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Clerc-obscur
Libération 22 février 2019

Cette étrange photo parue dans Libé accompagnée de cet article ! Photoshopée assurément … mais qu'importe !

Tout ici est à front renversé !

Ce pape qui semble s'en aller, nous quitter, ou sa fonction, quand rien ne l'annonce ni ne l'exige, quand au contraire son élection et sa trempe avaient laissé accroire tout au contraire qu'en s'installant il allait sinon tout bouleverser - n'exagérons rien - en tout cas en finir avec les pratiques les plus obscures et archaïques du Vatican et de ses deux prédécesseurs.

La couleur ensuite : vêture blanche qui est quand même la marque papale par excellence ici transfigurée en soutane grise voire noirâtre comme si le mal non content de gangréner les âmes en venait à souiller jusqu'aux attributs des cieux …

Mais que cette photo trouble pour la victoire qu'elle semble annoncer du mal et ressembler de si près à l'impuissance de l'Eglise à se regarder en face et ses turpitudes ; à la déception que son discours suscita quand il se fut agi de conclure les mesures à prendre pour lutter contre la pédophilie. Conclure que la pédophilie fût œuvre de Satan était si peu dire … si facile. Voulut-on nous dire que c'était là mal radical, tant incompréhensible qu'impardonnable mais alors pourquoi de si faibles mesurettes annoncées qui traduisent plutît la gêne d'une Eglise encore plus soucieuse de son avenir que de celui de ses victimes ? Voulut-on avouer que ce fût ici malédiction dépassant et de loin responsabilité et puissance de l'Eglise ? Avouer une abdication en rase campagne ? Ou la preuve involontaire de la théorie du conatus de Spinoza !

Qu'il est difficile décidément de se vouloir intermédiaire de l'Absolu ! Je vois bien l'entremetteur des basses œuvres dépassé depuis si longtemps en ses bonnes intentions qui le font approcher des portes de l'enfer.

Cette Eglise n'a de sens encore que comme rempart morale : mais là ? Quand surgit le moment de solder les comptes, les murs s'effritent et les montagnes grondent de toutes leurs entrailles. Serait-ce déjà le moment ?

 

 

Cas rare : la photographie qui recouvrait lundi la une de Libération de ses élégants clairs-obscurs se présentait à nous comme une image sans auteur. Ou, du moins, à l’auteur fantôme, la légende se contentant d’identifier le pape François, photographié au Vatican le 6 février, et le crédit du cliché d’aligner une enfilade de noms d’agences en charge de la distribution et du négoce d’images. Si bien que, toute curiosité piquée, l’on en vint presque aussitôt à se demander si ce majestueux et funèbre instantané pontifical n’avait pas été dérobé par quelque anonyme paparazzo portant clandestinement l’appareil sous le déguisement tout en froufrous dévots d’un habit de moine de compagnie. Il n’en est a priori rien. Et l’intrépide service icono de Libération n’est pas le premier à blâmer pour ce défaut de traçabilité, puisque même le site de l’agence sur lequel se vend l’image en question en taisait le nom.

Au terme d’une investigation poussée (bien deux mails envoyés), il s’avère que celui-ci s’appelle Evandro Inetti, et qu’il exerce depuis longtemps comme photoreporter accrédité au Vatican. Un balayage de son travail récent donne le sentiment d’une production assez banale et dépourvue de signature visuelle marquée qui, d’homélies au balcon en bains de foule pâmés, documente les tribulations papales sous une lumière sans qualité.

Avant d’habiller la une de Libération, son œuvre avait reçu pour principale heure de gloire les honneurs d’une couverture du magazine américain Time en 2013, et le cliché alors retenu, mis en regard de celui paru lundi, révèle une marotte, une recette ou disons une trouvaille plastique, qui permet chaque fois à Evandro Inetti de se distinguer et d’échapper à un ordinaire d’images plates et pieuses pour flux d’actu peu regardants. On y voyait certes alors un autre pape (Benoît XVI plutôt que son successeur François), à la faveur d’un tout autre contexte (sa renonciation au job), mais le procédé était déjà le même : pousser les contrastes et en jouer pour mieux dépeindre le souverain catho en ombre spectrale, entre Dark Vador régnant sur le versant d’obscurité d’un empire religieux et homme invisible drapé de nacre.

Les deux images interrogent sur le régime de contrôle salutairement lâche du service de com de la papauté, qui permet à photographes et photoshoppeurs de profiter du premier rai de lumière tombé dans un angle un peu louche pour dépeindre le chef suprême de l’Eglise en figure oblique de film noir ou d’horreur.

Toutes deux, mais surtout la plus récente, accentuent aussi s’il était besoin le caractère fondamentalement inscrutable de la fonction, sa dimension de rémanence spirite en plein cœur d’une époque intégralement technique, rationnelle et offerte à tous les fantasmes de transparence panoptique.

Le pape est à cet égard au-dessus de nous et en dessous tout. Délégué du plus haut des cieux pour présider jusqu’à ce que mort s’ensuive à la destinée présente de l’Eglise, il flotte dans une marge, parfumée à l’encens apostolique d’une enclave vaticane à l’étiquette aussi tarabiscotée que la cour de l’empereur du Japon, et aux mœurs de Babylone fantastiquement hypocrite sur lesquels se lève ces jours-ci le voile, dans un climat de grande lessive.

Tel qu’on le voit glisser ici sur le simili-sfumato d’un lac gris comme en une scénographie de béton glacé dans le style d’un Roméo Castellucci, il présente un visage plongé dans la pénombre la plus propice aux conjectures sans limite sur ses plans et pensées en cours. La capeline arbore une moire presque irréelle, comme sculptée dans le marbre de Carrare, figeant l’image fuyante du pontife dans l’éternité de pierre d’un bas-relief ou d’un statuaire pour pelouse bien entretenue, entre goule et nain de jardin.

Didier Péron Julien Gester @juliengester