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Passage

Rite païen sans doute, qui en vaut bien d'autre … Fêter la nouvelle année n'a pas d'autre sens que le plaisir de se retrouver. Il y a pourtant là-dessous comme une pincée de magie …

La photo est de Brassaï date des années 30. Tout en elle respire une période bien ancienne désormais, radicalement dépassée : ces jeunes garçons à blouse et culottes courtes disent une ville où l'on pouvait encore traîner et où les enfants jouaient, découvraient … une ville qui était aussi leur espace. Désormais les enfants ont des activités en centre ou en club ou bien restent chez eux rivés à leurs écrans ; la ville qui était leur royaume les a insidieusement remplacés par l'automobile et les divers affairements professionnels.

La série dit la fascination : les enfants progressivement s'agglutinent guettant entre les interstices laissées par les planches maladroitement jointes cet insolite ou cet événement que protège la palissade.

C'est un peu l'attitude que nous avons en cette période de fête nous piquant de faire le bilan de l'année qui s'achève et de célébrer la nouvelle qui s'annonce : nous n'aimerions pas tout en savoir - la vie mériterait-elle d'être vécue si elle ne réservait aucune surprise ? - mais ne détesterions pas en augurer les prémices. Hâbleurs, il nous arrive de contrefaire les aventuriers bravant défis et épreuves pourtant nous nous épuisons à stocker, anticiper, prévoir. Vivre est affaire de temps : celui que l'on vit moins que celui que l'on surprend.

Regarder par le trou de serrure, jouer les souris qui surprennent toujours quelque chose que nul autre ne voit, braver l'interdit ; jouer les mystères … attitude loin d'être exclusivement enfantine. L'histoire n'aime pas les eaux calmes non plus que la littérature les bons sentiments : nos anticipations sont toujours alarmistes et nos prévisions catastrophiques. Quitte à n'en pas tenir compte. Telle est la loi du genre. Derrière les palissades, toujours des chantiers qui édifient peut-être mais se préparent dans le fracas de démolitions préalables. Nous nous flattons de nos monuments mais escamotons les chantiers. Va pour l'effort … pourvu qu'il ne se voit pas trop. Nous avons appris à vanter le travail libérateur mais quelque chose du grec subsiste en nous : nos élites et idoles ne suent point à la tâche voire miment l'oisiveté. L'aisance et la facilité demeurent le comble de l'élégance. L'effort humain ? Va pour le poète ; pas pour le réel.

Nous avons tous été ces enfants : s'y balbutie ce qu'il y a de plus humain en nous - cette curiosité qui loin d'être un défaut est volonté de découvrir, désir de n'en rester pas là ; cette capacité de dire non. Nous voulons savoir, comprendre ; deviner même où l'on nous mène. Alors nous scrutons, devinons et imaginons. Faisons comme si. Comme si le réel ne cachait rien ni les hommes ne mentaient. Mais l'existence est cette palissade. même. Elle cache mais nous permet de soutenir le regard. D'entrevoir. Parce que le temps, non plus que les dieux, la mort ou le soleil ne se regardent en face, ne se peuvent soutenir du regard.

Homme veux-tu savoir qui tu es ou bien au moins l'enfant que tu fus ? Trouve la palissade derrière quoi tu te réfugiais et protèges encore tes espérances. Il suffisait de le deviner palissade n'est pas mur mais pont et chemin.

Mais la contagion gagne … Au début ils n'étaient que deux ; ils seront bientôt quatre. Il suffisait que l'un ou l'autre les observe pour être comme aspiré par la même curiosité. On nommera ceci fascination mais c'est bien ainsi - sous le doux vocable de mimétisme - que R Girard expliquait le déploiement irrésistible de la violence. Il suffit que je signifie à l'autre posséder quelque chose qui procure plaisir, avantage ou bienfaits pour que celui-ci tente de se l'approprier ou au moins d'obtenir la même chose. Ce n'est pas la contrariété ds désirs qui provoque la violence mais leur ressemblance. Or rien n'est plus désirable que ce qui est ainsi - à moitié - caché, révélé ou suggéré. Il en va ainsi de la vérité, selon Heidegger, qui est dévoilement : c'est qu'on ne s'enquiert pas de ce que l'on ignore totalement.

Il n'est décidément pas de dévoilement sans enfouissement préalable ; pas de main tendue sans poing préalablement serré ; et la diplomatie encadre trop les guerres pour ne pas lui soupçonner quelque sourde accointance avec elles. Pas de lumière sans ombre. Mais précisément en plein midi, il n'est qu'aveuglement. Parfois - en fait toujours - c'est l'ombre qui permet de voir. Voici la magie de la photographie comme de tout art : ce qu'il y a à voir, comprendre ou aimer s'y devine sans se voir jamais. Thalès au fond de son puits le comprit à l'opposé de la sotte servante de Thrace.

Ce qui est à voir est en nous

Cherchons nos palissades.