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Léautaud

Photo étonnante d'un personnage bizarre - mais les adjectifs sont ici interchangeables. On connaît tous le quidam aux chats ! non en réalité peu le connaissent : il avait d'ailleurs tout fait pour cela ! et peu le lisent d'autant que son œuvre se résume à peu près à son Journal dont le je suis pas certain que l'intérêt dépasse celui de la simple curiosité - qui est un monde à soi seul qui est celui d'un enfermé volontaire.

Lui qui se qualifiait lui-même d'écrivain pour homme de lettres est sans doute mordant, critique, ironique et son style ne manque pas d'allure mais est-ce bien une œuvre que ce torrent de fiel qui n'existe que par cela qu'il éreinte à l'instar du parasite qui ne survit que de la proie sur quoi il s'est enté ?

L'homme n'a rien de véritablement sympathique en tout cas révèle tout le contraire d'un quelconque charisme. Elitiste, assez aisément méprisant pour tout ce qui n'est pas lui ou appartenant à son univers étroit ; antisémite et capable à l'occasion de défendre Vichy et l'ordre nazi, il doit à son extrême solitude et à son impuissance à l'action de n'avoir pas été inquiété à la Libération. Décidément l'homme peut éventuellement fasciner par sa dimension iconocaste mais ni lui ni son œuvre, encore moins sa pensée ne me le font trouver sympathique.

Quelqu'un qui écrit :

« Je n’ai vécu que pour écrire. Je n’ai senti, vu, entendu les choses, les sentiments, les gens que pour écrire. J’ai préféré cela au bonheur matériel, aux réputations faciles. J’y ai même souvent sacrifié mon plaisir du moment, mes plus secrets bonheurs et affections, même le bonheur de quelques êtres, pour écrire ce qui me faisait plaisir à écrire. Je garde de tout cela un profond bonheur. »

… me devrait plaire. Un homme qui sacrifie tout, gloire et bien-être matériel à l'œuvre ne saurait être mauvais - aimerais-je écrire. Celui-ci le fut pourtant qu'on aura beau qualifié d'esthète ou d'anarchiste … à qui je ne saurais pardonner ni l'égotisme fanatique ni le mépris sidéral pour tout ce qui n'est pas lui ou les saillies de sa propre plume ; encore moins l'antisémitisme pathologique. Celui-ci fut dreyfusard mais vit dans le Front Populaire la source de tous les maux.

 

 

Je vais avec des souliers percés, du linge en loques et souvent sale par économie, ce qui est une grande souffrance pour moi, je mange insuffisamment et des choses qui me répugnent, je porte mes vêtements au-delà de toute durée et toujours par économie ou impossibilité de les remplacer, je ne m'achète rien, je ne m'offre aucun plaisir, aucune fantaisie. Je vais même peut-être être obligé de cesser de m'éclairer à la bougie pour travailler, ce qui me plaît tant. Voilà ma vie à 52 ans accomplis ou presqueSoit ! mais affubler Léon Blum du sobriquet de « l’illuminé à la voix de châtré » a quelque chose que je puis pas plus pardonner ni n'a plus de tenue intellectuelle que les propos d'un Vallat à la Chambre au moment de l'investiture du gouvernement de Léon Blum. Je sais bien que l'antisémitisme était chose courante - voir par exemple cette notation dans le journal de Gide qui se prétendait pourtant l'ami de Gide - mais, pourquoi donc ? - ici ce ne passe pas. Je n'aime pas trop ces bouffées de haine et suis certain qu'il n'est pas d'œuvre qui vaille reposant sur ces scories d'inhumanité fussent-elles parfois brillantes. La méchanceté est littérairement payante ; pas admirable pour autant.

On connaît IZIS (Israëlis Bidermanas) un des représentants, avec Doisneau, de cette photographie humaniste. J'aime assez qu'il parvînt à tirer de ce misanthrope quelque chose de presque émouvant.

 

Photo prise dans son pavillon de Fontenay aux Roses, dépourvu de tout confort, de tout ordre et sans doute des commodités les plus élémentaires. Rien n'aura mieux comblé l'existence de Léautaud que ses soirées à écrire à la chandelle - il n'y aura pas d'électricité dans son pavillon.

On le devine sortir ici de sa table de travail, le regard ahuri, la chandelle à la main comme si l'intrus qui se présentait là risquait de profaner espace intime. Ces trois lignes parallèles qui forment comme des barreaux de prison, ou bien un grillage protecteur, laissent entrevoir, sortant de la pénombre comme s'il se fût agi d'un autre monde, d'une antre ou d'une cellule abritant prisonnier malfaisant ou malade, un être ni vraiment monstrueux ni totalement étrange ; non un possédé mais plutôt un égaré qui n'eût voulu en rien qu'on pénétrât chez lui.

Cette main levée pourrait faire accroire qu'il jurât ! Que nenni : ce n'est qu'un hola opposé à l'intrusion qui allait se perpétrer. Celui qui n'aima rien de la modernité, qui refusa jamais d'avoir même une radio chez lui, comment eût-il pu laisser un photographe baguenauder chez lui et fureter à loisir ?

Tout de cette photo se joue de l'opposition entre non pas ombre et lumière - nulle ombre ici qui adoucît la sensation - mais nuit et lueur.

La chandelle, le visage, la main, frippée moins par l'âge que par la précarité sont seuls à demeurer éclairés - le reste, tout le reste demeure dans la nuit, le mystère. Fantôme parmi les illusions, retiré du monde non comme un sage mais plutôt comme un monstre le détestant trop pour ne pas fomenter ses sales coups à l'écart.

Pourquoi donc me fait-il songer à Cacus ? Pour la caverne d'où il semble sortir ? Pour les vilénies qu'il y nourrit ?

 

 

 

 

Je ne veux pas être un furieux, un apôtre, un réformateur. Je veux rester spirituel, ironique, rieur. Mais piquer, mordre, flanquer par terre en riant, non, je ne suis pas encore près de changer cela pour le reste

 

 

 

 

 


 


Xavier Vallat à la tribune de la Chambre le 6 juin 36 - il sera plus tard commissaire général aux questions juives du gouvernement de Vichy. (41/42)

Pour la première fois, ce vieux pays gallo-romain sera gouverné par un juif. (…) Messieurs, si notre ancien collègue M. Georges Weill (...) était ici, il ne manquerait pas de m'accuser, une fois de plus, d'antisémitisme à la Hitler. Mais, une fois de plus, il se tromperait. Je n'entends pas oublier l'amitié qui me lie à mes frères d'armes israélites. Je n'entends pas dénier aux membres de la race juive qui viennent chez nous le droit de s'acclimater comme tant d'autres qui viennent s'y faire naturaliser. Je dis, parce que je le pense - et j'ai cette originalité qui, quelquefois, me fait assumer une tâche ingrate, de dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas - que, pour gouverner cette nation paysanne qu'est la France, il vaut mieux avoir quelqu'un dont les origines, si modestes soient-elles, se perdent dans les entrailles de notre sol qu'un talmudiste subtil.