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Ainsi, profonde, Murmure une onde Qu'on ne voit pas.

 

Il est des moments, pas si rares que cela, finalement, où tout s'inverse, s'interpénètre et finit par s'équivaloir ; où les lignes que l'on avait crues nettes voire presque trop, s'estompent et cessent subitement de plus rien séparer ou distinguer, nous abandonnant au plus inquiétant mélange, celui-là même que l'on nomme désordre et qui nous inquiète tellement.

C'était hier ou avant-hier, qu'importe désormais puisque de confinement en couvre-feu, les jours se répètent et ressemblent ; en me promenant et passant devant ce bistrot où j'avais déjà tenté ce printemps de saisir ce qui au mieux ressemblait au délaissement, au pire à de la désertion, je pris cette photo intrigué par ce percolateur resté allumé comme si le tenancier avait eu voulu se rassurer ayant ainsi extrapolé une ouverture imminente.

Je crus d'abord la photo ratée … mais non ! Tout à l'inverse. Ici la vitrine en même temps reflète et laisse à voir, joue la transparence autant que le miroir, la présentation que la représentation. Où ici l'objectif ? où le subjectif . Où l'intérieur vaut l'extérieur. Rien n'est net ; tout s'évase en un flou pas même artistique.

Le grec dit chaos - Χάος - la Genèse tohu-bohu - תֹ֙הוּ֙ וָבֹ֔הוּ - qui est l'état du monde juste après la création ; tellement désordonné, impensable, avant tout principe et toute loi, qu'il ne peut provoquer qu'effroi ou stupéfaction. Si Descartes n'a pas tort en désignant le vrai comme le clair et distinct, alors oui, la confusion, le mélange est la caractéristique même de l'irrationnel, du désordre ; de l'impensable.

J'aime la langue populaire pour le dire avec précision : c'est clair ou confus dira l'homme de la rue sur une indication qu'on lui aura donnée.

Voici jolie leçon de métaphysique où sujet et objet se télescopent : j'aurai pris ainsi image de l'image. Une méta-image. Et me voici parlant sur un discours qui en vérité ne dit rien, ne peut plus rien dire. Dissertant non pas sur le sens d'une image mais sur l'image dans l'image qui d'ailleurs ne montre rien. Comme si le sens n'était qu'illusion, l'ordre un camouflet du désordre ou que le sens caché de ce qui apparaît et se présente fût et n'eût jamais été que désordre, hasard, confusion extrême. Que la signification du sens ne fût rien d'autre que le non-sens.

Rien n'est objet ou bien tout, c'est selon ; c'est comme on voudra puisque ceci revient au même. Ne cherchez pas de focalisation : il n'y en a pas. L'observateur n'est pas dehors, mais pas dedans non plus : c'est un peu comme si le monde se regardait lui-même. J'aime que la langue nomme réflexion l'acte de la pensée en même temps que cet aller-retour de la lumière butant contre un obstacle, je veux dire un objet. Ce qu'elle avoue, en physique comme en philosophie, c'est bien cette conscience se saisissant d'elle-même, se plaçant à l'extérieur pour mieux voir mais se donnant en même temps que ce qu'elle scrute. Il n'y a pas d'étalon, pas de référence ; aucune correspondance autre que circulaire entre mots et choses ; ce n'est pas qu'ils mentent ; ce n'est pas non plus qu'ils joueraient. Ce n'est même pas qu'ils soient arbitraire. Ils s'entre-légitiment en une vertigineuse spirale. Cercle vicieux ou boucle de rétroaction ?

La moto fièrement inclinée à l'autre bout de la rue semble soutenir le comptoir ; il n'est ici qu'outils de locomotion qui ne se peuvent plus rendre nulle part. Chaises entassées, comptoir sans verre rempli ni palabres enivrées : il n'est ici qu'outils de rencontres qui ne s'opèrent plus.

La nature est belle mais elle ne le sait pas, pérorait Alain. Le monde a peut-être un sens … mais pas sans nous. La sortie du chaos, aimerait-on dire, s'ourdirait avec l'apparition de l'homme. Mais c'est encore pêcher par orgueil. Je vois plutôt l'hélice frénétique qui fait l'homme chercher signification dans le monde et celui-ci en la présence humaine.

Comme en ce jeu où chacun se tient. Mal souvent. Avant d'éclater de rire.

La leçon est pourtant limpide à tirer : qu'un des deux vienne à se retirer et tout s'effondre.

Il semble bien, aujourd'hui, que les deux se dérobent simultanément.