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Avoir toujours raison est un un grand tort

C'est le titre on s'en souvient du premier tome des Mémoires de l'inénarrable E Faure. Le titre valait son pesant d'ironique fatuité. Pourquoi donc est-ce à lui que je songeai en lisant cette ITV d'Attali dans L'Echo ?

Après avoir courtisé les allées mitterrandiennes et servi de sherpa durant la première présidence, ce Monsieur Je-sais-tout sur tout et en particulier sur moi-même - qui demeure quand même le sujet le plus passionnant - joue les conseillers du Prince en free-lance - on se souvient de son rapport pour la libération (sic !) de la croissance française sous la présidence Sarkhozy, il baguenaude désormais ailleurs - partout où on peut le voir - et notamment en dirigeant désormais un orchestre ! pour le compte de sa fondation Positive Planet, dédiée aux micro-entreprises et au développement de l’autonomie des plus pauvres.

Le journal belge titre évidemment sur ce qui paraît le plus spectaculaire dans ses propos : "Nous sommes au bord d'une grande crise économique mondiale" ce n'est pourtant pas cette phrase que je retiens.

Pas véritablement pour ce :

Nous sommes devant une urgence sociale car il y a une obscène accentuation de la concentration des richesses entre quelques mains, que j’avais prévu il y a 15 ou 20 ans, en raison de la globalisation des marchés sans globalisation de la règle de droit.

qui est seulement l'expression de la sidérale immodestie du personnage - j'avais prévu mais ce sont les autres qui n'ont rien fait : La faute à la procrastination pour régler les problèmes. "Encore un instant, monsieur le bourreau."-

mais pour ceci d'abord à propos du Brexit mais il aurait pu le dire à propos de bien autre chose :

Quand je regarde l’histoire, j’ai deux maîtres à penser, Marx et Shakespeare. Le premier donne les grandes tendances, le deuxième nous rappelle que tout dépend des passions humaines. Et que les grandes tendances peuvent trébucher sur les passions humaines.

Je me suis longtemps demandé par quel truchement celui-ci avait pu passer de la gauche - même mitterrandienne - aux postures souvent très libérales qui furent les siennes. En voici une clé.

Certes, Marx a bien écrit que l'homme fait autant l'histoire que l'histoire fait l'homme ; certes, c'est une des thèses centrales de toute philosophie de l'Histoire depuis Hegel que de considérer que c'est ici ruse pour l'Histoire que de prendre figure individuelle - rien de grand dans le monde ne s'est fait sans passion - mais quoi ? le fond marxiste était quand même de croire plutût que ce fussent les passions qui trébuchassent que les grandes tendances. Subrepticement, en plaçant en vis-à-vis Marx et Shakespeare, sur un manifeste pied d'égalité on glisse, sans en avoir l'air, sans mot dire, du matérialisme le plus pur entendu à la Marx à un idéalisme pur jus. De l'Histoire à un sens à ce récit plein de bruit et de fureur raconté par un idiot auquel on ne comprend rien …

En voudrait-on un autre exemple ?

Il faut écouter ce qu’ils disent. Il y a partout en Europe occidentale une prolétarisation de la classe moyenne. Une aggravation de la précarité insupportable, surtout au regard des richesses accumulées depuis vingt ans. Les gilets jaunes ont révélé un problème du premier niveau de la classe moyenne. Il se pose surtout pour les générations futures, car l’ascenseur social ne fonctionne plus. Avant, les classes moyennes en difficulté pouvaient se dire que leurs enfants feraient mieux qu’eux. Aujourd’hui, les enfants des classes moyennes ne passent plus au niveau supérieur aussi vite qu’avant, c’est un problème dont il faut se préoccuper.

Il fut un temps où l'on se préoccupait des couches populaires - pour ne pas dire du prolétariat ! Aux temps de Jospin on s'enquit de se préoccuper des gens ! cela faisait moins peuple ! Désormais importe de se soucier des classes moyennes.

Le médecin Tant-Pis allait voir un Malade
Que visitait aussi son Confrère Tant-Mieux.
Ce dernier espérait, quoique son Camarade
Soutînt que le Gisant irait voir ses aïeux.
Tous deux s'étant trouvés différents pour la cure,
Leur Malade paya le tribut à Nature,
Après qu'en ses conseils Tant-Pis eut été cru.
Ils triomphaient encor sur cette maladie.
L'un disait : Il est mort, je l'avais bien prévu.
S'il m'eût cru, disait l'autre, il serait plein de vie.
La Fontaine V, 12

C'est ainsi que l'on glisse de gauche à droite ! Que l'on trahit ? Ainsi que l'on finit par trouver quelque intérêt à cet autre Diafoirus qu'est Macron …

Car il va de soi que le grand médecin des âmes et des choses a sa solution : la flexibilité ; les projets que l'on saupoudrera d'un peu de générosité - rien ne sied mieux à la suffisance bourgeoise que cette charité mâtinée de componction.

Oui il me fait penser - avec Macron - à ces médecins de la fable qui, quoiqu'il arrive, tireront leur épingle du jeu : rois de la tautologie, pontifiant de manière suffisamment générale et disjonctive pour que l'avenir ne puisse que leur donner raison … ils s'en vont répétant flexibilité, flexibilité - et maintenant armée commune - comme d'autres s'en furent répérant le poumon, vous dis-je !

Un peu tristounet ! passablement vulgaire ! J'ai un peu de difficulté à supporter ce sbire qui s'en va terminant par un éloge de l'altruisme après avoir recommandé une armée européenne, une défense européenne, et une renaissance qui n'est jamais qu'un repli de l'Europe sur soi !

Car il faut entendre cette sentence alambiquée et aussi byzantine qu'ampoulée :

Dans le monde tel que nous sommes, nous avons deux nations extrêmement puissantes: les Etats-Unis et la Chine. La Chine est une économie de marché totalitaire. Les Etats-Unis sont une démocratie, mais avec un germe totalitaire dans sa structure. Et nous, Européens, nous sommes là, au milieu de nulle part, la partie la plus riche du monde, mais ouverts aux quatre vents. Nous n’avons pas encore compris cette phrase très simple: nous sommes seuls. Seuls face à tous les ennemis possibles, parce que les Américains ne nous défendront plus. Ils n’enverront plus de GI pour sauver l’Europe, même si les Polonais et les Tchèques le croient.
Un être humain ne naît véritablement que lorsqu’il prend conscience de sa solitude. C’est cela, la renaissance. Et la renaissance de l’Europe commencera par la prise de conscience de sa solitude, qui l’amènera à défendre ses trésors, ses talents et sa place de première puissance du monde. Paradoxalement, les discours de Salvini et des autres populistes me semblent même proeuropéens. Ils ne sont pas contre l’Europe, ils sont contre l’islam en Europe. Ils ne veulent pas que l’Italie quitte l’Europe, ils veulent la protéger de ses ennemis imaginaires. Ils veulent une Europe rassemblée, mais chrétienne.

Renaître équivalent de prendre conscience de sa solitude ? Je ne suis pas certain que ceci puisse avoir un sens étant bien plus convaincu que c'est plutôt la conscience d'être devant l'autre, la rencontre du visage de l'autre qui constitue notre humanité ou, plus exactement, la rend possible. Je ne connais pas d'approche, même la plus réflexive, même la plus intimement introspective, qui affirmât jamais la solitude comme une renaissance - tout au plus la douleur de cette solitude comme un traumatisme conduisant à l'éveil et à la rencontre.

Je vois bien ici plutôt une démarche de vieillard thaumaturge jouant les sauveurs par un appel à la défense. Et Attali réinvente la ligne Maginot ! Les souvenirs qui remontent me sont assurément amers !

Bigre !

Pour quelqu'un qui se voulait prophète ou, au moins Cassandre, pour cet écrivain - il se proclame ainsi - annonciateur d'une nouvelle ère, mais d'abord d'une crise ample à venir - ce qui n'est pas bien difficile - pour quelqu'un qui se fait le chantre d'une planète positive et se vante de soutenir le capitalisme ET la démocratie positive, le voici - chassez le naturel … - promouvoir recettes les plus sclérosées des années trente à côté de quoi la jeune suédoise paraît grande visionnaire - en tout cas bien plus lucide et engagée que ce vieux barbon traînant ses guêtres défraîchies dans les palaces bruxellois …

Que penser, notamment, de ce raisonnement alambiqué faisant valoir que même les Italiens, que même les discours populistes seraient pro-européens ? A ce titre on pourrait rappeler qu'Hitler vantait - et se vantait- de pouvoir mettre en place un nouvel ordre européen ! Il le fit ! il n'était pas désirable pour autant !

Confusion idéologique ! gâtisme idéologique …

A vouloir toujours avoir raison avant les autres, on finit par dire des conneries

Le poumon vous dis-je !!