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Fins ultimes …

 

A voir certaines photos, à lire certains textes suggérant que tout tournerait à la catastrophe, deux images se télescopèrent qui, dans leur opposition, résument assez bien les sentiments ambivalents que suscitent les événements de ces derniers temps.

D'un côté la certitude, désormais peu remise en question, d'une aggravation des conditions climatiques, de l'autre une méfiance à l'égard non tant du fait lui-même que des angoisses millénaristes que l'on sent monter - dont certains cultivent et exploitent les remugles sans vergogne. Il n'est rien de plus dangereux qu'une nation qui a peur : elle se jette d'autant plus aisément dans les bras de l'extrême-droite.

Catastrophe ; fin du monde : oui, décidément l'eschatologie est tendance !

Détour par les mots

Il faut écouter les mots : ils ont toujours beaucoup à nous dire : la catastrophe - καταστροφή - est un renversement, un bouleversement. Il y a l'idée de tourner et retourner la terre, par exemple, mais avec violence. Puis de mort ! Est catastrophique ce qui va à son terme, à la fin. Ce n'est pas un hasard si le terme désigne aussi, dans le théâtre grec, le dénouement du spectacle. La strophe qui en est le suffixe désigne la partie chantée par le chœur évoluant de droite à gauche. Kata signifiant de haut en bas, tout mouvement de descente ou d'opposition.

C'est en réalité le même sens que l'on retrouve dans fin qui désigne à la fois le terme de quelque chose et le but. Τέλος c'est bien l'achèvement, la réalisation et donc ce qui doit être accompli. C'est bien avec ce terme qu'Aristote désigne la cause finale, la plus importante à ses yeux, qui notamment révèle l'intention dans les actes humains. Il est loin d'être exact que, moralement, la fin justifie les moyens ; néanmoins c'est toujours l'idée de cette fin qui explique les moyens qu'on se sera donnés. La fin est à l'extrémité ; le moyen comme son nom l'indique - c'est encore plus évident en allemand Mittel - est un intermédiaire.

C'est, sûrement le contraire du hasard; exactement le sens qu'a  ἔσχατος dans eschatologie : l'extrémité ou ce qui vient en dernier. Ce qui est le plus éloigné du centre. Rien n'est plus intéressant que l'extrême qui peut simplement désigner la position la plus éloignée de soi (Extrême-Orient par opposition à Moyen-Orient) mais qui dit aussi l'outrance, l'excès ; la violence. L'ὕϐρις.

De ce point de vue, extrême, qui est le superlatif d'exter (extérieur) est l'antonyme parfait d'intime qui est superlatif d'intérieur.

L'eschatologie est discours sur ce qui nous est le plus étranger, le plus éloigné. Sans doute est-ce pour ceci que nous ne parvenons ni à comprendre ni à admettre ni même seulement à envisager la fin d'un monde, ou du monde. Non plus que la nôtre.

Que serait, après tout, le monde si nous n'en étions plus ? S'il n'était plus personne pour le regarder, désirer sans emparer ou simplement le trouver beau ? Que nous importe qu'il se désagrège si nous ne sommes plus ? Signe péremptoire qu'entre nous et le monde le lien est constitutif ; substantiel ; en rien occasionnel.

Mais nous nous hissons ici au lieu même de ce qui ne se conçoit ni ne se peut dire.

Dans ce qui, à peine se révèle.

Nos existences sont ce fil tendu entre être et néant, entre l'intime le plus obscur et l'extrême le plus étrange.

Il faut chercher ces pas glissés sur le fil qui de nous fonr si hasardeux funambule.