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Bancs

Il y en a évidemment un peu partout : il y a ceux où l'on mange, ceux où l'on fait une pause ; sans doute ceux aussi qui laissent trace de quelque agape ou inavouables excès ; ceux où se pose tellement que l'on finit par s'y endormir.

Ce sont des scènes que l'on croque ainsi … qui ne disent rien et ne veulent peut-être rien dire.

Pourtant on y laisse toujours un peu quelque chose : ici, contrarié parce qu'il ne lui plaisait pas ou bien au contraire étourdi par d'autres emportements, l'enfant aura laissé son livre ; là, vestiges d'une cuite scientifiquement mijotée pour célébrer son désœuvrement ou se consoler d'un été finissant …

Et puis, ils y a tous ceux qui s'y attardent … Les amoureux qui s'y bécotent chantait Brassens ou bien ceux qui s'y endorment, ceux qui rêvassent et tous ceux qui n'y font rien …

 

 

 

 

 

 

Ce ne sont pas tous des SDF ou des clodos comme on disait autrefois … Des hommes, des femmes qui s'y attardent simplement et découvrent le plaisir d'être hors les murs.

C'est chose bien étrange qu'un banc qui n'est pas particulièrement confortable mais autorise néanmoins le repos ; qui se fiche à peu près n'importe où sur la place publique quand il offre l'attitude la plus intime, de la méditation au repos ; qui n'est même pas toujours placé devant une belle perspective ou un beau paysage ; qui ponctue les lieux de passage quand il est espace de repos.

Elles me rappellent toutes celles de mon père, taiseux par excellence, qui s'y pouvait englaiser des heures durant, égaré en d'infinis silences, en d'abyssales méditations.

A quoi pouvait-il bien penser à ces moments-ci ? Y revivait-il son enfance ratée ? Entendait-il, grondant de nulle part ces hurlements stridents des ordres proférés en cet allemand si particulier qui à jamais tonnera comme l'horreur ultime ? Y cherchait-il l'ultime souvenir qui le ramènerait à son propre père à qui il ne put dire ni merci ni pardon ? Laissait-il s'y éployer la Parole de l'être que sa vue durant il quêta ?

Ses yeux n'y étaient jamais vides même si parfois ils semblaient se fixer en un seul point, là-bas, proche de l'horizon sans pourtant jamais s'y égarer. Quelque chose, qui n'était pas la vacuité, mais non plus quelque mystère, s'y nouait qui le laissait comme ragaillardi comme s'il y avait eu puisé cette force qui lui permettait de se lever encore et poursuivre le chemin.

La méditation, que l'on dit fréquemment profonde, me paraît plutôt oscillation lentement répétée entre surface qui n'est pas synonyme ici de superficialité et tréfonds qui n'équivalent pas nécessairement à spirituelle acuité.

Quelque chose assurément qui ressemble à la prière résonnant plutôt comme un merci que comme une sollicitation.

Dira-t-on jamais la part que prend le silence dans l'éveil de l'être ?