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Berges … de retour

Ce n'est assurément pas chose nouvelle mais occasion réinventée. Les photos retrouvées des années 1900 montrent assez que les berges de la Seine étaient amplement envahies de badauds mais de commerces aussi et que le fleuve sans conteste était une avenue intérieure.

L'ère pompidolienne en son culte effréné de la modernité automobile les a sacrifiées à la voiture et aux voies sur berges qu'à gauche on a fermées puis, à droite, tellement amputées qu'elles s'épuiseront en leur propre étouffement.

J'aime ces bégaiements de l'histoire : il y va ici comme de ces tramways que l'on réinstalla à peine dix ans après avoir désossé les ultimes rails qui engonçaient encore le macadam de certains centres-ville.

Promenade ce jour, comme les autres, puisqu'il faut bien marcher : je n'avais simplement pas pris garde à cette Fête de la Musique, amplement écornée par les circonstances mais gentiment remuante quand même.

La certitude en tout cas, à moins que ce ne soit mon regard un peu plus aiguisé et attentif qu'auparavant, que le confinement aura poussé hors de chez eux, des paresses dominicales qui trouveront en ces berges de quoi élaguer leur ennui, agacer leur curiosité, ou aguerrir leurs corps amollis par trop d'inactions.

Ces berges, aménagées - et de mieux en mieux - offrent ustensiles pour s'entraîner et échoppes pour se désaltérer ; accès aux parcs où s'entraîner et bancs où rêvasser. Un monde, parfois si bien protégé de la ville qu'on n'en perçoit plus qu'assourdi le brouhaha ordinairement écrasant.

Alors oui, ici et là, des corps désarticulés qui s'essaient à ce que j'imagine être une danse sur fond de musique rap et que le vieil amateur de Bach que je suis aimerait bien tancer de mille noms désagréables si ce soir il ne s'était pris engagement de n'être pas acariâtre. D'autres envahirent ce parc Citroën, jouxtant la voie ferrée mais les berges derechef, pour en faire le tapis de sol de leurs désarticulations.

 

Tout ceci sous l'œil narquois parfois, indifférent souvent, d'une faune qui me paraît plus visible qu'auparavant comme si notre absence de quelques mois les incitât à occuper les lieux … les absents ont toujours tort.

J'étais bien trop occupé à scruter les ciels et suis assurément passé à côté de cette vie là à mes pieds.

Enfin … pas tout-à-fait …

Est-ce de n'avoir rien pu regarder qui me donne désormais cet appétit d'images et de vie dénichée jusqu'aux plus infimes recoins ?

Est-ce d'avoir été si près de renoncer qui me fait m'émouvoir de ces intimes frémissements ?

Je ne parviens pas à demeurer indifférent à cette mère guidant ses petits et protégeant leurs pas encore maladroits et disputant aux pigeons passant par là le privilège du morceau de pain dont se repaissent les canetons?

Pas plus qu'au port si digne de celui qui, au mépris des algues pouacres souillant les eaux, ondoie de gauche et de droite comme l'eût fait Poséidon de son trident pour marquer son incroyable territoire.

Oui, ce fut décidément une bien bonne idée que de vouloir ainsi reconquérir les berges.

A côtés des rumeurs les plus inquiétantes du monde, frôlant presque ces ombres qui s'amoncellent et érodent nos espérances, cette insouciance gagnée sur la rigueur bourgeoise.

Qu'elle éclose autour de la musique illustre seulement ce qui d'elle, aérien et universel, rassemble et vivifie.

Alors oui, autour de quelques tables, dressées à la hâte, entre bitume et tunnel du RER dont on perçoit à spasmes réguliers les crissements métalliques, autour d'une scène de fortune, quelques musiciens, une chanteuse, maladroite laissant tomber son micro, en renversant un autre, tournant maladroitement le dos au public, mais à la voix envoûtante … et il n'en faudra pas plus pour que le ciel oublie sa grisaille . Et que naissent sourires et regards amènes.

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Ici, à côté de la jeune fille sage lisant, l'incroyable barbe du père de famille joue le contrepoint de l'ennui obligé des sorties dominicales ; là les musiciens suivants qui, en attendant savourent leur bière

Il ne faudra plus que quelques enjolivures rock pour qu'un, puis deux, puis trois couples se mettent à danser donnant à ce bout de bitume, juste en face des bateaux-mouches encore réduits à l'arrêt, air de bal champêtre.

 

M'épate, décidément, l'entêtement de la joie.

L'irrésistible puissance de la vie.