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Confusions, foi et mauvaise foi

Ce n'est rien de dire que le fanatisme, l'intolérance nous laissent désemparés. Depuis toujours. Croire que la raison puisse tempérer les passions est illusion - ou espérance - que même Voltaire et Rousseau nourrirent. Voir se lever les passions extrêmes, de haine et de vengeance ; entendre les cris hideux qu'accompagnent la recherche d'un bouc émissaire ; constater la défaite de la mesure et se désoler de la faillite de toute intelligence est assurément potion bien amère qui sollicite jusqu'à l'épuisement le goût que l'on pourrait encore réserver à l'humain.

C'en est à hurler ; à désespérer ; à vomir.

Ce ne sont assurément pas les réactions après le meurtre d'un enseignant à Conflans Ste Honorine qui le démentiront.

Entre un ministre qui pointe l'islamo-gauchisme de certains universitaires, la vindicte publique qui déverse sa bile suspicieuse contre ceux qui en appelèrent il y a peu contre l'islamophobie accusant ainsi le PC ou la bande à Mélenchon de complicité objective ; l'extrême-droite, trop heureuse de l'aubaine, qui se croit autorisée de frapper de gauche comme de droite contre tous ceux qui n'oseraient nommer le véritable ennemi que serait l'islamisme - mais ne pense-t-elle pas plus simplement l'islam ? - et de se rêver en généralissime d'une guerre enfin ouverte ; un ministre de l'intérieur qui croit habile de fermer une mosquée, de dissoudre quelques associations et de fustiger les rayons halal dans les hypermarchés et un président de la République qui après avoir pointé du doigt les différents séparatismes tout en n'y pensant qu'à un seul, tient après l'attentat un discours où tous les termes sentent la poudre, on peut constater toutes les nuances du désarroi, de la mauvaise foi ; de l'impuissance. L'étouffante spirale de la haine où chacun se nourrit de la détestation de l'autre et l'amplifie.

Désarroi du politique qui réagit dans l'urgence et ne pense plus que sécurité ; désarroi de l'appareil d’État et des institutions - scolaires notamment - qui doivent bien admettre n'avoir pas su ou pu gérer l'intransigeance nouvelle des familles ni l'impossibilité de transmettre certains contenus ; désarroi devant cette religiosité qui se veut intégrale et qui insidieusement remet en cause le vivre ensemble tel en tout cas que nous avions habitude de le pratiquer. D'aucuns en appellent à la laïcité -oublieux qu'il est bien des manières différentes et contradictoires de la pratiquer - d'autres dénoncent une République menacée par ceux qui n'en respectent pas les valeurs - valeurs qu'ici comme en morale on se garde bien au reste de définir - Blanquer propose un Grenelle de l'enseignement formule qui se veut magique mais ressemble à s'y méprendre à un vaste foutage de gueules après plus de vingt ans de gel du point d'indice, de réformes qui toutes aboutirent à l’aggravation des conditions de travail, à un discours libéral anti fonctionnaire et notamment enseignant qui caressa dans le sens du poil le mépris ambiant pour l'autre.

Si la République a vocation à être une et indivisible, alors, oui, elle est malade parce que tout, d'en haut comme d'en-bas, de la confusion idéologique extrême aux menaces objectives - tant géopolitiques que climatiques - conspire à en miner l'unité. Autant ce mépris individualiste pour la différence qu'encourage la pensée libérale que l'intolérance religieuse que l'on n'a pas voulu voir venir.

La peur surtout car il n'est pas pire poison qui toujours jette les nations dans les bras de tyranneaux insanes.

J'aurais aimé ne pas écrire sur ce sujet : me reste néanmoins comme un goût amer qu'il faille repartir en lutte contre l'intolérance religieuse … Nous n'allons quand même pas reprendre la querelle des inventaires !

En 1905, on crut résoudre la question par la loi de Séparation qui eut le mérite de placer la question de la foi dans la sphère intime. En ne reconnaissant ni ne finançant aucun culte, la République crut pouvoir se maintenir à équidistance, dans une position de neutralité supposée garantir l'unité.

Ce n'était en vérité que tenter de résoudre une moitié du problème.

Je ne laisserai à personne la paresse de proclamer que la foi est chose aisée et rassurante. Non, la foi n'offre pas de réponse absolue et définitive mais seulement la certitude que si vérité absolue et définitive il y a, que l'on sent et proclame, est est tout aussi inaccessible qu'est transcendant le Dieu à quoi elle s'assimile. Croire engage car que vaudrait de proclamer une foi et une vérité que l'on ne respecterait pas soi-même ? Il n'en reste pas moins que parler au nom de l'absolu, croire qu'on y fût habilité, imaginer que ce fût possible et prétendre y être parvenu, vous place immédiatement dans la position terriblement dangereuse de l'intolérance. La vérité ne connaît pas de nuance, de demi-mesures ni de grisés. Au nom de quelle indifférence à l'autre, accepterais-je qu'il affirme ce que je sais être faux sans tenter au moins de le convaincre ou de l'éduquer ; sans m'efforcer en tout cas que par son existence, sa parole, son influence, il ne répande sa pernicieuse erreur ou son sulfureux mensonge ?

Le risque, aussi absolu que la vérité que l'on revendique détenir et transmettre, est d'oublier que comme quiconque l'on peut se tromper ; mal interpréter un message ; que même inspiré par le divin son entendement demeure faillible, borné ; faible. Que la foi ne confère aucun droit mais des devoirs envers soi et envers l'autre.

Est d'oublier la grande leçon de Kant.

La grande leçon de l'humilité.

Rien n'est plus triste que de constater que fanatisme et intolérance soient l'apanage des religions du livre au même titre que de n'importe quelle baliverne idéologique : mais quoi la voix tonitruante surgie des hauteurs du mont Horeb n'a pas été entendue ! Jean a raison : les Ténèbres ne l'ont pas reçue. Voici grande leçon de la transmission : il ne suffit pas de parler pour être entendu ; d'expliquer pour être compris ; la vérité n'éclaire que les esprits préparés à la recevoir. On peut résider au plus près de l’Être et n'en même pas pressentir le moindre bruissement.

Nous avons cru en avoir terminé avec les superstitions et les fanatismes ; nous nous sommes contentés de les déplacer.

Malraux n'avait pas tort de deviner que tôt ou tard nous aurions un problème avec le religieux. Il ne se laisse pas évacuer sans coup férir.

Je ne sais pas si Candiard a raison en affirmant que « le fanatisme remplace Dieu par un objet fini et croit ainsi pouvoir le posséder » autrement dit en conférant à tout ce qui touche au religieux - rites, pratiques, commandements - le caractère sacré et intouchable qui n'appartient qu'au divin - bref en suspectant le fanatique d'idolâtrie. Il m'a toujours semblé que le fanatisme commençait plutôt au moment où l'on se parait des attributs irréfragables de l'absolu où si assuré de la piété et de la fidélité de sa démarche, plus aucun doute ne s'insinue. Car rien n'est, potentiellement, plus dangereux que la certitude sans retenue d'avoir raison. Rien n'est plus nécessaire que la conscience d'à chaque instant pouvoir se tromper.

Je n'ai, pour ma part, jamais accepté que quiconque s'interpose entre moi, ma conscience et l’Être - et certainement pas un clerc de quelque obédience fût-il. On y pourrait suspecter orgueil ; il ne s'y joue pourtant que de la prudence.

Je ne suis pas venu pour juger : Malraux y voit l'essence du christianisme. Sans doute ! En tout jugement - mais en ceci il est toujours ultime - s'opère toujours un tri, une distinction ; une séparation.

Mais face à la haine, à la tentation d'exclusion, face à la superbe ombrageuse et jalouse, que nous reste-t-il ? Tendre l'autre joue ? Poursuivre l'œuvre, oui, sûrement ! Transmettre, expliquer ; accueillir parce que λόγος ne dit pas autre chose

Se désespérer que l'autre ainsi s'éloigne ou vous éloigne.

Car, oui, l'autre moitié du problème, n'est ni dans la piété ni dans les institutions.

En nous