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Choses vues, lues ou entendues …
l'art du bric-à-brac

 

Serais-je devenu vieux ronchon ou, pire encore, vieux con râleur, bougon et intempestif ? Toujours est-il que, lisant ceci dans Le Monde, je retombais sur cette curieuse expression de cours de récréation non genrée. Référence faite à Mme MARUÉJOULS qui s'est déjà fait connaître en affirmant dans cet article : « Dans les cours de récréation, les filles sont invisibilisées ». Cette universitaire qui apparaît comme spécialiste de la géographie du genre, semble ici encore se réjouir qu'on efface toute trace d'un terrain de foot pour ce que le foot fût essentiellement masculin.

Soit !

Lu par ailleurs, dans un fil de discussion sur Twitter qui est quand même devenu le plus admirable déversoir à haine, suspicion et conneries en tout genre, une jeune femme relatant l'agression - en tout cas verbale si j'ai bien compris mais vite méprisante et haineuse - dont elle fut victime un soir à la sortie du métro. Et la machine infernale à tweet de s'enclencher et les uns et les autres de souligner combien décidément l'espace public mériterait d'être dégenré tant encore il consacrait toujours et préservait l'omniprésence impérieuse des hommes.

Soit !

Je veux bien admettre que l'homme que je suis aura toujours du mal à comprendre l'ampleur de la peur qui peut saisir les femmes le soir, la nuit, dans le métro. Je ne crois pas avoir jamais agressé quiconque, ni même avoir jamais été témoin de tels harcèlements ; je n'en mesure sans doute pas assez la gravité ; je n'en sous-estime pas pour autant la réalité. Pour autant je ne comprends toujours pas ce que pourrait vouloir dire dégenrer l'espace urbain. J'entends bien que l'égalité homme/femme est objectif on ne peut plus légitime et objet sans doute d'un combat sans cesse perpétué parce qu'il est affaire autant de réalités sociales que de mentalités, d'éducations et donc à reproduire à chaque génération. Pour autant j'ai grande difficulté à comprendre ce que peut signifier s'émanciper de cette norme dominante hétérosexuée, stéréotypée et hiérarchisante.

Qu'on me pardonne : je ne m'excuserai jamais d'être ce que je suis ! Considérer l'identité sexuelle comme une norme, la considérer quand elle est hétérosexuelle, comme contraignante et stéréotypée, c'est finalement, à rebours, tenir le même discours que Zemmour quand il hurle à la guerre d'extermination de l'homme blanc hétérosexuel

Je peux même entendre que l'émancipation des femmes passe parfois par des embardées voire des provocations … après tout ! Mais vouloir mener le combat par les mots et ce type de symboles me semble étrange. Je veux bien entendre que l'émancipation des femmes passe par la fin de l'hégémonie masculine et la perte de l'emprise des hommes sur le destin des femmes ; je ne vois pas en quoi, pour parler comme elles, cela devrait passer par l'invisibilisation des hommes. Outre qu'il serait mensonger de nier les progressions depuis Le 2e sexe, outre qu'il serait malhonnête de nier que le corps social accepte (un peu) mieux en tout cas moins mal l'homosexualité qu'autrefois - ce que désormais l'on nomme préférences sexuelles - même si ce ne sera jamais assez. Pour autant ce serait une erreur grave et dangereuse que de considérer, d'une part, que nous nous résumions à notre identité sexuelle qui n'est après tout qu'une facette de ce kaléidoscope d'appartenances qui nous constitue ; d'autre part que cette volonté légitime d'égalité - passons sur les outrances et les sottises - dût se faire ni contre les autres ni en privilégiant à rebours tel groupe plutôt qu'un autre.

Réfléchissez bien, Mesdames, le problème n'est peut-être pas tant ( ou pas exclusivement) celui du genre, que celui de la violence, tant physique que verbale, qui n'est pas l'apanage des seuls hommes …

Je me promène et je lis ceci sur le parapet d'un pont ! J'ai beau chercher ; je ne trouve pas de sens à cette inscription. J'entends bien celles qui fleurissent dans tout Paris protestant contre les maltraitances, les violences voire les meurtres de femmes et le silence parfois lâche des hommes mais là … ?!!

 

L'aura-t-on remarqué, les grands rassemblements mis à part où s'expriment plus aisément une émotion - après les attentats par exemple - ou une colère d'ailleurs moins articulée que déversée - les gilets jaunes - plus personne ne manifeste plus : l'espace public, à la place des rues, est désormais envahi par des inscriptions diverses, taguées à peu près n'importe où manifestant moins un discours construit ou une démarche collective qu'un prurit individuel.

C'est ce même individualisme bougon qui ressort de ce second article plus récent dénonçant le prix à payer par les jeunes : les auteurs, qui se proclament à peu près tous consultants - de quoi on aimerait le savoir - et tous issus d'HEC et Science PO - qui font donc partie de cette élite supposée cultivée et première de cordée, proclame sans honte, vergogne ni sans doute conscience, la fin du pacte républicain. S'insurger que les jeunes aient à payer les frais de la crise, du confinement et des retraites pour la génération précédente des boomers qui se serait gavée quand eux auraient à trinquer revient simplement à en finir avec la solidarité ; revient simplement à en finir avec l'unicité de la République. On sait bien que la valeur princeps de l'individu fait partie des canons de la pensée libérale, mais entre ceci et l'individualisme avaricieux, je pensais qu'il y avait une marge que la suffisance, le mépris et la fatuité de ces arrivistes empressés viennent d'effacer.

Je m'amuse de me souvenir de cette troisième voie que cherchait de Gaulle entre le laisser-passer laisser-faire et le communisme : même ce rêve, par ailleurs illusoire est frelaté. Ce n'est pas tant que le libéralisme eût gagné la victoire idéologique, c'est que, bien plus, la solidarité ne semble plus devoir dépasser les limites étroites de la famille proche et les préoccupations ne plus concerner que la performance et la rentabilité que ses placements eussent autorisés ou que ses conseils eussent permis. C'est la société elle-même, non seulement la collectivité en elle-même mais l'organisation de celle-ci par un Etat, une législation etc qui apparaît comme le repoussoir ultime. Quelle régression ! Quelle dégringolade !

On dit vrai quand on suggère que le monde que l'on quitte n'est jamais celui dans lequel on est né. Si je m'y repère encore, décidément, je n'aime pas ce que devient ce monde.

Restent, ici et là, les traces que laisse notre humanité. Traces pas toujours glorieuses, mais amusantes parfois. Comme si le confinement avait fait percevoir combien cet espace public était autant nécessaire que fragile ; comme si l'on eût craint qu'il disparaisse et qu'on voulût en profiter, même épuisé, même masqué !

Vite respirer quand c'est encore possible ! Car oui, décidément, l'atmosphère se fait irrespirable. Et le monde d'après, quoiqu'en en eût dit ou rêvé, ressemble furieusement au monde d'avant … le cynisme ou l'inconscience désabusée en plus.

Me trouble néanmoins cette humanité masquée qui tente de faire comme si, mais qui ne peut se regarder autrement que comme son propre danger - ce qu'au reste elle est effectivement.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


« LA VILLE COMME ESPACE GENRÉ » : ENTRETIEN AVEC ÉDITH MARUÉJOULS


Quels liens pouvons nous établir entre urbanisme et féminisme ? Quelles problématiques rencontrent aujourd’hui les femmes dans une ville pensée par et pour les hommes ? Édith Maruéjouls, géographe, féministe scientifique, spécialisée sur les questions de mixité, égalité et genre aborde dans cet entretien plusieurs pistes pour appréhender les inégalités réelles, et particulièrement dans les espaces du loisir des jeunes, terreau des inégalités.

Edith Maruéjouls, vous avez publié une thèse intitulée Mixité, égalité et genre dans les espaces du loisir des jeunes. Qu’est-ce qui vous a menée à vous intéresser à ce sujet ?

Il faut que je rectifie : ma thèse n’est pas encore publiée, et même pas encore soutenue ; il faudra attendre ce mois de septembre pour ça. Je me suis intéressée dans ce travail à un espace particulier : les loisirs des jeunes, cœur de ma thèse, mais j’ai également développé tout un argumentaire scientifique. Je voulais montrer l’impact de la division sexuée du loisir des jeunes sur la manière d’utiliser la ville par la suite en tant que femmes ou hommes. À partir de l’adolescence, on identifie les lieux et espaces comme spécifiquement masculins ou féminins (rarement mixtes). On apprend aux garçons à investir l’espace public, les filles, quant à elles, sont « reléguées » à l’espace privé et une majorité d’entre elles décroche de l’espace public.

J’en suis venue à ce sujet par une démarche à la fois personnelle et professionnelle qui m’a amenée à écrire une thèse. Après un DEA de sociologie en 1997, j’ai travaillé comme experte sur l’espace de la ville, et notamment sur les politiques de jeunesse en liaison avec les politiques de la ville. J’ai très vite perçu des inégalités de « traitement » entre les filles et les garçons. Quand on évoque par exemple la prévention de la délinquance dans les quartiers populaires, c’est un dispositif qui profite davantage aux garçons. Quand on parle de la jeunesse, on s’adresse surtout aux jeunes garçons.J’ai travaillé sur ce sujet pendant plus de 10 ans avant d’être contactée par le milieu universitaire pour participer à la création du réseau « Mixité, Parité, Genre » (composé de professionnels de terrain, universitaires, institutions territoriales et associations féministes), afin d’étudier les inégalités réelles sur les loisirs. Le Conseil Régional d’Aquitaine a alors décidé de soutenir une thèse sur les équipements publics sous l’angle du genre, dont on m’a demandé de prendre les rênes. Cette proposition m’a ravie car j’avais besoin de prendre du recul sur mon expérience de terrain, et également de construire un argumentaire théorique, d’acquérir une démarche scientifique.

Quel rapport entretenez-vous avec les Gender Studies, florissant en France depuis quelques décennies ? La question de l’urbanisme féministe est-elle réellement novatrice ?

La question du genre se pose dans tous les domaines de la vie d’un individu : marché du travail, famille, couple et parentalité, citoyenneté, loisirs … Elle fait partie de la construction identitaire de tout individu et traverse l’ensemble des classes sociales et des problématiques humaines.

Le sous-titre de ma thèse, c’est « pertinence d’un paradigme féministe ». Dans les questions féministes apparaissent souvent et légitimement la question du travail, relativement médiatisée et étudiée, la question des violences et de la domination, centrale, mais très -trop- peu d’études sur la question du loisir. Cette dernière est pourtant prégnante, d’autant plus pendant l’adolescence car on passe d’un loisir mode de garde (par structure éducative), à une forme de loisir pour soi (où on a véritablement le choix) ; c’est une période où on quitte un espace de « garde sécurisé ». Elle coïncide avec l’entrée au collège, au début de la construction de l’identité personnelle mais aussi sexuée.

Si on prend le milieu du sport, on retrouve toutes les caricatures de l’inégale possibilité de mixité filles-garçons. On instaure sous couvert de performance, la non-mixité et les inégalités filles/garçons dans un secteur qui se veut être un secteur de loisir.  Ne pas faire jouer ensemble les filles et les garçons au prétexte d’une inégale performance, c’est nier qu’il existe des différences entre les groupes de sexe eux-mêmes, tous les garçons ne sont pas également compétents, endurants, etc. En outre, c’est également interdire toutes les autres formes de mixités, Grands/petits, Valides/handicapés, Lents/rapides, etc.

Le paradigme féministe pose la question du mélange dans le partage : on peut alors concevoir que faire jouer et vivre ensemble filles et garçons soit un projet de société juste, démocratique et égalitaire.

De plus, la fréquentation de ces équipements affiche 2/3 d’hommes pour 1/3  de femmes. Ce déséquilibre à lui seul suffit à interroger l’inégale redistribution puisque l’équipement public s’adresse, de fait, à deux fois plus d’hommes que de femmes.

L’un des grands problèmes que rencontrent actuellement les gender studies en France, c’est qu’on n’arrive pas à assumer l’apport du féminisme dans la science. Or la pensée féministe scientifique permet de déconstruire une approche androcentrique pour proposer la construction d’un savoir tenant compte de la hiérarchisation des rapports sociaux de sexe, comme le gender budgeting par exemple, véritable outil méthodologique.

Il y a toujours eu des urbanistes femmes et hommes qui ont posé la question du genre dans l’urbanisme, notamment à l’échelle européenne, comme les scientifiques allemand(e)s qui organisent des colloques depuis 30 ans sur ces sujets.

Ce n’est pas une question neuve, c’est peut-être une approche novatrice, en tous cas actuelle.

Comment faire pour ne pas, en voulant les combattre, renforcer les clichés en prônant une politique « féminisée » de la ville ?

La vraie question, c’est pourquoi est-ce qu’on en est encore là aujourd’hui, dans une démocratie pleine et complète, qui a accompli depuis 40 ans son égalité en droit ? Les humains changent, la ville aussi.  La réalité sociale est différente aujourd’hui, il faut partir de cette base.

La question de la mixité est dévoyée en France. On a insufflé beaucoup de confusion dans les termes de mixitéégalité et genre. La mixité est un rapport « comptable » de 2/3 pour 1/3. Un mélange à minima de 2/3 d’un sexe pour 1/3 de l’autre est la condition au partage. Donc la mixité est un préalable mais ce n’est pas suffisant. L’égalité se décline à travers quatre concepts. L’égalité en droits, l’égale redistribution (justice sociale), l’égal accès (les mêmes choix) et l’égale valeur (pas de hiérarchisation). Un des enjeux est d’arriver à une égalité réelle ou égalité de traitement entre les femmes et les hommes, en travaillant sur les trois niveaux d’égalité non encore acquise.

Pour revenir sur l’exemple du sport, ce n’est pas l’équipement qui est problématique en soi, mais le message qu’il produit et véhicule.

On institutionnalise la présence masculine en construisant massivement des équipements à symbolique masculine et à forte fréquentation des garçons et des hommes. Or ce faisant, on instaure une inégale valeur (équipement masculin plus présent), une inégale redistribution (argent public en direction majoritaire de la pratique masculine) et un inégal accès (les filles et femmes, de fait, ont moins de lieux de pratiques). L’enjeu est de savoir comment s’approprier l’espace public à égalité, peut-être en neutralisant les équipements et en qualifiant peu l’espace extérieur sous l’angle des pratiques sexuées stéréotypées. Lorsqu’on construit des terrains de boules, parc de jeux pour enfants, skate parc, city stades, etc, on contribue à sexuer les espaces .

 

La priorité, c’est que les femmes puissent s’exprimer à égalité avec les hommes. Le système du genre repose sur la construction de deux groupes sociaux de sexe qui s’uniformisent autour de stéréotypes et organise la hiérarchisation. Il faut selon moi repenser ce système, sous la forme d’une gouvernance égalitaire s’appuyant sur des projets de société. Travailler sur un réel projet politique, en couplant mixité et égalité pour déconstruire le système du genre.

Certains prétendent que c’est aux femmes de s’emparer des infrastructures considérées comme réservées aux hommes, pour se les approprier. Que leur répondez-vous ? 

Il faut être là où on ne vous attend pas, où on ne vous demande pas de venir. Pas dans l’affrontement ni dans la violence, mais dans la justice. Nous sommes là car nous avons le droit d’être là. Ce n’est pas ici une revendication de liberté mais d’égalité.

On revient toujours insidieusement à la question du consentement individuel. Il ne faut pas oublier que l’agrégation des consentements individuels ne fait pas le consentement collectif ! Dans mes travaux, j’ai délibérément fait le choix d’interroger l’action politique et sociétale, et non pas uniquement de ramener la question des inégalités à des choix individuels. En tant qu’individu, je fais mes choix, et mon égale liberté est aussi d’être à égalité avec les hommes dans tous les espaces. Mais tout n’est pas qu’une question de prise de conscience individuelle. Par ailleurs, il faut garder en tête que l’insécurité est réelle, et que « s’emparer des infrastructures » peut-être une prise de risque Objectivement, la rue n’est pas plus dangereuse que le domicile, mais la majorité des femmes ne se sent jamais réellement en sécurité.  De nombreuses stratégies de déplacement dans la ville sont mises en place, notamment la nuit, les femmes confrontées à du harcèlement de rue, de la violence dénoncent souvent l’inaction des autres, hommes comme femmes. Le consentement collectif prend parfois la forme d’une résignation.

La prise de responsabilité individuelle ne suffit pas. Pour que les femmes et les hommes  puissent partager les espaces (politiques, publics, familiaux, du travail, etc.), les hommes et les femmes doivent agir collectivement.

Il faut neutraliser les espaces en arrêtant de les qualifier et de les légitimer comme féminins ou masculins. L’envahissement de l’espace public dans une dynamique de mixité est un mouvement tout à fait légitime selon moi.

 

Créer des espaces de mixité suffirait-il à faire ven. ir spontanément les femmes, à changer réellement les stéréotypes et les mentalités ?

Aujourd’hui, la difficulté est qu’il n’existe pas de culture féministe ou alternative pour s’émanciper de la norme dominante hétérosexuée, stéréotypée et hiérarchisante.

Même si la norme législative est égalitaire, dans notre pays républicain et démocratique, une norme supérieure et tacite s’impose à nous, celle du système du genre, agissant comme une véritable symbolique du quotidien : codes vestimentaires (pas de jupe trop courte pour les filles, pas de robe pour les garçons, etc.) norme comportementale (pas de pleur, virilité, féminité, corps normé) et norme identitaire (qu’est-ce qu’être une fille, qu’est-ce qu’être un garçon).

On ne peut pas créer de la mixité par un simple texte. En France, il n’y a pas d’espaces interdits : on ne peut pas légalement interdire à une femme d’entrer dans un café à 1h du matin. Mais la question de la légitimité symbolique est centrale. Qu’est-ce qui fait, dans notre société moderne, qu’une femme ne puisse pas être seule dehors la nuit au même titre qu’un homme ? C’est toute l’histoire et l’héritage patriarcaux qu’il faut analyser.

Dans l’approche féministe, tout ce qui est privé est politique et d’ordre public.

Pour moi, il n’y a pas d’alternative à la mixité, mais il s’agit de proposer une mixité active, fondée sur les enjeux d’égalité réelle entre les femmes et les hommes.

La question de la place (symbolique comme littérale) des femmes est encore aujourd’hui conditionnée par le regard des hommes. Existe-t-il selon vous une solution « urbaine » possible pour modifier ce regard, et surtout pour s’en émanciper ?

Je pense qu’il ne faut pas poser la question du regard des hommes qu’aux femmes. Les hommes ont-ils envie d’être en permanence considérés comme des agresseurs potentiels ? La vraie question est celle aussi de l’émancipation des hommes pour qu’ils aient la possibilité de se positionner différemment. La question du regard masculin est une question de changement, d’évolution de pensée, qui nécessite une déconstruction de la pensée dominante actuelle.  Là encore c’est une question de partage, partage du diagnostic, des objectifs, des outils, de la méthodologie et des impacts.

Chaque urbaniste, chaque homme ou femme ayant un rôle dans la mise en œuvre des politiques publiques doit être sensibilisé/e à cette problématique égalitaire.

De plus en plus d’expérimentations urbaines, de projets urbains conçus dans une démarche intégrée de l’égalité, sont à l’œuvre. Il faut mutualiser ces expériences, échanger, ouvrir les débats.

Dès qu’on travaille réellement sur la question de l’égalité femmes/hommes, les choses changent. On peut penser que c’est utopiste, mais la clé est de redéfinir ce qu’on est, quel est le projet de société à mettre en route et d’organiser l’expertise et l’initiative professionnelles.

Je crois que s’interroger en « chaussant les lunettes » du genre, c’est poser à l’ensemble des êtres humains dans leur hétérogénéité le sens de l’égalité et du vivre ensemble. C’est permettre une émancipation et une avancée dans tous les domaines pour chacun et chacune d’entre nous.

 


« La génération confinement paiera pour les boomers »

Emmanuel Blézès

Président du groupe de réflexion et de prospective Club 2030

Yama Darriet

Consultant

Charles Mazé

Consultant

Emmanuel Blézès, Yama Darriet et Charles Mazé, trois jeunes diplômés, dénoncent dans une tribune au « Monde » le poids que la politique sanitaire et les dépenses publiques liées à l’épidémie font peser sur les jeunes.

 

Tribune. Imaginez qu’on vous demande, à partir de vos vingt ans, de rembourser l’emprunt qui a permis à vos grands-parents d’acheter leur appartement. Quoique surprenant, ce cas d’école permet pourtant de comprendre le mécanisme de transfert générationnel du poids de la dette contractée au cours de la crise due au Covid-19. La génération confinement paiera pour les boomers.

La dette publique française devrait atteindre près de 120 % du produit intérieur brut (PIB) en 2022, soit environ 500 milliards d’euros d’augmentation par rapport à 2019. Qu’ont-ils servi à financer ? Selon la Banque de France, la hausse de la dette française liée au Covid-19 s’explique pour un tiers par les mesures prises lors de la crise sanitaire – principalement le dispositif d’activité partielle, les dépenses exceptionnelles de santé et le Fonds de solidarité – et pour deux tiers par la baisse des recettes fiscales en raison de la contraction de l’activité économique.

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Autrement dit, la « dette Covid » n’est pas une dette d’investissement, mais une dette conjoncturelle, principalement utilisée pour financer des dépenses courantes. Elle n’est pas porteuse de croissance future, mais sert à financer l’existant : soutenir la demande des ménages et pallier la baisse de recettes de l’Etat. Il sera ainsi demandé aux jeunes d’aujourd’hui de rembourser demain une dette qui ne leur bénéficiera pas, qui n’est pas créatrice de valeur à venir.

Pour financer les retraites des anciens

Rappelons d’ailleurs que le confinement et, aujourd’hui, les mesures sanitaires strictes, qui ont eu pour effet le ralentissement économique que nous connaissons, ne sont pas destinés à autre chose qu’à la protection des plus âgés qui, en leur temps, ont connu la croissance et l’emploi. Les jeunes ont renoncé à leurs libertés hier, et paient pour eux aujourd’hui en entrant sur un marché du travail dégradé, et paieront pour eux demain encore en remboursant la dette et en finançant leurs retraites.

La « dette Covid » n’est du reste que la dernière couche de nombreuses strates d’endettement accumulées au cours de l’histoire récente : la dette ne représentait que 21 % du PIB en 1979, soit une augmentation de 77 points en quarante ans. Or, la théorie économique nous enseigne que le recours discrétionnaire à la dette publique se justifie dans deux cas précis.

A court terme, elle permet, en période de récession, de soutenir la demande des ménages et d’éviter la destruction du tissu économique d’entreprises par des mesures de soutien. C’est le rôle contracyclique de la dette. A long terme, elle peut servir à financer l’investissement, pour augmenter la croissance potentielle.

Economiquement illogique et politiquement injuste

Pourtant, le niveau de la dette accumulée depuis 1980 ne s’explique par aucun de ces deux facteurs. Premièrement, la France n’a connu – hors Covid – que deux périodes de récession : en 1993 (– 0,6 %) et en 2009 (– 2,6 %). Le reste du temps, alors que l’économie française était en croissance, tous les budgets présentés ont été systématiquement déficitaires, depuis 1973. Deuxièmement, une faible part de la dépense publique est allouée au financement de l’investissement. Le chiffre est éloquent : l’investissement ne représente que 4,4 % de la dépense publique, contre 9 % en 1960, ce qui n’était déjà pas bien haut.

La dette est donc le résultat de l’accumulation de déficits successifs destinés à financer les dépenses sociales et les dépenses de fonctionnement des administrations publiques : il s’agit d’une dette statique qui ne portera aucun fruit demain et qui devrait dès lors être remboursée par les générations qui en ont bénéficié. Il est économiquement illogique et politiquement injuste de faire peser sur les Français nés après 1980 le remboursement d’une dette qui ne leur a pas profité.

La surcouche de dette générée par le Covid doit nous conduire à ouvrir une réflexion sur cette injustice générationnelle et à demander à la génération née durant les « trente glorieuses » de supporter sa juste part dans la dette publique. Elle doit aussi nous inciter à réorienter la dette future vers l’investissement et à réduire les dépenses improductives.

Les jeunes, les vrais sacrifiés de la crise

On s’étonne aujourd’hui de voir les jeunes rassemblés, parfois sans masque, sur la plage ou sur une place, un verre à la main. On les accuse à l’envi d’être « irresponsables », « insouciants », de sacrifier les plus âgés sur l’autel de leur désir de jouissance. Et pourtant, s’il est bien des sacrifiés par cette crise dont on ne connaît pas encore tout à fait l’ampleur, ce sont les jeunes.

Il est cohérent que le coût de la dette pèse sur les générations futures lorsque celle-ci crée les conditions de la croissance de demain. Or, il n’en est aujourd’hui rien. Continuer dans la voie suivie depuis quarante ans approfondira la fracture générationnelle : après une planète détruite, c’est la dette de nos parents qu’on lègue à la jeunesse. Merci boomer.

Les trois signataires de cette tribune sont diplômés de HEC et de Sciences Po en 2018 et ont contribué à l’élaboration du programme économique d’Alain Juppé en 2016.

Yama Darriet et Charles Mazé sont auteurs de La Force de l’Union : ces raisons d’aimer l’Europe (2019)