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Lendemains

De m'être promené la nuit tombée et d'y photographier un peu tout et n'importe quoi j'ai fini par comprendre combien la lumière sait exhausser même l'anodin. Noël s'en veut le règne où dominent les guirlandes et les promesses clignotantes de sapins savamment décorés.

Et puis, tellement triste … l'après !

Il prend parfois des formes convenues …

Je me souviens des sapins de mon enfance, gigantesques pour le petit garçon que j'étais, illuminés à vous en aveugler - c'était l'époque où sans crainte, on le garnissait d'une profusion de bougies qu'on allumait soigneusement - ces flammes qui chancelant allègrement semblaient scander la musique que l'on écoutait, prélude à la lecture de courts textes sacrés : il eût semblé vulgaire à mes parents d'abandonner cette soirée à une bien trop païenne distribution de cadeaux s'ils ne l'incrustaient de pieuses pensées … quoique eux-mêmes y sacrifiassent allègrement en n'y boudant pas leur plaisir.

Comment oublier ces senteurs si particulières où les épines de leur verdeur entêtées épousaient les volutes de cire chaude s'agglutinant en de si mystérieuses formes ? Et les rêves de cadeaux qui allaient invariablement être distribués par nos mains empressées mais qui déjà s'étaient entassés sous le sapin.

Le rituel familial voulait que les enfants n'assistent pas à la décoration du sapin : c'était l'occasion de traîner au marché de Noël où notre grand-mère paternelle nous offrirait bien quelques bredele avant de nous entraîner au cinéma. Quand nous rentrions, la nuit depuis longtemps tombée, parfois, les rues pesamment enneigées, le contraste devait nous éblouir de ce sapin fier comme savent l'être les héros de nos songes ; mystérieux comme nos contes.

Mais jamais nous n'assistions non plus au désossement de l'arbre. Le sacré s'accommode mal du profane. Et même si les débuts appellent les fins et que la mort est inscrite dès les plus infimes détails de la vie, il ne semblait pas alors séant de s'étioler au vu et su du monde. Se retirer en toute discrétion était l'hommage du à l'espérance.

Encore aujourd'hui je peine à voir les illuminations ôtées de nos rues : l'année, pour moi, commence toujours mal.

Mais que dire de ceci ?

On ne devrait jamais étaler ses poubelles … même si celles-ci semblent reliquat d'un déménagement.

Je n'ai jamais pu jeter un livre et ma bibliothèque, sans doute, cache bien des doublons. Mais quoi ? Jeter un discours de la méthode sous prétexte que je le posséderais déjà ? ou ici un Victor Hugo. On me dit que le livre se meurt à la fois parce que le numérique le remplace et que l'on lirait moins … presque plus. Ce n'est pas vrai et l'activité des libraires au sortir du confinement l'atteste.

C'est donc notre rythme de vie, la course folle à la performance et les trépignements capricieux de nos parcours aveugles qui insidieusement nous y conduisent.

Je ne dis pas que c'était mieux ni même que le livre numérique ne soit pas une alternative intéressante. Il m'arrive de les utiliser, pour des essais ou des grands textes philosophiques,non tant pour les lire d'un seul tenant que pour y repérer un passage connu mais dont j'ai oublié l'emplacement exact. Mais jamais pour une lecture d'un seul tenant ; jamais non plus pour des romans.

Je dis seulement que le livre, ces pages que l'on tourne lentement, quitte à y revenir, remettent nos pas dans les traces laissées par les grands anciens.

Est-ce un hasard si, dans l’École d'Athènes, Raphaël prend soin de représenter Parménide et Héraclite, mais Diogène encore autant qu’Épicure ou Pythagore un livre à la main, ou bien une page où écrire ?

Nous sommes une culture de la parole et du livre, même si l'image désormais tend à y prendre place autrefois disputée.

Cette écriture, que j'ai malheureusement désapprise ; cette plume qui distribue ses ornement, fioritures, pleins et déliés au gré des lignes tracées ou qu'elle trace le plus droites possibles, est affaire de main, de celle qui selon Aristote signale l'intelligence ; est affaire de création.

Parce qu'elle sait de taches d'encre susciter émotions, doutes, enthousiasmes ou tristesse, elle est œuvre de vie.

La réduire à l'état de détritus est d'une insondable tristesse.

Je la préfère envahir mon espace, occuper mon temps ; orner ce qu'il me reste d'avenir.