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Décembre ressemblerait presque au printemps

La journée aura été à la hauteur des attendus ; les commentaires - comme souvent - médiocres ! soit convenus ! soit partisans … Ce n'était rien à côté des commentaires de rues les lendemains. A côté de la presse qui s'entiche d'inviter jusqu'à la nausée ce que le tout-Paris de la sottise orgueilleuse compte encore de donneurs de leçons prompts à fustiger les privilégiés et à vous asséner ces fausses évidences d'un report de l'âge de la retraite rendu nécessaire par le prolongement de l'espérance de vie - eh Monsieur je sais tout ! et si c'était l'inverse ? si c'était précisément parce qu'en France on part en retraite plus tôt que les 65/67 ans qu'on nous met en exemple ailleurs en Europe, que justement on mourrait plus tard ? - à côté des médias, l'éternel râleur qui, pris en otage, par l'égoïsme de quelques uns, subit de mauvais gré la galère qu'on lui impose. Eh oui ! si une grève ne gênait personne, assurément elle serait bien utile !!!

De tout ce que j'aurai lu et entendu ces deux derniers jours, deux notations submergent :

Il est difficile d'anticiper et les spécialistes feraient mieux de s'épargner le ridicule d'avoir joué les Madame Irma de foires. Il n'y a rien d'anodin à ce qui est en train de se passer : le pouvoir entreprend de repenser le grand point commun de tous les français ; LA question universelle. Quoi détonnant à ce que les positions se figent. Ce pouvoir qui depuis deux années aura accumulé les maladresses, les forfanteries et parfois même le mépris ; qui s'est entiché de pouvoir se passer des intermédiaires et cru que son élection lui permettait tout jusque et y compris l'illusion d'un nouveau monde, ce pouvoir apprend simplement le principe de réalité.

Il faut être aveugle pour ne pas voir la désormais criante faiblesse de la Ve République qui, depuis le quinquennat surtout, sait au mieux susciter un enthousiasme fugace pour le potentat qu'elle élit avant de le vouer aux gémonies et à l'impuissance quelques mois après !

Il faut être sourd pour ne pas voir que ce pouvoir paie le prix fort de tenter systématiquement de diviser en pointant de supposés privilégiés ou, pire encore, en arguant de ne pas s'inquiéter puisque ceux qui subiraient la réforme seraient les autres, les jeunes etc … Je ne connais pas de faute politique plus grave que celle-ci. Sera-t-il encore temps quand viendront les périls de s'unir ? Le pourrons-nous seulement …

Cette bourrasque passera comme les autres ! et le service public sera plus écorné encore ! et l'inquiétude nourrie derechef !

Et pendant ce temps-là, ce pouvoir qui avait pourtant l'opportunité rare de n'y pas démériter, regarde ailleurs !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Luc Rouban : « Le macronisme ne comprend pas le conflit »


Le Monde 3 décembre

 

 

Tribune. Le face-à-face annoncé entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen, qui signifie l’appauvrissement du débat politique, est loin de pouvoir exprimer ou résoudre le malaise démocratique, qui naît non pas de la convergence mais de la diversité des attentes sociales. Plusieurs sondages récents réalisés à l’automne (sondage Elabe pour BFM-TV du 29 octobresondage IFOP pour Le Journal du dimanche du 3 novembre), analysant les intentions de vote au premier tour de l’élection présidentielle de 2022, nous dévoilent un paysage politique figé.

Emmanuel Macron et Marine Le Pen sont au coude à coude, les représentants de la gauche socialiste ne percent pas, Jean-Luc Mélenchon reste à son étiage habituel des 12 %, l’écologie politique rate une fois de plus son entrée dans la cour des grands en ne dépassant pas les 7 %, et les candidats de la droite parlementaire, quels qu’ils soient (les sondages émettent plusieurs hypothèses), ne suscitent aucun renouveau. Ces sondages nous apprennent également que 80 % des personnes interrogées pensent que l’action d’Emmanuel Macron n’a pas permis d’améliorer leur situation personnelle.

« Deux années de macronisme ont débouché sur la multiplication et la radicalisation des conflits »

Il est vrai que deux années de macronisme ont débouché non seulement sur la multiplication des conflits, mais aussi sur leur radicalisation. Que l’on observe le débat autour du voile pour les accompagnatrices de sorties scolaires ou la multiplication des conflits sociaux longs, comme celui qui secoue la SNCF et ceux qui minent les services de police ou les établissements hospitaliers, voire les conflits politiques, comme celui qui secoue depuis 2018 les élus locaux des petites communes ou encore celui des « gilets jaunes », le même schéma est à l’œuvre.

Tout semble indiquer que la réalité du terrain ne parvient plus à prendre forme politique, alors que des conflits fondamentaux – soit philosophiques, sur le sens de la laïcité, soit sociopolitiques, sur les fonctions de l’Etat et la place des services publics, soit économiques, sur la compatibilité du capitalisme et de l’écologie – sont renvoyés à la société civile afin de libérer le gouvernement de choix difficiles. Celui-ci est tenté d’user et d’abuser d’une communication du « en même temps » qui ne résout évidemment rien et ne protège pas l’Etat, qui semble incompétent même dans sa dimension régalienne, comme l’a illustré l’affaire de l’usine Lubrizol à Rouen.

Consensus pragmatique

C’est ici que s’exprime le social-libéralisme du macronisme, libéralisme économique et sociétal, association qui n’attire en fait qu’une minorité d’électeurs diplômés et cadres du secteur privé ou membre des professions libérales, laissant les trois quarts des électeurs sur le côté de la vie politique. Le macronisme attend leur conversion à sa logique profonde, qui est celle du consensus pragmatique.

« L’ennui, c’est que le macronisme a systématiquement affaibli tous les intermédiaires et les institutions qui permettaient de contrôler ces conflits »

L’ennui, c’est que ce même macronisme a systématiquement affaibli tous les intermédiaires et les institutions qui permettaient de contrôler ces conflits : une centralisation financière, qui transforme bon nombre d’élus locaux en simples agents de l’Etat, dépourvus de moyens ; une fragmentation de la négociation sociale, qui ruine le peu de crédit que pouvaient encore avoir les syndicats ; une privatisation annoncée de nombre de services publics, à travers la loi de transformation de la fonction publique du 6 août, qui va permettre de détacher d’office les anciens agents publics vers les opérateurs privés, qui pourront prendre la relève des administrations.

On pourrait ajouter le fait d’avoir puisé dans la société civile des députés LRM novices sans attaches territoriales et sans connaissance réelle de la vie politique, qui passent, aux yeux de nombreux électeurs, pour des inutiles, comme en témoignent les interventions lors du grand débat national, dont les conclusions ont été glissées sous le tapis.

Mais la question ne se résume pas à la faiblesse des corps intermédiaires, qui ouvre le champ au radicalisme de la « base ». On peut sans doute réduire le conflit des « gilets jaunes » à une demande déraisonnable de pouvoir d’achat et orchestrer la vie politique autour de l’affrontement entre progressisme et populisme, dûment construit depuis 2017. Mais on ne peut cacher le fait que le macronisme ne comprend pas le conflit car il ne comprend pas le tragique de la vie dans ce qu’il a de plus brutal et de plus commun dans la rue, au travail, à l’hôpital, dans les maisons de retraite, dans les communes rurales.

Autonomie sociale

Partant du principe que tout se négocie et qu’il suffit aux hommes de bonne volonté de se réunir pour mettre en œuvre des objectifs partagés, comme en témoignent les interventions personnelles d’Emmanuel Macron auprès des élus locaux lors de débats de plusieurs heures, le macronisme reste prisonnier de l’appréhension économiste et managériale du monde. La société, comme une entreprise privée, aurait des buts simples et communs, le vivre-ensemble ne serait qu’une question de gestion, d’écoute et de mise en œuvre, il n’y aurait qu’un bénéfice diffus à se partager, quitte à sacrifier quelques perdants.

« Le macronisme n’ignore pas seulement l’hétéronomie née de la pauvreté ou de l’exclusion mais aussi celle du quotidien et des institutions sociales »

Pour qu’une telle vision puisse se concrétiser, il faudrait que les citoyens aient les moyens de l’autonomie sociale qu’on leur suppose. Or les « gilets jaunes », comme bien des salariés engagés dans des conflits, ou encore une partie des femmes musulmanes qui portent le voile, souvent contraintes par les normes culturelles de leur famille et à la recherche d’une émancipation, viennent témoigner de la rareté de cette autonomie. Le macronisme n’ignore pas seulement l’hétéronomie née de la pauvreté ou de l’exclusion mais aussi celle du quotidien et des institutions sociales. Il pratique le libéralisme dans un pays qui n’a rien de libéral, oùl’accès aux filières d’élite et la progression dans la hiérarchie sociale dépendent de l’Etat, où le statut social conféré par le diplôme est plus important que le savoir-faire, où les origines sont plus importantes que les réalisations. C’est à cela qu’il devrait s’attaquer s’il veut produire la cohérence politique qui lui manque tant.

Luc Rouban a publié La Matière noire de la démocratie (Presses de Sciences Po, 176 pages, 12,50 euros).

Luc Rouban  (Directeur de recherche au CNRS, Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof))

 


Retraites : le capital de ceux qui n’en ont pas
Nicolas Duvoux, professeur de sociologie à Paris-VIII.
Libération 28 août 2019

La réforme à venir prévoit de supprimer les différents régimes, prenant acte d’inégalités réelles. Mais en l’état, le futur système dépendra du pouvoir politique qui fixera comme il l’entend la valeur du point, affaiblissant la sécurité sociale des plus modestes.

Tribune. La «mère de toutes les batailles» est donc lancée. Effectivement, pour une fois, les superlatifs ne seront pas galvaudés, la réforme des retraites voulue par Emmanuel Macron s’annonce comme une transformation importante et décisive d’un des piliers centraux de la société française. Un pilier dont l’édification a représenté un progrès historique : rappelons que les retraites pèsent, certes, 14 % de la richesse nationale mais que l’avènement, après la Seconde Guerre mondiale, des systèmes de retraite obligatoires a permis de sortir massivement les personnes âgées de l’indigence. Le taux de pauvreté des retraités est aujourd’hui inférieur à celui de l’ensemble de la population alors que, jusque dans les années 70, c’était le contraire. Pourtant, la résorption spectaculaire de l’indigence des personnes âgées est un progrès fragile et réversible et, pour prendre la mesure des enjeux en question, il faut rappeler le sens de cette construction qu’est l’Etat social et dont les retraites sont, avec la santé, le pivot dans la France contemporaine.

Il a été et il est beaucoup question d’inégalités dans le débat public, d’Occupy Wall Street au récent G7. Cette question, placée au centre du débat académique par les travaux des économistes Thomas Piketty ou Branko Milanovic, met l’accent sur la redistribution, les écarts entre les groupes, que ce soit à l’échelle d’un pays ou de la planète. Dans nos sociétés, les inégalités sont liées à l’importance croissante de la propriété sur les destins des femmes et des hommes. Les dividendes des actionnaires ou l’augmentation du prix de l’immobilier gonflent les patrimoines, accroissent les écarts entre ceux qui se trouvent du bon côté de la classe moyenne patrimoniale - sans même parler des super-riches - et les autres.

La question de l’Etat social, et en premier lieu des retraites, est à la fois proche mais également différente, sur un point décisif, de celle des inégalités. Proche parce que l’Etat social a pour vocation de donner à ceux qui ne disposent pas des avantages de la propriété privée un équivalent à travers des mécanismes de protection sociale et des services publics, et ainsi de doter les non-propriétaires d’une forme de sécurité autrefois réservée aux possédants. L’Etat social a donné une possibilité de se projeter sereinement dans l’avenir, de faire face à un aléa, de disposer d’un «quant à soi» autrefois lié à la seule possession, aux travailleurs. Grâce aux retraites, ouvriers et employés notamment, les plus dépourvus d’accès à la propriété privée, bénéficient, quoique pour des durées moins longues et avec des revenus moindres, d’une propriété de transfert quand leur force de travail est épuisée. En réalité, la «propriété sociale» dont parlait Robert Castel a au moins autant pour fonction de procurer à ces catégories modestes une capacité de projection, d’anticipation d’un avenir non exclusivement indexé au travail salarié que de lutter contre les inégalités. En changeant le système des retraites au nom de l’équité pour abolir les différences entre les régimes pluriels et complexes des catégories socioprofessionnelles après la création de la Sécurité sociale en 1945, la réforme prend acte d’inégalités réelles liées à la balkanisation des nombreux régimes mais néglige cette fonction centrale de sécurisation de l’avenir des retraites dans notre société.

En effet, alors même que la réforme est justifiée par la transparence et la simplicité d’un système universel, la retraite par points voulue par le gouvernement a pour effet de placer la fixation de la valeur dudit point dans la dépendance du pouvoir politique. Celui-ci peut donc varier en fonction des arbitrages liés aux rapports de force du moment ou de la conjoncture. La sécurité sociale procurée aux plus modestes en serait donc rendue plus vulnérable. Seuls les plus riches pourront pallier, par le recours à la capitalisation, l’hypothèse très probable d’une moindre protection de leurs vieux jours apportée par un régime général unifié et étendu. De ce point de vue, la réforme accélérerait des évolutions déjà à l’œuvre plus qu’elle n’opérerait un changement radical de direction : les réformes Fillon ayant déjà ouvert la possibilité de compenser la baisse du niveau des pensions par l’épargne privée.

On touche là un point aveugle central dans le débat. La réforme part du principe que les retraités ont été les grands vainqueurs des redistributions à l’œuvre au cours des dernières décennies. Ce constat est en partie justifié, et encore plus en France : la pauvreté s’est incontestablement déplacée des aînés vers les jeunes et les familles monoparentales. Ce phénomène a été général dans l’ensemble des pays développés mais la France a été plus loin que de nombreux autres pays, ce qui explique la quasi-disparition de la pauvreté chez les retraités d’une part et la proportion plus importante de la richesse consacrée aux retraites d’autre part, le volume des transferts et ses effets sociaux étant bien sûr mécaniquement liés. Pourtant, ce constat d’une prospérité des retraités et du niveau de vie qui leur est associé est partiel. Dès lors que l’on mesure la pauvreté autrement que par des critères monétaires, en s’intéressant à la privation matérielle et sociale (1) ou au sentiment de pauvreté, on se rend compte que les retraités ne sont pas aussi épargnés par la pauvreté qu’il y paraît.

Dès lors, la réforme ne peut partir uniquement du simple constat d’un nécessaire rééquilibrage vers les jeunes, dont rien ne dit par ailleurs que le futur revenu universel d’activité les protégera effectivement. De plus, les réformes des retraites précédentes vont, de manière prévisible, diminuer le montant des pensions. La pauvreté des retraités, problème du passé, est en passe de redevenir un problème du présent. Il est inscrit dans les paramètres fixés pour l’avenir par les gouvernements précédents. Elle est d’ailleurs déjà redevenue une réalité chez nos voisins, comme le Royaume-Uni, où un retraité sur six vit sous le seuil de pauvreté selon la Fondation Joseph-Rowntree contre moins d’un sur dix en France. L’enjeu d’une réforme des retraites du XXIe siècle ne peut s’épargner la réflexion sur cet enjeu en le renvoyant au passé. Cela ne signifie pas que le système actuel est dépourvu de défauts, notamment pour ce qui concerne les inégalités entre les femmes et les hommes, et qu’il ne faille pas y remédier. La construction du futur doit cependant reposer sur une compréhension globale des mécanismes que le passé nous a légués et sur un diagnostic précis du présent.

(1) Cet indicateur de l’Insee recense les ménages concernés par cinq privations de la vie courante sur treize considérées comme nécessaires pour avoir un niveau de vie acceptable (avoir des impayés, ne pas pouvoir manger de viande ou de poisson régulièrement, ne pas avoir de loisir ou pouvoir faire face à une dépense imprévue, etc.).