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κόσμος

 

Je n'ai découvert la chose qu'il y a peu ou du moins - si je l'avais sue un jour, je l'aurais eu oubliée en tout cas : cosmos ne signifie pas seulement ordre mais aussi la parure des femmes. Double sens que l'on retrouvera en latin - ce que l'héritage pourrait suffire à expliquer si mundus ne désignait aussi, hérité des rites étrusques de fondation, la fosse circulaire destinée aux offrandes aux divinités souterraines.

J'avoue que cette polysémie me laisse dubitatif ; rêveur serait d'ailleurs plus juste. Comment passa-t-on de l'un à l'autre … d'infinies possibilités se présentent pour interpréter une telle glissade. Mais, après tout, je ne suis ni linguiste ni anthropologue. Tentons la plus poétique.

Mais est-ce un hasard : revoici Pythagore suggéré autant par le dictionnaire que par von Humboldt. Mais aussi par Plutarque :

Romulus, après avoir enterré son frère et ses deux nourriciers dans le lieu appelé Rémonium (6), s’occupa de bâtir la ville. Il avait fait venir de Toscane des hommes qui lui apprirent les cérémonies et les formules qu’il fallait observer, comme pour la célébration des mystères. Ils firent creuser un fossé autour du lieu qu’on appelle maintenant le Comice ; on y jeta les prémices de toutes les choses dont on use légitime- 110 ment comme bonnes, et naturellement comme nécessaires. À la fin, chacun y mit une poignée de terre qu’il avait apportée du pays d’où il était venu (8), après quoi on mêla le tout ensemble : on donna à ce fossé, comme à l’univers même, le nom de Monde. On traça ensuite autour du fossé, en forme de cercle, l’enceinte de la ville. Le fondateur mettant un soc d’airain à une charrue y attelle un boeuf et une vache (7), et trace lui-même sur la ligne qu’on a tirée un sillon profond. Il est suivi par des hommes qui ont soin de rejeter en dedans de l’enceinte toutes les mottes de terre que la charrue fait lever, et de n’en laisser aucune en dehors. La ligne tracée marque le contour des murailles ; et, par le retranchement de quelques lettres, on l’appelle Pomérium, c’est-à-dire, ce qui est derrière ou après le mur. Lorsqu’on veut faire une porte, on ôte le soc, on suspend la charrue, et l’on interrompt le sillon. De là vient que les Romains,, qui regardent les murailles comme sacrées, en exceptent les portes. Si celles-ci l’étaient, ils ne pourraient, sans blesser la religion, y faire passer les choses nécessaires qui doivent entrer dans la ville, ni les choses impures qu’il faut en faire sortir.

On voit bien que le mundus représentait à Rome une fosse de fondation où chacun jetait terre et objet pour mieux consacrer la ville en train de naître mais aussi une image inversée du ciel où résidaient les divinités infernales. Une fosse que l'on ouvrait trois jours par an durant lesquels aucune activité normale n'était autorisée à Rome.

Tous disent la double filiation des Étrusques et de Pythagore à qui l’on prête d'avoir le premier utilisé le terme κόσμος pour désigner l'ordre du monde. Un monde en réalité composé de trois strates superposées renvoyant à la structure du mundus : souterraine où séjournaient les divinités infernales ; terrestre qui est l'espace des hommes et du devenir, et enfin l'espace céleste qui le surplombait où vivait les dieux de l'Olympe. Le mundus n'aura été finalement qu'une représentation de la structure du monde et c'est en cela qu'il nous intéresse.

Or, dans ce qu'il faut bien appeler mystique pythagoricienne, l'harmonie est le maître mot où les rapports, notamment entre les astres, renvoient aux rapports entre les sons voire entre les êtres. Harmonie du grec αρμόζω désigne arrangement, la mise en relation , le fait d’emboîter plusieurs éléments entre eux. Désigne donc à la fois la convergence d'éléments dans un tout et ce tout lui-même comme si l'harmonie était à la fois le processus et la fin.

De la parure des femmes

Qu'il s'agisse de la parure ou du maquillage, nous savons tous qu'on peut les entendre en bonne ou mauvaise part : soit comme ce qui révèle et met en valeur soit comme ce qui camoufle ou cache. Parure comme ornement renvoient d'abord à ce qui recouvre, aux vêtements donc ; puis à ce qui met en valeur. Pourquoi donc des femmes alors ?

Quel subtil paradoxe que celui-ci qui laisse entendre le rôle essentiel que les femmes viennent à jouer dans l'ordre et l'harmonie du monde quand parallèlement elles sont, si l'on écoute Tite-Live notamment, ce que l'on enterre (Rhéa Silvia) ou qui importe seulement pour l'engendrement qu'elles permettent ( les Sabines). L'occident a-t-il jamais été au clair avec les femmes ? Au reste est-il société qui le fût jamais les ayant souvent cantonnées aux strictes obligations de la maternité.

Où les pythagoriciens sont intéressants ; où, si l'on préfère, le terme cosmos passionne d'ainsi réunir à la fois harmonie du monde et féminité consiste précisément dans ce rôle dès lors crucial consistant à assurer l'harmonie du monde. Je n'ai jamais aimé les considérations générales sur les femmes non seulement pour les sottises qu'on y voit souvent proférées mais surtout pour l'imputation de subjectivité qu'on y peut toujours opposer. Voici sujet sur quoi les propos seront toujours évalués non tant pour ce qu'ils avancent que pour qui les avance.

Tentons néanmoins ceci :

L'harmonie suggère bien que l'ordre ne saurait être un état mais un processus constamment renouvelé comme si l'ordre reposait sur le désordre ou fût menacé continuellement par l'entropie et que la parure combattît cette désorganisation ultime mais inéluctable.

Il n'est pas de récit mythologique, pas de rite de fondation, pas de révélation qui ne tentent d'ajuster monde d'en haut et monde d'en-bas. Le récit de l'être est toujours le récit d'un lien . Il faut bien que l'être en son déploiement comme en son essence tienne : il y faut donc un point de jointure ; de solidarité ; de passage. Que ce soit le Styx ou le mundus, on trouvera indéfiniment des anfractuosités, des interstices. Pythagore les aura vues dans le rapport harmonieux entre astres et choses. Au commencement ni le Verbe, ni l'acte, mais cet entrelacs qui imperturbablement se cherche, trouve et perd dont la femme fût l'artisan discret.

J'aime à penser que ce qui se voit - la parure - cache en réalité ce qui importe et justement ne se voit pas. Mais le suggère au moment où elle l'escamoterait. J'aime à penser que cet ajustement, cette harmonie eussent nom beauté et que cette beauté fût très exactement ce qui permettrait au monde de tenir, de faire bloc … mais encore d'être supportable. Ne cherchons plus l'énergie qui ferait se tenir ensemble, in solido, les atomes ; ou qui nous ferait nous regarder les uns les autres comme si nous ne pouvions jamais être tout-à-fait étrangers les uns aux autres par où enfin solidarité devient si grande promesse. Nulle fusion ou fission n'est ici nécessaire. La mathématique nous a appris qu'il était des quantité discrètes !

Voici une qualité discrète.

Comme en n'importe quelle œuvre où la beauté éclate comme évidence que pourtant l'on demeure incapable d'expliquer - encore moins de penser ; où la surgit l'émotion sans qu'on sache jamais ni d'où elle suinte ni présage jusqu'où elle vous peut entraîner ; où la magie aux délicieux apprêts du mystère naît de cette apparence simplicité

J'aime que les femmes fussent l'autre nom de cette harmonie discrète

 


 


1) A von Humboldt Cosmos: essai d'une description physique du monde,

 

Festus, De la signification des mots p. 144 L.

« Le mundus, comme le dit Ateius Capito dans le sixième livre Du droit pontifical, s’ouvre d’habitude trois fois par an les jours suivants : le lendemain des Volcanalia, le troisie`me jour avant les nones d’octobre et le sixie`me jour avant les ides de novembre. Caton, dans ses Commentaires sur le droit civil, rapporte ce que l’on appelle ainsi de la manière suivante : « Le nom qui s’applique au mundus provient du monde (mundus) qui est au-dessus de nous : en effet, comme j’ai pu l’apprendre de ceux qui y sont entrés, la forme du mundus est semblable à celle de l’autre mundus. Nos ancêtres ont décidé que sa partie infe´rieure devait rester ferme´e en permanence, comme si elle e´tait consacre´e aux Dieux Mânes, à l’exception des jours indiqués ci-dessus. Ils considéraient d’ailleurs ces journe´es comme marquées d’une crainte religieuse parce qu’a` ce moment-la`, les secrets de la religion des Dieux Mânes, qui étaient d’habitude occultés et cachés, étaient pour ainsi dire amenés en pleine lumière et placés devant les yeux, si bien qu’ils ne voulaient rien faire dans la gestion des affaires publiques pendant ce temps-laà. C’est pourquoi, ces jours-la`, ils n’en venaient pas aux mains avec l’ennemi, l’armée n’était pas enrôlée, on ne tenait pas de comices, on n’administrait rien d’autre dans les affaires publiques sauf en cas d’extrême nécessité. »