index précédent suivant

 

 

Résilience

Il n'est qu'à faire une recherche sur le site du Monde pour comprendre que c'est le mot de l'année ! Tout se prête à résilience du Territoire de Belfort à l'économie chinoise, de nos résidences secondaires au trumpisme, de Ch de Gaulle à l'industrie du textile …

Il n'en faut pas plus pour que je me méfie ni pour que j'y regarde d'un peu plus près.

Je peux bien comprendre qu'un concept, issu de la physique, s'exporte jusqu'à la psychologie ce n'est ni original ni étonnant ; je veux bien admettre que son irruption dans le champ de la psychologie soit contemporain de l'acceptation par les hommes de l'art - et ce ne fut pas si facile que cela - de la notion de traumatisme et donc d'affections psycho-somatiques. Ce que Cyrulnik raconte très bien. Pour autant, l'importation d'un concept d'un domaine vers un autre n'est jamais anodin ni sans risque. Il n'est qu'à regarder la page d'homonymie que Wikipédia lui réserve pour comprendre qu'il est désormais peu de champs de recherche qui lui échappent et ce jusqu'à la géographie ou l'aménagement du territoire où le concept désigne la capacité des villes à limiter les effets des catastrophes et à retrouver rapidement un fonctionnement normal !

Evidement inéluctable du concept qui finit par ne plus désigner que toute réaction d'adaptation - ce qui est quand même bien pauvre. Depuis Darwin et les tout premiers acquis de la génétique nous savons que le vivant est organisme, donc système (milieu intérieur) en constante relation avec un milieu extérieur et que toute altération de l'un ou de l'autre peut remettre en question la survie si elle n'est pas adaptée.

D'où d'ailleurs tient-on, ce n'est le cas nulle part, qu'il y eût un état normal à quoi irrémédiablement l'on pût, dût revenir. Comme si l'on réinventait en catimini le fantasme d'un âge d'or primitif, d'un Eden biblique. Et si la - si mal comprise - crise était l'état usuel d'un système et ses périodes de calme d'étonnantes et rares exceptions ?

Le risque est grand dès lors de faire de la résilience une sorte de qualité propre à certains capables de surmonter obstacles et traumatismes comme s'il s'agissait d'une vertu intérieure en quelque sorte spontanée au risque de fustiger ceux qui ne la posséderaient pas. Comme si le dépassement d'une crise était un processus normal et normatif et qu'il fût en conséquence pathologique de n'y pas pouvoir accéder.

 

Les crises se précipitant, s'entassant les unes sur les autres comme en un millefeuille explosif, nul doute que les occasions d'abuser du terme iront s'accentuant au risque de ne plus savoir de quoi l'on parle. Notons simplement que les femmes et hommes de ma génération, dans un pays comme la France, n'auront finalement pas véritablement connu fde grands traumatismes autre qu'individuels : pas de guerre ; pas de grand cataclysme, pas de révolution, ni d'irrémédiable krach boursier qui eût provoqué désastre social. Cette génération du baby-boom aura longtemps vécu dans l'illusion d'une progression inéluctable même si sur fond de crise économique latente mais au fond tellement endémique qu'on s'y fût en réalité habitué. Le vrai traumatisme de cette génération est à venir : de découvrir que les lenbdemains cessent de chanter. S'y adapter sans sombrer dans les mirages méphitiques de l'extrême-droite serait à coup sûr une formidable réussite et un gage d'espoir.

Y crois-je ? Pas vraiment !

 

 

 


 


 

La résilience, nouvel horizon de société

Conceptualisée par les sciences dures au XVIIe siècle, cette idée de force et de persistance, à laquelle le chef de l’Etat s’est maintes fois référé pour évoquer les défis à surmonter, notamment celui de la crise sanitaire, s’est imposée comme stratégie individuelle et collective.

Par Marion Dupont Publié le 07 octobre 2020

 

 

Histoire d’une notion. Depuis la crise sanitaire et économique la résilience – c’est-à-dire la capacité à persister et se reconstruire face à l’adversité – est désormais utilisée pour prendre le pouls de toutes les composantes de la société : individus, entreprises, institutions, écosystèmes… Elle semble dessiner un nouvel idéal contemporain et intéresse jusqu’aux sommets de l’Etat.

Le concept avait déjà fait son entrée dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, en 2008, avant d’innerver toute l’édition 2013, où le terme est utilisé onze fois. Au tout début de l’épidémie de coronavirus, Emmanuel Macron donnait aux interventions militaires de soutien aux populations et aux services publics le nom d’« Opération Résilience » ; et le 13 avril 2020, dans son adresse télévisée aux Français, il faisait de la résilience une composante de la stratégie à bâtir pour « faire face aux crises à venir ». En temps de menace terroriste, de pandémie ou de crise écologique globale, cette notion parvient à s’imposer à la fois comme un objectif personnel louable, comme une stratégie économique judicieuse, ou comme un horizon de société.

En 1942, une « qualité humaine »

Construit sur le verbe latin resilire, qui signifie « rebondir » ou « sauter en arrière », le terme a d’abord été conceptualisé par les sciences dures : Francis Bacon (1561-1626) l’utilise, dès le XVIIe siècle, dans son traité philosophique sur la nature des sons pour qualifier la capacité d’un écho à « revenir ». La physique des métaux, quant à elle, fait de la résilience un outil pour évaluer la capacité d’un matériau à absorber l’énergie sans se déformer. De ces applications, la résilience gardera l’idée de robustesse et celle de persistance – ainsi que sa connotation positive.

La résilience est pour la première fois pleinement théorisée comme une qualité humaine, en 1942, en Grande-Bretagne, sous la plume de la spécialiste de l’hygiène et de la santé mentale Mildred Clare Scoville (1892-1969). Celle-ci évoque « l’incroyable résilience des enfants » grandissant pendant la seconde guerre mondiale. La notion s’impose rapidement auprès des psychologues de l’enfant et de l’adulte parce qu’elle remplit un vide conceptuel : « Ce terme venait donner du sens à quelque chose que l’on pouvait observer, notamment dans le domaine de la maltraitance, chez certains enfants qui se construisaient malgré des situations de traumatismes très importants et un peu contre toute attente », explique Marie Anaut, professeure à l’université Lumière Lyon-II et psychologue clinicienne.

Dans les années 1990, l’idée commence à intégrer les discours politiques. Descriptive, elle se fait alors prescriptive

Très plastique, la notion voit son champ d’application s’agrandir à vue d’œil. La résilience dépasse ainsi rapidement le contexte de la guerre, de la maltraitance ou de l’enfance pour désigner la capacité de chacun à reprendre sa vie après un traumatisme ponctuel. Puis on l’utilise pour définir les stratégies adaptatives de familles, de groupes et de communautés face à l’adversité – elle devient alors une qualité collective. Ce nouveau pas conceptuel permet son appropriation par les sciences de l’écologie dès les années 1970, pour décrire la résistance des écosystèmes et leur capacité à revenir à un état d’équilibre ; ainsi que par les sciences politiques, dans les années 1990, pour l’appliquer à des sociétés ou des Etats. La notion commence alors à intégrer les discours politiques. De descriptive, elle se fait soudain prescriptive : d’un constat, elle devient un horizon.

Déresponsabilisation étatique

Dans Gouverner un monde toxique (éditions Quae, 2019),Soraya Boudia, historienne et sociologue des sciences, a relevé, avec sa collègue Nathalie Jas, la façon dont certains acteurs politiques se servent de la notion de résilience pour promouvoir un « gouvernement par l’adaptation ». Dans cette approche, en cas de catastrophe ou de crise majeure, « chaque individu est alors sommé d’acquérir des compétences adaptatives et d’être responsable de sa propre gestion des risques, sans tenir compte de son capital social, culturel ou économique ». A leurs yeux, cet usage néolibéral de la résilience vise à cacher, derrière des connotations positives (d’espoir, de dépassement de soi, voire d’émancipation), une volonté de déresponsabilisation étatique face aux risques.

La notion est-elle alors vouée à n’être qu’un artifice rhétorique pour justifier un « rien faire » des institutions dans un monde en crise ? « Il s’agit de sortir de la conception longtemps défendue par la psychologie que la résilience est un ensemble de qualités fixes que l’on retrouve ou non chez certains individus », explique Philippe Bourbeau, directeur de l’École supérieure d’études internationales de l’université Laval (Canada) et auteur d’un ouvrage à paraître sur la résilience aux Presses universitaires de Cambridge.

La résilience est en effet désormais envisagée comme un processus social, dans lequel le rôle de l’entourage est primordial, et dans lequel les victimes ne sauraient être blâmées. Mais, poursuit Philippe Bourbeau, « il s’agit aussi de sortir de l’approche des études en écologie des écosystèmes, où la résilience est le retour à l’équilibre d’un écosystème après un choc ». Cela implique d’admettre que l’on ne revient pas en arrière. « Pour que la résilience soit opérante à l’échelle politique, il est primordial d’accepter une double position : elle est à la fois question de persistance et de transformation », explique le chercheur. Une promesse de continuité autant que la possibilité du changement.