index précédent suivant

 

 

Retour vers le futur

 

Cette longue ITV dans l'Obs à l'occasion de la parution de son livre ; quelques articles ici et là dont un dans Le Monde. Ce n'est pas que l'ultime résonance d'un homme qui se sait avoir passé son temps et son tour et, sans doute, raté le coche en 2002 même si l'austérité toute protestante du bonhomme et le souvenir après tout plutôt positif que ses cinq années à Matignon ont pu laisser font que sa parole n'est jamais anodine.

Un jugement sur Macron mais encore une justification maintenue de son choix du quinquennat !

Je l'ai votée alors, cette réforme, sans cesser pour autant d'en douter : ce n'était pas tant la réduction du mandat présidentiel qui me troublait - elle pouvait parfaitement se justifier par les bouleversements de l'époque et l'importance des pouvoirs concédés à la présidence - que l'inévitable concomitance entre les élections présidentielles et législatives que ceci impliqua - l'inversion du calendrier - qui risquait d'aboutir à un évidement plus grand encore du législatif. Ce qui n'a pas manqué de se produire et dont le quinquennat de Hollande fut illustration patente : alors même que se développait la fronde, que donc il ne disposait plus que d'une majorité toute virtuelle, rien ne l'empêcha de continuer à gouverner !

Il n'est pas républicain qu'on accordât jamais pouvoir sans contre-pouvoir. Il n'y en a plus : que, depuis 58, seule une motion de censure eût abouti en est l'illustration irréfragable.

Jospin n'a néanmoins pas tout à fait tort - même s'il aura institutionnalisé ce qui n'était après tout qu'une pratique possible - de rappeler que Mitterrand à deux reprises (en 81 et 88) aura dissout une chambre qui ne correspondait pas à la majorité qui venait de l'élire. Ajoutant, pour faire bonne mesure, que, sans doute, Giscard d'Estaing eût mieux fait en 74 de procéder de même plutôt que de conserver une assemblée qui venait juste d'être élue - en 73 - ce qui lui eût peut-être évité les heurts avec le parti gaulliste qui finiront par lui coûter sa réélection en 1981.

Comme le quinquennat permet aux Français de se prononcer plus souvent, il ne peut être la cause du malaise démocratique. D'ailleurs, j'ai du mal à comprendre la logique qui voudrait nous faire croire que des présidents devenus très tôt impopulaires cesseraient de l'être si on les gardait sept ans au lieu de cinq. Quant à l'inversion du calendrier électoral, elle était logique. Jamais, sous la V- République, les élections législatives n'ont eu lieu juste avant la présidentielle. Soit le président avait une majorité à l'Assemblée (cas de Pompidou, Giscard et Chirac). Soit, comme Mitterrand, il n'en avait pas et son premier geste a été de dissoudre l'Assemblée nationale. Élire les députés après le président est cohérent tant que le président est élu au suffrage universel . J'ai d'ailleurs évolué sur la question des institutions. Les priorités des Français sont le chômage, la sécurité, la transition écologique, le rôle des services publics et la justice sociale - bien avant les changements institutionnels. *

Le raisonnement est impeccable ; la réalité moins. C'est ne pas tenir compte de l'endémique impuissance de ce pays à se trouver un équilibre - ne parlons pas de séparation - entre les pouvoirs ; de la double erreur symétrique de la IVe et de la Ve. Les solutions imaginées sont toujours les mêmes - comme si l'on n'en pouvait trouver que dans les exemples des autres - soit un retour pur et simple au parlementarisme d'antan soit l'instauration d'un véritable présidentialisme à l'américaine avec la suppression de la fonction de premier ministre ! C'est oublier la tentative, sans doute en partie ratée, de trouver un équilibre entre ces deux écueils qu'esquissa de Gaulle sans savoir toutefois s'y maintenir. La Ve a pour elle de pouvoir osciller entre les extrêmes sans pour autant exploser. Quand même elles n'étaient pas, assurément, l'idéal, les trois cohabitations successives, eurent pour elles ne prouver que le régime pouvait s'adapter à des situations inédites.

Peut-être n'était-il pas si urgent que cela de toucher aux institutions … Jospin le reconnaît à demi-mot à la fin de ce passage.

Le plus important est ailleurs : dans cette mise en perspective éclairante des dernières présidences :

Il en faut beaucoup pour qu'un peuple comme le peuple français, traditionnellement épris de politique, se mette à s'en détourner. Il s'en fallut de beaucoup d'erreurs et de quelques forfaitures. Et Macron a effectivement tort d'oublier qu'il est là d'avoir bénéficié d'un concours de circonstances qui ne l'autorise en rien à poursuivre avec entêtement ce virage libéral qui est son obsession à lui, pas celle du pays ; à contrefaire des préoccupations écologiques - préfigurant de nouveaux dénis de démocratie - quand toute l'urgence clame d'incliner de ce côté.

Un grand acteur de l'histoire, énonçait Hegel, était celui qui sentant où soufflait le vent de l'Histoire, savait saisir les circonstances. Un médiocre, voire un traître, un dirigeant inutile en tout cas, demeure donc celui-ci qui ne sait écouter ni le sens des événements ni les autres et demeure, obnubilé par ses obsessions et préjugés idéologiques.

Tel est Macron, à l'esprit aussi étroit qu'est ample l'entêtement. Technocrate dans l'âme, à qui n'est pas même demeuré de sa formation philosophique, le souci de se remettre en question.

Jospin lui aussi aura été l'homme de l'occasion ratée : pas une seconde je ne remets en question sa sincérité ! peut-être, en revanche, l'envie qu'il eut en 2002, de poursuivre l'aventure. Dans la position qui fut la sienne en 2002, avec son expérience, et un bilan de surcroît, loin d'être médiocre, on ne commet pas les erreurs stratégiques qui furent les siennes de laisser sa gauche unie, partir ainsi désunie au combat ! Je crois moins à la candeur d'un homme politique trop soucieux des autres pour les empêcher de se compter dans l'élection, qu'à un soupir de désœuvrement inavoué - et inavouable - devant les affres du pouvoir.

Le virage écologique de la gauche s'y est ainsi fracassé !

Telle était l'occasion fabuleuse, il y a 20 ans, de ne pas laisser la cause climatique aux seules mains inexpertes et parfois sottes d'enthousiastes militants ou de pseudo-théoriciens à l'esprit ouvert d'un Torquemada en pleine fureur. Je ne suis pas sûr que l'écologie soit, vingt ans après, sortie de son ghetto ; il le faudrait pourtant. L'écologie n'a de sens que politique : elle n'est pas une teinte que l'on adjoindrait à un programme mais devrait être une autre manière de penser le développement économique et social.

Ce devrait être un projet d'une gauche qui y pourrait (re)trouver son âme ! En a-t-elle encore la vigueur ou la volonté après ses divagations social-libérales ?

Jospin à n'en pas douter ce fut une date : celle, sans doute, où pour la dernière fois nous nous surprîmes à y croire et où nous n'eûmes pas totalement tort d'y croire. Celle de la dernière fois où, l'on ne nous a pas menti ni tendu les pièges les plus grossiers de la com de bazar !

C'est l'histoire qui fait les hommes … ce sont en tout cas les grands drames, les graves crises, les guerres, catastrophes et révolutions qui font les grands hommes. Sans doute les tragédies n'ont-elles pas atteint leur gravité maximale pour ne nous offrir, pour l'instant, que ces vains gesticulateurs ; que ces parodies de tyranneaux !



 

Vingt ans après, le quinquennat jugé par les dirigeants politiques

 

Le Monde 23 sept 2020

 

François Hollande (de dos) accueille Emmanuel Macron pour la cérémonie de passation des pouvoirs au palais de l’Elysée, le 14 mai 2017.François Hollande (de dos) accueille Emmanuel Macron pour la cérémonie de passation des pouvoirs au palais de l’Elysée, le 14 mai 2017. PHILIPPE WOJAZER / AFP

Il y a vingt ans, jour pour jour, Jacques Chirac demandait aux Français : « Approuvez-vous le projet de loi constitutionnelle fixant la durée du mandat du président de la République à cinq ans ? » En deux décennies, la réforme du quinquennat, suivie de l’inversion du calendrier électoral en 2001, a révolutionné à bas bruit la pratique du pouvoir et des institutions de la Ve République, au point que, de la gauche à l’extrême droite en passant par La République en marche (LRM), rares sont les formations à ne pas juger la réforme comme au moins en partie responsable des maux de la démocratie française. Une façon, parfois, de masquer leur propre responsabilité dans l’augmentation de la défiance ressentie par les Français.

Depuis Chirac, aucun président n’a plus été réélu. Une donnée qui n’a pas échappé aux macronistes à un an et demi de la présidentielle. Au fil des mandats dominés par l’« hyperprésidence » ou par une normalité revendiquée, à mesure que le quinquennat accélère le rythme auquel sont jugés les chefs de l’Etat, le décompte des cinq ans a changé le temps présidentiel et pressurise le locataire de l’Elysée, coincé entre deux élections.

« Le quinquennat a tué la Ve République »

Pour le député Les Républicains (LR) de Haute-Marne François Cornut-Gentille, auteur d’un livre sur les institutions, à paraître début 2021, c’est une évidence qu’aucun des successeurs de Jacques Chirac n’a pu ignorer.

« Tous les présidents qui ont expérimenté le quinquennat ont découvert que l’hyperpuissance ressentie se heurtait à une réelle incapacité à agir, estime-t-il. D’où l’impasse dans laquelle autant Emmanuel Macron que ses prédécesseurs se trouvent. La présidentialisation du régime les pousse à renforcer la concentration des pouvoirs, alors que leur intérêt serait de desserrer l’étau dans lequel le quinquennat les place en redonnant un espace au Parlement et au gouvernement. »

Dans la majorité, le retour des débats sur le quinquennat à la faveur de l’examen de la réforme constitutionnelle, à l’été 2018, avait été clos par une fin de non-recevoir. Pourtant, en coulisses, le quinquennat compte d’ardents adversaires au sein de l’exécutif. Un influent conseiller juge ainsi qu’il « a tué la Ve République » et que c’est « la plus belle connerie » des vingt dernières années, sur le plan institutionnel. « On a gardé l’autorité monarchique du président tout en lui retirant le temps monarchique. » Perdant-perdant, donc. Résultat : « Le chef de l’Etat devient un chef de la majorité à l’anglo-saxonne. »

Ancien chiraquien, le vice-président LRM de l’Assemblée nationale, Hugues Renson, estime pour sa part que le quinquennat, nécessaire au moment où il a été adopté, a entraîné, au fil de sa pratique, un « glissement » vers une hyperprésidentialisation qui appelle des clarifications. « Notre système parlementaire a vu sa présidentialisation considérablement accentuée, il n’a plus la même place, la même possibilité d’agir ni de débattre », estime-t-il.

« Ce n’est pas un sujet prioritaire, vu le contexte sanitaire actuel, mais une réflexion doit avoir lieu » en vue de l’échéance de 2022, prévient-il, citant des pistes diverses, « certains parlent de VIe République, d’autres, comme François Hollande, de supprimer le premier ministre, ou encore d’aller vers un régime à l’américaine, avec le président et son administration d’un côté, un Parlement indépendant de l’autre… » Le député exclut toutefois un retour au septennat.

« Campagne permanente »

A gauche, les socialistes savent que c’est un des leurs qui a mis en place le quinquennat et déclenché l’inversion du calendrier. Lionel Jospin ne le regrette nullement et continue à revendiquer la pertinence de sa réforme dans son récent ouvrage, Un temps troublé (Seuil, 256 pages, 19 euros). Mais ses camarades osent dire qu’il est temps de changer.

« Il a eu raison de raccourcir le mandat présidentiel, car sept ans c’est long quand on voit la rapidité à laquelle le monde va », soutient le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, avant d’ajouter que, le temps passant, le sujet n’est plus tant la durée du mandat que l’équilibre des pouvoirs. « Le premier ministre n’est aujourd’hui qu’un collaborateur. C’est une pratique qu’on a pu constater sous Sarkozy, sous Hollande ou aujourd’hui sous Macron : celle d’un homme seul qui décide de tout », soutient-il. A ses yeux, il faut donc revoir les rôles, en faisant du premier ministre le seul responsable devant sa majorité, « avec une pratique plus collégiale, en laissant au Parlement une place réelle ».

A droite, les avis divergent. Sans défendre l’idée d’un septennat non renouvelable, le président du groupe LR de l’Assemblée, Damien Abad, voit dans le quinquennat un système où la « campagne est permanente » et déplore un « affaiblissement » du Parlement, à cause de députés parfois « factices », élus grâce au bon vouloir du président. « Quand les Français ont porté Macron au pouvoir, dit-il pour exemple, ils n’ont pas voulu se déjuger aux législatives. »

D’autres, qui pourraient prétendre à la fonction présidentielle, ne sont pas d’accord. Valérie Pécresse, par exemple. La présidente de la région Ile-de-France garde un mauvais souvenir du lendemain de la dissolution ratée de Jacques Chirac, en 1997. « J’ai vécu la cohabitation de 1997 à l’Elysée, se remémore-t-elle. Elle s’est terminée dans l’immobilisme, car Chirac et Jospin se marquaient à la culotte. » Pour elle, le quinquennat, accusé de « tous les maux »« donne en réalité de la cohérence à l’action politique et permet de gouverner ».

Au Rassemblement national, la ligne est établie depuis longtemps. Depuis 2012, Marine Le Pen assure que, élue présidente, elle enterrerait le quinquennat pour le remplacer par un septennat non renouvelable. Elle serait alors la dernière à pouvoir enchaîner deux mandats. Pour son conseiller spécial, Philippe Olivier, ces cinq ans signent « une dénaturation profonde des institutions de la Ve » et ont contribué à renforcer « un sentiment de perte de représentativité dans la société ». Avec la fin de la cohabitation, l’eurodéputé estime que l’« on a instauré la dictature d’une majorité artificielle ».

Quel que soit le bord politique, la critique du quinquennat semble avoir de beaux jours devant elle. Reste à savoir si ce débat institutionnel aura sa place dans la campagne présidentielle de 2022, alors que le monde est toujours sous la menace d’une double crise, épidémique et économique.

 

Sarah Belouezzane, Lucie Soullier, Sylvia Zappi, Julie Carriat et Solenn de Royer


 


 

Lionel Jospin dresse l’inventaire des trois premières années du macronisme

Avec une sagesse teintée de mélancolie, l’ancien premier ministre socialiste analyse dans un livre, « Un temps troublé » (Seuil), la présidence d’Emmanuel Macron et les raisons de sa victoire en 2017.

 

Livre. C’est une voix qui vient de loin. Près de vingt ans après avoir quitté la vie politique, Lionel Jospin – qui a retrouvé sa liberté de parole après avoir passé quatre années au Conseil constitutionnel – s’invite dans le débat public avec un livre, Un temps troublé (Seuil, 256 pages, 19 euros), publié le 3 septembre.

L’ancien premier ministre socialiste (1997-2002), qui a été sèchement battu dès le premier tour de l’élection présidentielle de 2002 – ouvrant la voie à un second tour inédit et saisissant entre Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen – a voulu comprendre ce qui s’était passé en 2017 avec l’avènement surprise d’Emmanuel Macron, dans un paysage politique totalement bouleversé.

Dans ce livre court, net, précis, à l’écriture impeccable et fluide, celui qui a gardé une réserve quasi constante pendant dix-huit ans, refusant de se transformer en commentateur galvaudé de la vie politique, commence par dresser un inventaire implacable des vingt-cinq dernières années : depuis la trahison de Jacques Chirac, en 1995, qui a renoncé à réduire la fracture sociale comme il s’y était engagé, jusqu’aux désillusions de l’électorat socialiste pendant le quinquennat de François Hollande, en passant par les erreurs et les excès du sarkozysme.

Aux déceptions suscitées par trois présidents successifs se sont ajoutés le référendum perdu sur l’Europe en 2005 (suivi du déni de celui-ci) ainsi que la crise financière de 2008, ces deux événements ayant eu des conséquences économiques, sociales et politiques « rudes pour les peuples », observe l’auteur, contribuant à alimenter le scepticisme et les frustrations des Français.

Pour Lionel Jospin, âgé de 83 ans, l’avènement d’un quasi-inconnu de 40 ans est ainsi bien davantage le fruit des faillites du passé – et de circonstances particulières ayant entouré l’élection présidentielle de 2017 – que d’une véritable adhésion au projet de ce dernier. Faute de l’avoir compris, Emmanuel Macron et sa majorité feraient preuve, selon lui, d’une « confiance excessive », les conduisant à l’imprudence. « Le succès entraîne souvent une griserie et celle que procure la croyance d’avoir gagné seul est trompeuse », écrit M. Jospin.

« Le macronisme : le plus efficace des dégagismes »

L’ancien premier ministre n’hésite pas à se montrer sévère avec ce jeune président « énergique et talentueux », mais « sans attaches » ni expérience politique. Si Macron a prôné la « révolution », la rupture avec le passé et les forces politiques antérieures, c’était d’abord et avant tout par opportunisme, pour conquérir plus efficacement le pouvoir, relève Jospin. « Le macronisme est devenu le plus efficace des dégagismes », analyse-t-il.

Dans une partie du livre intitulée « La désillusion », l’ancien premier ministre dresse le bilan décevant des trois premières années du quinquennat, évoquant des mesures ayant largement profité aux plus riches, des performances économiques « contrastées et modestes », de « fortes tensions sociales » et des promesses d’exemplarité politique réduites à néant. Il juge aussi sévèrement la méthode et la gouvernance choisies par Emmanuel Macron, cette verticalité érigée en dogme, laquelle aurait mécaniquement entraîné une violente réplique horizontale venue du peuple, incarnée par les « gilets jaunes ».

« La promesse chimérique d’un “nouveau monde” est restée lettre morte, résume Lionel Jospin. Notre pays est loin d’adhérer à ce qu’on lui propose aujourd’hui : un néolibéralisme orné de progressisme. »

« Notre pays est loin d’adhérer à ce qu’on lui propose aujourd’hui : un néolibéralisme orné de progressisme », selon Lionel Jospin

Pour le socialiste, le logiciel libéral de Macron et « l’idéologie de la réforme à tout prix » sont datés et anachroniques, alors que la dérégulation et la financiarisation de l’économie ont entraîné, au cours des dernières années, des crises et des désordres majeurs, « en même temps qu’elles creusaient profondément les inégalités ».

L’ex-animateur de la gauche plurielle pourfend également le « progressisme » porté haut par les macronistes. Ce concept ne serait qu’un paravent masquant les orientations néolibérales de la politique menée et une « facilité de langage destinée à construire une opposition politique commode » – et dangereuse – face au Rassemblement national (RN).

L’ancien premier secrétaire (1981-1988 ; 1995-1997) du Parti socialiste (PS) voit, en outre, le mouvement présidentiel, La République en marche (LRM), comme une coquille vide dans laquelle « ceux qui y adhèrent – par un clic ! – n’ont pas d’obligations et pas non plus de droits ».

Il souligne aussi le paradoxe existant entre la promesse de rénovation de la vie politique, d’un côté, et le manque de démocratie interne, de l’autre, avec des méthodes « relevant du centralisme démocratique jadis en usage dans les partis communistes ». Fuyant les débats de fond, LRM se bornerait à « gérer son capital électoral », poursuit-il.

Une victoire du RN à l’élection de 2022 non exclue

A l’égard de François Hollande, à qui il a confié le PS en 1997, Lionel Jospin n’est pas plus tendre. A son actif, il met la gestion des attentats, l’obtention de certains résultats économiques et l’accord de Paris de 2015 sur le climat. Mais il reproche au président socialiste un « défaut d’autorité » ainsi que son « surprenant changement de cap » en 2014 (le tournant de la politique de l’offre), ces deux caractéristiques ayant ouvert la voie aux frondeurs et accéléré la « désagrégation de l’identité politique » du PS.

L’ancien premier ministre observe aussi que le renoncement de François Hollande à se représenter en 2017 et le faible score obtenu par Benoît Hamon ont mécaniquement abouti à l’élection d’Emmanuel Macron. « Il est déconcertant de mesurer le peu qu’il est resté, au terme du quinquennat, de cette impressionnante réunion de forces », résume l’auteur d’Un temps troublé, en rappelant qu’en 2012 le PS détenait tous les leviers de pouvoir, exécutifs, législatifs et territoriaux.

Pour la présidentielle à venir, « incertaine », Lionel Jospin n’exclut rien, y compris une victoire du RN. En vieux sage, il livre ses conseils à une gauche fragile et éclatée, qui s’est perdue en laissant le socialisme se dissoudre dans le libéralisme. Une gauche écologique aurait une chance de l’emporter en 2022, si elle parvenait à s’unir, estime-t-il toutefois, plaidant pour la mise en œuvre d’un « mouvement économique, social et écologique » à la hauteur des enjeux.

Adoptant une position en surplomb, Lionel Jospin se permet même de distiller quelques conseils à la droite, qu’il appelle à « retrouver une identité cohérente », afin de stabiliser l’échiquier politique.

Des partis « irremplaçables » dans la vie démocratique

Dans ses adieux, en 2002, l’ancien premier ministre avait « assumé pleinement la responsabilité de [son] échec » à la présidentielle. Il ne se livre pourtant ici à aucune autocritique sur son propre bilan, évitant d’évoquer ce qui lui avait été alors reproché par une partie des Français, notamment une certaine rigidité et un aveuglément supposé sur l’insécurité. Ce qui, dans un contexte de profonde division de la gauche, avait contribué à sa brutale éviction du jeu présidentiel.

Dans son livre, il préfère rappeler les « performances plus qu’honorables » de sa « dream team » ministérielle : deux millions d’emplois créés en cinq ans, baisse du chômage, stabilité de l’emploi industriel et réduction du déficit budgétaire, sans compter des « avancées sociales », comme les 35 heures. A plusieurs reprises, il rend hommage à François Mitterrand, en dépit des relations délicates qu’il entretenait avec l’ancien président.

Plus largement, Lionel Jospin s’emploie à défendre les partis, qui sont pour lui « irremplaçables » dans la vie démocratique, tout comme le quinquennat et l’inversion du calendrier électoral, qui ont profondément changé la nature du régime, accentuant pour certains le malaise démocratique français.

Dans une quatrième partie consacrée aux désordres du monde, l’auteur d’Un temps troublé examine enfin « trois confrontations décisives » entre « démocratie et despotisme », « migrations et nations »« expansion de l’homme et sauvegarde de la vie sur Terre ».

Postface sur la pandémie de Covid-19

Il clôt son essai par une longue postface sur la pandémie de Covid-19. Loin des polémiques, loin aussi de toute amertume, Lionel Jospin adopte ici un ton calme et modéré, apaisé. Celui d’un « homme face aux incertitudes que ressentent aujourd’hui beaucoup de nos concitoyens et qui veut partager sa vision du temps qui vient, en disant ce qu’il voit, ce qu’il craint et ce qu’il souhaite ». Dans un long entretien accordé le 3 septembre à L’Obs, il le dit d’ailleurs lui-même, assurant qu’il n’a pas voulu écrire en « combattant ». Comme s’il livrait finalement ici une sorte de testament.

Certains, au PS, croient voir dans ce livre la promesse d’un retour. Mais alors que Lionel Jospin sera âgé de 85 ans à la prochaine présidentielle, il est permis d’en douter.

Bien au contraire affleure dans ces pages sobres et rigoureuses une certaine sagesse teintée de la mélancolie – douce mais poignante – de celui qui sait que son temps est passé. L’intéressé ne dit pas autre chose à la fin de son entretien à L’Obs : l’histoire qui reste à écrire le sera par d’autres que lui.