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L'inqualifiable

Voici la fin de son mandat et les élections qui approchent dont il n'est pas dit encore qu'il les perdra - même si tout semble désormais mal s'emmancher pour lui, jusque et y compris sa très récente hospitalisation.

L'heure des bilans aussi que la presse ne manquera pas de brosser sur le grand air du on vous l'avait bien dit on avait tout prévu ! Loi du genre ; pas grave.

Que ce président soit un des pires que les USA se soient donné ne fait pas de doute … Remarquons néanmoins que cette méfiance invétérée à l'endroit de tout pouvoir fédéral, cette obsession à voir un empiétement à sa liberté individuelle devant toute décision prise ou loi votée, ne les aura jamais prémunis contre le pire …

Il y a entre les hommes et les institutions, une savante alchimie qui fait le plus souvent les hommes devoir se couler dans le bronze mais le bronze insensiblement ciselé par les hommes. Les Grevy et autres républicains, par habitude, crainte ou paresse, tordirent la IIIe où elle aurait pu ne pas nécessairement pencher ; ceux de 46 oublièrent la République qu'ils venaient de se donner et se vautrèrent dans les pires combinaisons parlementaires possibles ; de Gaulle fit voter un texte et en appliqua - partiellement : un autre : ce que la Ve comportait de parlementaire craquela vite sous l'emprise du fondateur et la courtisane pleutrerie des adorateurs. L'histoire, les habitudes mais les inclinaisons des uns et des autres émoussent parfois ce qui est trop anguleux ou réinsufflent un peu de passions où les rites s'endormaient mais quoi il était entendu que les institutions étaient faites pour tenir ; que seuls des événements gravissimes pouvaient les ronger ; qu'elles étaient d'autant plus solides qu'anciennes ou non écrites (Grande-Bretagne).

Et voici qu'en quatre années à peine, celui-ci eût à ce point miné l'édifice qu'il ne manquerait pas de craquer …

Preuve en tout cas que les qualificatifs habituels de populiste ou d'illibéral ne servent de rien ; en tout cas pas à comprendre ce qu'il y aurait de commun entre un Orban, Trump, Johnson ou Erdogan.

Signe en tout cas que le désamour politique vient de loin et touche de nombreux pays même ceux dont la culture démocratique paraissait bien ancrée.

Toutes les tentations se concentrent ici : une interprétation psychologiste pointant l'immaturité et l'inculture de Trump. Une interprétation politique soulignant la dérive droitière du parti Républicain depuis le Tea Party … une interprétation géopolitique faisant de ce sbire le symptôme d'une Amérique ayant perdu son leadership international.

Mais comment ne pas voir derrière la vulgarité indéniable du personnage, celle d'une Amérique profonde, ivre de suprémacisme blanc ? Comment ne pas considérer dans ce retour d'un racisme parfaitement assumé et avoué - que l'on retrouve chez un Zemmour par exemple - la dérive presque irrésistible désormais de foules, de masses, de couches sociales agacées par le cynisme ou l'impuissance des politiques, par les mensonges et les promesses fallacieuses, promptes désormais à céder à leurs démons de toujours … qui les entraînent loin en tout cas de la démocratie qui n'a, depuis longtemps, paru aussi fragile …


 

« Presque quatre ans durant, Trump a saboté les pratiques de la démocratie américaine »Alain Frachon Le Monde du 1 Oct

 

 

 

Depuis son entrée à la Maison Blanche, en janvier 2017, le président américain a affaibli les institutions politiques, quand il ne les a pas piétinées, explique, dans sa chronique, Alain Frachon, éditorialiste au « Monde ».

 

Donald Trump, lors du premier débat télévisé de la campagne présidentiel, mardi 29 septembre, à Cleveland (Ohio).Donald Trump, lors du premier débat télévisé de la campagne présidentiel, mardi 29 septembre, à Cleveland (Ohio). BRIAN SNYDER / REUTERS

Chronique. Depuis l’Ouest américain, une journaliste amie, qui a ces jours-ci le moral au fond du canyon, tweete : « Je suis inquiète, je me demande si les institutions vont tenir. » Sur la chaîne PBS, le conservateur David Brooks, l’un des éditorialistes les plus posés du New York Times, déclare : « Je n’ai jamais été aussi pessimiste sur l’état du pays. » « Pas un seul jour ne passe sans que le président jette la suspicion » sur le scrutin présidentiel du 3 novembre, ajoute, toujours sur PBS, Mark Shields, politologue chevronné des bords du Potomac.

Que se passe-t-il ? Les élites journalistiques joueraient à se faire peur de l’autre côté de l’Atlantique ? C’était avant le débat télévisé entre Donald Trump et son adversaire démocrate Joe Biden. Le chaotique pugilat du mardi 29 septembre ne les aura pas rassurés. A cinq semaines de l’élection présidentielle, la situation est sans précédent. Le président sortant et candidat à un deuxième mandat refuse toujours de s’engager à reconnaître le résultat du scrutin du 3 novembre – s’il lui est défavorable.

Cette attitude d’autocrate ne devrait pas surprendre. Donald Trump imprime sa marque. Depuis son entrée à la Maison Blanche en janvier 2017, il a dégradé, ébranlé, miné la démocratie américaine – comme nul de ses prédécesseurs récents ne l’avait fait. Aucun de ceux-là n’était un saint : la fonction se prête mal à l’angélisme. Mais tous ont respecté les formes, sinon toujours l’esprit, des institutions politiques du pays, aussi imparfaites, incongrues et désuètes soient-elles. Trump a affaibli ces institutions, quand il ne les a pas piétinées. Aujourd’hui, il joue avec la menace d’une violence prête à éclater, insinue-t-il, s’il était battu par Joe Biden.

Discrédit sur le suffrage universel

Comme on lui demandait s’il s’engageait à ce que la « transition » politique se déroule pacifiquement au lendemain du 3 novembre, qu’il soit réélu ou non, Trump s’est refusé à dire oui : « Il va falloir qu’on regarde ce qui se passe. » La majorité républicaine au Sénat, qui jusque-là s’était toujours couchée devant les oukases de Trump, a fini par s’inquiéter. Unanimes, républicains et démocrates, les sénateurs ont voté un texte condamnant les propos du président.

Mais distancé dans les sondages, pas forcément de façon significative, Trump chauffe ses partisans. Une télévision diffuse des images de milices d’ultra-droite en tenue de combat, casquées et fusil à tir rapide AR16 en bandoulière, arrêtant la circulation en plein jour, comme une descente d’intimidation du Hezbollah à Beyrouth-Ouest.

Ce mardi encore, le président s’est employé à saper la confiance des Américains dans le système électoral. Il a de nouveau délégitimé par avance une éventuelle victoire de Joe Biden : si le démocrate gagne, dit-il depuis des semaines, c’est que le scrutin aura été « truqué ». Le président de la plus puissante démocratie occidentale jette le discrédit sur le suffrage universel : sourires amusés et reconnaissants à Pékin, Moscou, Ankara et Minsk.

Trump s’en prend au vote par correspondance qui, pour cause de Covid-19, devrait être important cette année. « Ce sera une grosse escroquerie », répète-t-il. Totalement faux, corrige le chef du FBI, Christopher Wray, nommé par Trump et qui jure que rien, aucune étude, aucun précédent, ne justifie pareille assertion.

Trump, usant et abusant de la Maison Blanche à des fins électorales, viole la législation Hatch sur le déroulement des campagnes. Presque quatre ans durant, il a saboté les pratiques, sinon les textes, de la démocratie américaine. Interdisant à certains de ses collaborateurs d’aller témoigner devant le Congrès. Refusant de rendre ses impôts publics – jusqu’à ce que le New York Times révèle qu’il s’est arrangé pour ne pas en payer. Démettant les contrôleurs d’administrations centrales qui ne lui plaisaient pas. Recrutant sa fille et son gendre à la Maison Blanche pendant que, par ses fils interposés, il conservait le contrôle de ses affaires. Justifiant la désignation expéditive d’un nouveau juge à la Cour suprême, Amy Coney Barrett, par des raisons électorales : pouvoir compter sur sa voix si la cour devait trancher sur la régularité du 3 novembre…

Charge toxique

Sa pratique du débat public a consisté à insulter ses adversaires, à stigmatiser la presse, à mentir aussi souvent qu’il pratique le golf (beaucoup) – et notamment à mentir sur ce qu’il savait de la dangerosité du Covid. Occupé à diviser les Américains, à jouer en permanence avec la tentation du racisme, il a donné le sentiment de ne gouverner que pour « les siens », le gros noyau d’électeurs qui lui sont toujours aussi fidèles.

Pour rester à la Maison Blanche, il ne vise pas à séduire au-delà de sa base. Il ne cherche pas à emporter une majorité des suffrages populaires. Trump veut gagner dans les quelques Etats qui, passant d’un parti à l’autre, peuvent lui donner la majorité des « grands électeurs ».

Dans cette autobiographie heureuse qu’est son dernier livre – J’irais nager dans plus de rivières (Gallimard, 304 pages, 20 euros) –, Philippe Labro, américanophile érudit, consacre un chapitre à sa passion américaine. Amour déçu, celui-là ? Labro cite Churchill : « On peut toujours compter sur l’Amérique pour faire les choses correctement après avoir épuisé toutes les alternatives ». Mais Labro ajoute : « Peut-on encore vraiment compter sur les Américains ? »

Face à la charge toxique que Trump représente pour elles, il n’est pas sûr que les institutions de la démocratie américaine résistent si bien qu’on le pense. Questions inquiètes auxquelles les lendemains du 3 novembre fourniront un début de réponse.