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Désillusions
Soulagement, c'est bien ce que ressentent certains à l'annonce de la défaite de Trump … bien avant la joie ressentie devant la victoire de son adversaire J Biden. Rien d'étonnant à ceci me dira-t-on : le personnage étant à ce point atypique, détestable, dangereux.
A quoi servirait que je rajoute mon petit grain de sel aux commentaires qui se déversent sur les médias et les réseaux ? A peu si je me contentais d'abonder en leurs sens …
Je m'interroge seulement sur cette retenue, qui m'agace moi-même, cette disposition à contrefaire le sage qui ne se ferait plus d'illusions sur rien, n'espérerait plus rien ; verrait le fond des choses quand les autres se contenteraient de la surface.
Il ne s'agit pas de ceci même si les ans s'accumulant, le risque est de plus en plus grand de ce regard, revenu de tout …
Je n'en sais pas plus que les autres ; je sais ou j'observe seulement ceci :
- Pas d'élections sans liesses : tant Caillois que Girard l'aident à comprendre. Les élections sont toujours - au même titre que n'importe quelle fête - ce moment particulier où une société se met en scène, mime ses divisions, se représente sa réconciliation ; son unité ; se rassemble pour mieux supporter le quotidien et affronter l'avenir. D'où les excès et les bombances à l'instar de toute fête … Elle est, par ailleurs, plus qu'un rituel, un rite : en désignant l'élu, en évacuant le sortant, c'est tout le mimétisme qui parade avec, d'un même tenant, le sacrifice du sortant, sa diabolisation parfois, sa simple disqualification souvent, d'un côté ; la sacralisation du nouvel héros. De ce point de vue, l'appel à l'unité de la Nation que peut lancer un J Biden a quelque chose du truisme : son élection consacre précisément la réunion autour du corps du sacrifié … pour un moment ! Ces liesses sont comme un interlude - que l'on observe toujours et partout ; qui précèdent souvent de peu l'amer retour au réel : la déception ; la désillusion ; la rancœur.
- Prélude de l'aristocratie ? Les grecs n'avaient pas tort de craindre l'élection où par définition on désigne qui l'on croit être le meilleur. De lui préférer ainsi le tirage au sort. Le politicien élu n'est à sa place que dans les hauteurs célestes du mythe. Il n'est pas d'élu qui ne sente qu'il ne s'appartient désormais plus tout-à-fait ; qui ne devine être désormais plus que son individualité. Les monarques même le devinaient … : les deux corps du roi ! La place fait parfois l'homme. Souvent non ! Ce fut le cas ici. Le choc est d'autant plus violent ! Les remontrances voire les haines d'autant plus fortes. Tant mieux quand accèdent au pouvoir des hommes d'exception, des grands hommes comme on dit parfois, ou des grands acteurs de l'histoire comme aimait à les nommer Hegel ; c'est pourtant rare : les seconds couteaux y foisonnent ; parfois bien pires au point de trouver la médiocrité un moindre mal !
ILS n'étaient pas si nombreux, du temps de la Troisième. A peine les entendions-nous venir. Ils appartenaient à l'espèce rassurante des présidents du Sénat, des ministres des Travaux Publics, de la Marine ou du Commerce : l'espèce des serviteurs modestes qui ne se signalent pas par des gestes illustres, mais non plus par des désastres. Comme la tortue, ils s'étaient mis en route très tôt, d'un train si lent qu'on ne les voyait pas avancer, jusqu'au jour où leur effacement même les désigrnait tout à coup : ils étaient arrivés. « Je vote pour le plus bête », la boutade fameuse de Clemenceau n'est cruelle qu'en apparence. Elle ·signifiait : « Je vote pour le plus inoffensif. » Mauriac, Bloc-Notes, Novembre 1953 ou en vidéo
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Ne pas tout mettre sur le compte de la personnalité élue : ce serait erreur d'oublier que les hommes font autant l'histoire que l'histoire fait l'homme. Les circonstances exceptionnelles, en dépit de leurs talents propres, font les grands hommes : est-ce un hasard que les deux guerres mondiales fussent ainsi pourvoyeuses de monstres sacrés tels Clemenceau, de Gaulle, Churchill mais aussi Staline, Roosevelt etc … ? Trump n'est pas là par hasard : il avait été élu il y a quatre ans comme une gifle infligée à une Amérique qui se crut autorisée d'élire un homme de couleur ; et cette année même il recueille une petite moitié des suffrages. Comme une réplique aussi à une présidence Obama qui n'a, de loin, pas tenu toutes les promesses et attentes. Il ressemble aussi à ceux qui l'ont élu ; n'a peut-être fait qu'exacerber des tensions, des haines et des mépris latentes peut-être - mais est-ce si sûr ? - existantes en tout cas. Si la personnalité était décisive, jamais Biden n'aurait été élu qui est plombé autant par son âge que par un charisme d'autobus. Il est, lui aussi, simplement à la croisée d'aspirations complexes : le rejet de Trump et le souci d'une politique apaisée à quoi son image de modéré assagi le prédispose au moins autant que le profil moderne, prometteur, et délicieusement innovant de sa vice-présidente
- Les débuts sont trompeurs et les états de grâce bien éphémères … Comment ne pas songé à cette mention de R Aron à propos de Giscard ? Oui, l'histoire est tragique. Il n'est écrit nulle part ni garanti par personne que les choses dussent à terme s'améliorer. Prouvé par personne que la politique puisse venir à bout des erreurs, fautes, drames et tragédies. Arendt Sous l'écume des jours, des mouvements bien plus lents, souvent inexorables . Le politique est sans doute la scène de la comédie du pouvoir mais l'étal de l'impuissance ; aussi et peut-être surtout.
"Le drame de Giscard, c'est qu'il ne sait pas que l'histoire est tragique. Il donne l'impression qu'à ses yeux tous les problèmes peuvent être résolus par raisonnement, discussion.."
Alors se réjouir de la mise à l'écart de la vulgarité insane, oui, évidemment.
En espérer des lendemains qui chantent ? J'ai du mal !