ni l'économie ni les sciences ne parviennent à bout de cette crise inédite et le travail, tout valeureux qu'il se proclame, se fait rare, s'exile et, de toute manière, n'a que très rarement l'heur de pouvoir nous épanouir. Les fondations qui soutenaient ce monde se sont, une à une, écroulées.

Il est au moins une chose certaine - ce que toute crise au reste confirme - le monde d'après ne ressemblera en rien au monde d'avant.

Sans même tenir compte de la crise environnementale qui, au contraire, brandit à chaque seconde et à chaque recoin de notre cheminement le placard FIN moins comme une menace que comme un signal, le moins que l'on puisse dire est que ce siècle manque d'âme, de grandeur ; d'ambition.

D'élégance.

Je ne sais d'où surgira la réponse de demain, si partielle, insuffisante ou provisoire dût-elle être. Mais ce dont je suis certain est qu'elle ne viendra ni des économistes, ni des sociologues ; sûrement pas des sciences dures ; ni des politiques …inutile de l'envisager.

Peut-être, comme dans cet étrange film, l'imaginaire y aura-t-il sa part.

Je ne parviens pas à oublier cette formule de Merleau-Ponty : Si pour le savant le monde doit être disponible, grâce à l'artiste il devient habitable.

Rendre au monde son épaisseur, ses mystères, ses ombres autant que ses lueurs; ne plus le réduire à une marchandise disponible et consommable à volonté sans pour autant en faire une idole … je ne vois que les arts le pouvoir ériger.

Vivre c'est autre chose mais ce n'est certainement pas à moi de le définir. Mais à chacun, pour soi et dans le respect de la rencontre de l'autre, de donner, au mot comme à la chose, un domaine de définition suffisamment ample, mais résolument accessible.