Bloc-Notes 2018
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Israël

Textes Vidéo questions

 

En lisant ces lignes de Mauriac datées de février 68

 

Lignes qui sont évidemment la suite à la fois de la guerre des six jours

 

et des propos que De Gaulle tint lors de sa conférence de presse de novembre 67 où il qualifia le peuple juif de sûr de lui et dominateur

 

Questions

nous interroger sur ce qui subsiste en nous de l'antisémite

Je ne suis pas certain d'apprécier tant que cela ces lignes même si je puis trouver Mauriac sincère dans sa manière de traquer les résidus d'antisémitisme que ses efforts, réflexions et doutes n'auraient pas eu fini d'expurger des ultimes relents nauséabonds de son éducation de bourgeois catholique de province.

Il faut lire Pie IX et son syllabus pour ne pas rire devant tant de sottise ; pour ne pas rougir de honte devant tant d'intolérance et fermeture d'esprit. Le Pontife Romain peut et doit se réconcilier et transiger avec le progrès, le libéralisme et la civilisation moderne. Telle est notamment la dernière des erreurs pointée ici !

En réalité ces lignes me gênent. Il faudrait des ouvrages entiers pour comprendre le phénomène : on ne s'y risquera pas. Même si je demeure convaincu qu'une des meilleures sources demeure Poliakov et son histoire de l'antisémitisme. Mauriac, parce que c'est son vécu et, très sensible dans les pages de ces années-là, qu'y opère l'incessante remontée de son enfance, ramène tout à l'influence de l’Église et pointe le rôle décisif qu'aura joué à ce titre l'Affaire Dreyfus.

 

Mauriac pointe souvent l'Affaire. Si l'on devait réduire l'antisémitisme à sa dimension politique il a raison - en tout cas pour la France. La césure que représente l'Affaire après laquelle il ne saurait plus y avoir d'antisémitisme de gauche - au moins proclamé est incontestable et, pouvait-on croire au moment où Mauriac écrit, définitive.

Demeurait aux deux bornes de l'histoire de la IIIe une frange de la droite absolument rétive à toute conciliation avec la République et qui sera prête à toutes les compromissions à cette fin - frange que représente assez bien Drumont et sa France Juive et Maurras à l'Action Française puis Brasillach et Drieu la Rochelle. Remarquons au reste le rôle qui joua sinon la littérature en tout cas les littérateurs. D'où l'hypersensibilité de Mauriac : c'est sa caste qui est en jeu et à double titre d'écrivain, et de bourgeois catholique de province.

Ce qui me gêne ce n'est pas que Mauriac restreigne la question de l'antisémitisme à sa dimension politico-religieuse : vu le contexte et son propre parcours c'était plutôt inévitable même si, en lisant ces lignes, frappe en pleine figure l'aveuglement qui dura jusque dans es années 70 sur la spécificité du génocide perpétré par les nazis.

Non ce qui est gênant est l'argument ici réutilisé de l'excellence et de la supériorité. Race spirituellement dominatrice, peuple premier de la classe : quel sens ce tissu de banalités peut-il avoir sinon retourner systématiquement contre le peuple juif le tout et son contraire : sont-ils nombreux ? c'est qu'ils sont en train de nous envahir ! sont-ils peu ? c'est qu'ils se cachent ! marquent-ils leurs différences ? c'est qu'ils sont inassimilables ! sont-ils parfaitement intégrés ? vous voyez bien qu’hypocritement ils fomentent un complot ! Gagnent-ils ? sont-ils aux places en vues de la cité ? ils nous dominent déjà sans qu'on s'en aperçoive ? sont-ils pauvres ? c'est la lie de l'humanité, insectes contagieux et dangereux …

Je n'ai jamais été convaincu que l'expression gaullienne de novembre 67 fût antisémite ! En réalité, dès qu'il évoque un peuple de Gaulle utilise toujours le même type de qualificatif : fier de lui, orgueilleux ; sûr de sa grandeur etc. Il n'est qu'à écouter ce qu'à l'époque, il énonçait du peuple chinois ou russe pour comprendre qu'il ne s'agissait ici que de rhétorique convenue.

De là à y croire … 

Or, racisme, ostracisme, préjugé commencent exactement à partir de ces généralisations douteuses qui ne sont que le versant parfois fielleux ou facile d'un inconscient qui ferait mieux de le rester : je ne sache pas qu'un peuple pût se représenter autrement que grand, fier et ambitieux mais, surtout, qu'est-ce qu'un peuple sinon déjà une représentation, une abstraction de soi ou de l'autre ? une construction du politique lui-même ? Le juif n'existe que dans la tête de l'antisémite c'est ce qu'affirme Sartre ; Mauriac ne pouvait l'ignorer.

Je crains bien que sous l'éloge excessif du peuple ne se calfeutre encore une fois sinon une haine en tout cas une peur …

Que le catholique, surtout celui de cette génération, ait des problèmes avec le juif - ceci ne fait aucun doute - mais il a en réalité des problèmes avec tout ce qui n'est pas lui : on ne se proclame pas universel impunément. Le catholique a en réalité des problèmes avec ses origines, autant grecques que juives : l'universel n'a pas d'origine ! Le catholique, et avec lui tout l'Occident, a un réel problème avec l'Orient dont il ne cesse de vouloir se distinguer, en fait de s'arracher, sans y parvenir jamais. C'est lui qui est hors sol, lui qui peine à vouloir gommer ses débuts peu reluisants - de la faute originelle au meurtre initial - lui qui errant de siècle en siècle une culpabilité presque jouissive à force d'être infinie l'inflige à tous …

Décidément !