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Débattre, dialoguer ou … ?

Cette chronique de G Courtois dans le Monde qui, de manière ou bien soft ou bien furieusement ironique dit en mots simples ce qui est en train de se passer.

Et justement il faut en passer par les mots !

Débattre : Emploi trans. [L'accent est sur la lutte en tant que telle] Discuter avec vivacité et chaleur en examinant les aspects contradictoires d'une question, d'une affaire, etc. Débattre un sujet en public; c'est un marché à débattre. Les matières à débattre dans les préfectures ne poussent guère à la poésie (CNRTL)

Une fois entendu que le préfixe dé vient en surajouter sur l'intensité on voit bien que l'on se trouve ici, avec insistance, dans la logique du combat, de la lutte. Il est intéressant de constater que le débat a d'abord été le fait d'institutions parlementaires. S'il s'agit de querelles ou de controverses, le débat les suppose encadré dans des normes institutionnelles.

Dialoguer est tout autre chose. Du grec διάλογος il s'agit bien d'une parole qui traverse qui s'insinue entre. Le dialogue engage au moins deux personnes et se distingue nettement de la controverse et surtout de la polémique où il s'agit surtout de déceler et mettre en évidence les contradictions mais tout autant du discours qui n'est le plus souvent que l'énoncé d'une théorie et sa démonstration encore moins une conversation où la place laissée à l'interlocuteur n'est souvent que de simple égard et ne modifie que rarement sa propre position. Le dialogue au contraire est l'écoute et la prise en compte des arguments de chacun, qui cherche, à travers le dépassement de leurs contradictions, une conclusion qui intègre les points de vue de chacun. Un art difficile, on le voit, qui n'a rien à voir avec ce sot synonyme - échanger - que le monde de l'entreprise aimerait lui voir substituer.

Interprétations ?

Politique d'abord : pas nécessairement la plus intéressante. Macron ne sachant se dépêtrer d'un mouvement social qui se prolonge et dégénère organise un grand débat national piloté veut-il par la Commission nationale du débat public qui n'était pas conçue pour cela. Qu'un exécutif cherche à sonder l'électorat rien de plus normal mais c'est ici oublier que les institutions prévoient à cette fin toute une série de dispositions qui vont d'élections provoquées via la censure au référendum - où de Gaulle excellait - à condition que la question concerne l' organisation des pouvoirs publics. A quoi bon inventer un dispositif inédit sinon pour l'esbroufe d'un président qui se crut jupitérien et n'hésite plus désormais à descendre lui-même dans l'arène quitte à paraître faire campagne électorale ou à mettre en évidence qu'en réalité il n'y a personne ou presque derrière le Président et que LREM est une coquille vide !

Stratégique ensuite : donner l'impression qu'on est à l'écoute et continuer comme avant. Endémique impuissance à écouter de ceux qui sont dans la certitude. Qu'autrui n'admette pas vos vues ne peut signifier ne laisse pas d'alternative : ou bien il est sot et de mauvaise foi ou bien, faute avouée faisant bon genre, on aura mal communiqué. On n'est pas dans le dialogue mais dans le simple discours où les conclusions sont posées d'avance. On aura glissé insensiblement du dialogue supposé à la simple communication où l'essentiel n'est pas ce qu'on dit mais qu'il se dise quelque chose ; que l'impression soit donnée de la compassion - plus que de la compréhension. On n'est effectivement plus dans le politique alors, mais dans les sordides stratégies de management. Ce qui explique en tout cas que ce faisant, la vie institutionnelle continue et que roule comme si de rien n'était le train des réformes.

Sociologique encore : on aurait aimé que ce ne fût que le fruit de la maladresse macronienne mais non ! A bien écouter et lire, ce qui se met en scène ici c'est le mépris sidéral des nantis pour le petit peuple. Il faut lire ce qui se dit du peuple pour comprendre la réalité de la lutte des classes ; de l'impériale insolence de ces petits marquis !

Morale enfin : ou plutôt immorale. Car il s'agit bien d'une perversion de la République. L'essence même de la République telle qu'elle fut pensée dès 1791/92 impliquait la participation la plus active possible du souverain populaire via ses représentants, pour le moins, les pétitions et les élections évidemment puisqu'il fut admis que le mandat impératif risquait de rendre le système trop instable. Que le pouvoir ne soit pas délégué à un seul, mais distribué d'une part à l'exécutif et d'autre part au législatif signifiait bien que discussion, débat étaient le mode normal de production de la loi. Jupiter était un non sens dès le début. Et le reste. Depuis 58, mais au moins de Gaulle sut-il périodiquement tremper sa légitimité dans le suffrage référendaire; et en s'aggravant depuis 81 surtout puis depuis le quinquennat, l'idée folle aura prospéré et qu’il suffisait d'être élu pour que les décisions fussent démocratiques oublieux qu'on voulut rester qu'il n'était pas de pouvoir sain sans contre-pouvoir. D'où la démesure ! d'où la surdité.

D'où la perversion : comme si le souverain populaire n'était là que pour servir de décor à l'éclosion de la grandeur du Prince !

Il n'est rien de plus inquiétant que ce mépris sidéral qui va jusqu'à feindre le dialogue mais ne s'accompagne d'aucune reconnaissance de l'autre : elle contraint cet autre-là à devenir inquiétant ; à sortir des limites policées du politique. qu'on ne s'étonne pas alors.

Wahnich avait signé il y a quelques années un longue patience du peuple : oui mais trop sollicitée cette dernière s'épuise et finissent par déborder éclats de voix, de colère, de haine.

Nous n'en sommes pas encore tout-à-fait là. Il arrive encore que le réveil prenne des formes charmantes mais, plus souvent qu'à son tour, ce seront des saillies odieuses.

 

 

Je ne puis pas ne pas me souvenir de ce texte étrange, plus sagace qu'il n'y paraît à première lecture ; aussi dérangeant qu'émouvant, extrait du Testament d'un poète Juif assassiné - qui se terminait ainsi :

Le Rabbi de Worke se trompe. Il dit que le cri le plus haut est celui qu’on contient. Non. C’est celui qu’on n’entend pas; c’est le cri qu’on voit. 

A mesure que le temps passait - mais passait-il vraiment? en s’écoulant, le temps ne rend-il pas un bruit sonore? - la souffrance augmentait d’intensité. 

Je ne savais pas que l’on pouvait mourir de silence, comme l’on meurt de douleur, de peine, de faim, de fatigue, de maladie ou d’amour. Et je compris pourquoi Dieu avait créé les cieux et la terre, pourquoi Il avait façonné l’homme à Son image en lui conférant le droit et le pouvoir de dire sa joie, d’exprimer son angoisse. 

Dieu avait peur du silence, Lui aussi.

Il n'est rien de plus destructeur que la solitude ni que le silence. J'ai besoin pour exister d'entendre l'écho de ma voix, le bruit que font mes semelles qui glissent sur le sol ou de ma plume qui crisse sur le papier. Perdre cet écho c'est bientôt perdre la raison non pas au sens de devenir dément mais à celui de n'avoir plus même la capacité de former des concepts, des images ; c'est perdre bientôt le sens de cette individualité plongée dans un monde pour disparaître comme englué dans un magma informe. On n'est jamais humain que devant d'autres hommes ; conscient que devant d'autres efforts à penser ; on n'est jamais soi que devant d'autres moi tendant de se définir.

Avant toute connaissance cet tension irrépressible de reconnaissance.

Ce qui est vrai psychologiquement et moralement pour l'individu vaut tout autant pour le collectif politique qui s'invente en ses efforts pour exister.

L'essence du politique est dans le dialogue à quelque niveau qu'il se trouve - même si évidemment il s'invente en même temps que la géométrie en ce cercle joliment dessiné par l'agora où chacun est à égale distance de l'autre et ne saurait en conséquence vouloir l'emporter sur quiconque.

Ce simulacre, comment ne pas le comprendre, n'est pas que mépris du peuple ; il dit la mort du politique.

 

 


 

« Pendant que les uns manifestent et que l’autre scande le grand débat qu’il a engagé, les réformes avancent »

Education, santé ou justice… le gouvernement et le Parlement examinent dans une relative quiétude ces dossiers sensibles, qui sont au cœur même des revendications des « gilets jaunes », relève dans sa chronique Gérard Courtois, éditorialiste au « Monde ».

Publié le 12 février 2019 à 06h36 -

 

Chronique. A toute chose malheur est bon, dit la sagesse populaire. Cela se vérifie ces temps-ci. Le mouvement des « gilets jaunes » a, certes, secoué le pays, récusé tous les pouvoirs et ébranlé, en particulier, celui du président de la République, ce dernier se retrouvant mis en demeure par les sans-culottes contemporains de se soumettre ou de se démettre sur-le-champ.

Mais l’électrochoc a été salutaire. Passé sa stupeur initiale, Emmanuel Macron a fini par comprendre que s’il voulait retrouver prise sur les événements, il lui fallait renoncer à la présidence impérieuse de sa première année de mandat. C’est-à-dire, au sens strict du terme, se retrousser les manches et renouer avec le dialogue, la pédagogie et la bienveillance dont il avait fait les meilleures armes de sa campagne de 2017.

La métamorphose n’était pas évidente, tant son image s’était dégradée. Pourtant, au fil de débats-marathons devant des auditoires soigneusement choisis – des maires de proximité, des citoyens lambda, des jeunes, des élus d’outre-mer, demain des agriculteurs –, le chef de l’Etat commence à retrouver l’attention des Français, parfois à les convaincre et en tout cas à enrayer sa dégringolade dans les sondages. Au point que ses opposants, qui le sommaient hier de répondre au pays, l’accusent aujourd’hui d’abuser de la parole et de mener subrepticement une sorte de campagne électorale permanente. S’il est encore loin d’être tiré d’affaire, il est au moins sorti de l’impasse.

Travaux d’ampleur

Mais il n’est pas le seul à tirer paradoxalement quelque bénéfice de cette crise : tout le gouvernement peut remercier les « gilets jaunes » et le président d’occuper si bien l’attention des Français. Car, pendant que les uns manifestent tous les samedis comme on va à la messe et pendant que l’autre scande habilement le grand débat qu’il a engagé, les réformes avancent sans controverse majeure.

Pendant la crise, les travaux continuent et ils sont d’ampleur

Pendant la crise, en effet, les travaux continuent et ils sont d’ampleur. Prenez l’agenda parlementaire de la semaine. Depuis lundi 11 février est engagé à l’Assemblée nationale l’examen du projet de loi sur « l’école de la confiance ». Le ministre, Jean-Michel Blanquer, joue les modestes et assure que ce texte ne prétend pas « résoudre tous les maux de l’école ». Mais il est loin d’être anodin. Il prévoit en effet la refonte du système de formation des enseignants, la création d’un nouveau conseil chargé d’évaluer l’organisation et les résultats de l’enseignement scolaire et de faire de l’évaluation un levier central de gouvernance du système éducatif, ou encore la possibilité de prérecruter de futurs professeurs en confiant des tâches d’enseignement à 3 000 étudiants de licence, puis de master, moyennant un salaire de quelque 700 à 1 000 euros mensuels.

Mardi 12 février, c’est le Sénat qui va achever l’examen du projet de loi Pacte (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises), défendu depuis des mois par Bruno Le Maire et adopté par l’Assemblée en octobre 2018. Il s’agit, là encore, d’un texte important destiné à définir l’objet social de l’entreprise, à faciliter la création d’entreprises, à simplifier la vie des PME, à favoriser l’épargne salariale, à dynamiser l’innovation et, cerise sur le gâteau, à ouvrir la voie à la privatisation d’entreprises publiques, au premier rang desquelles Aéroports de Paris – perspective d’ailleurs sèchement écartée par les sénateurs, mais qui sera certainement rétablie par les députés en deuxième lecture. Le lendemain, mercredi 13 février, le Sénat procédera à une nouvelle lecture du projet de réforme de la justice qui poursuit son parcours parlementaire en dépit des critiques tenaces de bon nombre de professionnels.

Mercredi, encore, c’est Agnès Buzyn qui présentera en conseil des ministres le projet de réforme, par ordonnances, du système de santé dont le chef de l’Etat avait tracé l’architecture en septembre 2018. Réforme des études de médecine (et suppression du numerus clausus), réorganisation territoriale de l’accès aux soins destinée à lutter contre les « déserts médicaux » ou développement du numérique et de la téléconsultation : l’ambition n’est pas mince.

Deux démarches étonnamment indépendantes

Quant au haut-commissaire Jean-Paul Delevoye, chargé de dessiner le futur régime universel de retraite promis par le candidat Macron, il a repris depuis huit jours ses concertations patientes avec les partenaires sociaux pour tenter de dégager un consensus sur les aspects les plus épineux (âge de départ, pénibilité, etc.) de cette réforme explosive.

Quant aux retraités, ils ne sont pas les plus mal placés pour évaluer les risques possibles de la réforme en gestation

Bref, pendant que les tenants de la démocratie directe revendiquent à cor et à cri d’avoir droit au chapitre, les acteurs de la démocratie représentative travaillent comme si de rien n’était ou presque. Chacun est dans son rôle, dira-t-on. Mais il est étonnant de constater à quel point les deux démarches semblent indépendantes l’une de l’autre.

Tous les sujets sur la table du gouvernement et du Parlement sont pourtant au cœur de bien des revendications des « gilets jaunes ». Les réformes de l’éducation, de la santé ou de la justice posent, chacune, la question de l’organisation de services publics essentiels et de leur répartition inéquitable sur le territoire. L’éventuelle privatisation d’Aéroports de Paris, comme l’ont souligné les sénateurs, rappelle fâcheusement celle des autoroutes dont les automobilistes peuvent légitimement penser, c’est un euphémisme, qu’ils n’en sont pas les bénéficiaires. Quant aux retraités, nombreux dans les rangs des « gilets jaunes », ils ne sont pas les plus mal placés pour évaluer les risques possibles de la réforme en gestation.

Entre démocraties directe et représentative, seule la démocratie participative pourrait opérer un rapprochement fructueux. A l’évidence, on est encore loin du compte.