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Représentation et légitimité

Ce qui se donne à voir, depuis la montée du mouvement des gilets jaunes en France, celle de l'extrême-droite en Europe que l'on s'obstine à nommer populisme et enfin les embarras ubuesques que le Royaume-Uni éprouve pour sortir de l'impasse Brexit, n'est rien d'autre qu'un conflit des représentations.

Les gilets jaunes veulent un référendum d'initiative citoyenne à quoi le pouvoir répond par un Grand Débat ! Le peule britannique a voté pour la sortie de l'Europe à quoi les communes répondent par un niet à l'accord négocié par May. La base contre le sommet ! Vieille histoire.

Une démocratie représentative digne de ce nom n'ignore pas l'écart qui se produit à long terme entre la base et le sommet, les distorsions inévitables que favorisent institutions et modes de scrutin ; elle tente en conséquence de nouer le dialogue à tous les niveaux - les fameux corps intermédiaires - voire laisse s'exprimer rancœurs, récriminations et revendications, jusqu'aux limites de la convenance républicaine - manifestations, grèves etc.

 

 

Tout ceci est bel et bon mais repose, qu'on l'admette de bonne foi ou non, sur un postulat - le peuple a toujours raison et agit à bon escient - et sur une délicieuse naïveté ou macabre naïveté - la classe dominante est au service de tous et toujours disposée à rendre compte de ses erreurs. Foin n'est besoin d'illustrer la sottise de tout cela : les exemples abondent où la peuple, par peur ou sottise s'en alla hurler avec les hyènes fascistes ; où les moues méprisantes de la bonne conscience bourgeoise fustigent l'irréalisme populaire au nom d'un réalisme de pacotille …

 

Le plus ironique, dans l'affaire anglaise est que la vulgarité démagogique n'aura pas été là où l'on pouvait imaginer. Flatter un sentiment diffus en laissant accroire que l'Europe ne comportât que des inconvénients et qu'il fût aisé d'en sortir sans dommage n'était ni une erreur ni une naïveté …mais un mensonge éhonté ; volontaire. Les crises politiques surviennent toujours quand la classe politique cesse d'être à la hauteur : ment pour ses intérêts particuliers ; cesse de défendre l'intérêt général ; ou bien abandonne la partie par lâcheté. Les crises politiques s'entretiennent toujours quand les médias au lieu d'éclairer, flattent la pensée dominante ou courtisent servilement pour mieux camoufler défaut de culture et paresse d'analyse. Les crises politiques se nourrissent de ce cercle vicieux lui-même : avoir besoin des médias comme expression de la liberté que l'on sait ne parvenir à être à la hauteur que parfois, anecdotiquement et trop fugacement. Et finissent par dévorer leurs auteurs comme leurs enfants.

Sans doute ne doit-on jamais oublier qu'effectivement le peuple est une abstraction et que chacun, de son point de vue, de ses intérêts propres s'en fait l'idée ou l'image qui lui est propice. On ne m'ôtera pas de l'idée que la thèse de Rousseau - qui n'a jamais défendu la démocratie représentative - selon quoi chacun devrait se prononcer en raison de l'intérêt général et non de ses intérêts particuliers est la condition sine qua non de la démocratie. De là à dire que cette condition est réunie voire aisément réussie, il y a un grand pas. De la nécessité de la morale en politique : Robespierre a dit des choses essentielles sur la question. Etait-il le mieux placé pour cela ?

Je ne puis m'empêcher de songer à ce que Castoriadis énonçait il y a plus de 20 ans : qu'il serait temps que nous nous occupions de nos affaires. Oui sans doute ! La chose politique est trop sérieuse pour être laissée aux mains des politiques seuls. Il fallait ne pas oublier qu'elle était chose publique ; chose commune. Mais le pouvons-nous ? Mieux surtout ? Durablement ?

Il n'est pas vrai que le peuple puisse être au centre de la démocratie représentative : il en est le principe et donc nécessairement le fondement au nom de quoi tout se fera ; mais dehors ; jamais dedans. Sitôt le peuple dans la rue, le représentant ne sert plus de rien non plus que les institutions supposées en organiser l'action ; qui s'effondrent dès lors. Tout le monde hurla au plébiscite lorsque de Gaulle institua le référendum. Disons en tout cas qu'en en limitant l'usage, il en fit l'outil par quoi à plusieurs reprises il retrempait sa propre légitimité. De Gaulle savait qu'il ne suffisait pas d'être élu pour pouvoir décider de tout ; les grecs le surent également qui y virent la certitude d'une aristocratie.

C'est peut-être ce que j'aime le plus en cette affaire : qu'en politique nous jouions constamment avec le feu.

Comment échapper à la démesure et la démagogie ? Je ne sais ! je sens seulement qu'en ceci se joue notre si grande impuissance désormais à faire groupe ; notre incapacité à trouver équilibre satisfaisant entre exigences du groupes et désirs individuels. La seule chose dont je sois certain est que la tendance de plus en plus prononcée de nos politiques à considérer les campagnes électorales comme de vastes foires où tout se peut promettre qui ne lie à rien  est désastreuse ; presque autant que la forfaiture consistant à faire appel au peuple (référendum de 2005) avant d'aller à l'encontre de ses résultats parce qu'ils n'étaient pas conforme aux attentes (Traité de Lisbonne).

C'est exactement en cette aporie inextricable que se trouve Th May : une sortie de l'UE dont les modalités ne sont approuvées par personne mais l'impossibilité de revenir en arrière. Mais Macron aussi qui sent bien que sa présidence verticale est empêtrée et qui va chercher dans le relais des corps intermédiaires autant que dans ce recours au débat - qui n'est pas pour autant un scrutin - de quoi reprendre le pouls de la base. Comment avancer sans se déjuger ; comment satisfaire les attentes sans tout mettre par terre ?

Je vois tout ceci comme une inquiétante montée d'entropie.

Au moins les idolâtres courtisans de la presse cesseront-ils de procéder à l’incantation niaise du nouveau monde. Tout ceci est de bien classique facture. Antique même.

Ce qui nous manque en réalité c'est une gauche avec une réelle ossature idéologique. Pour la droite ne nous inquiétons pas elle n'a jamais quitté les tréteaux !