Bloc-Notes 2018
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Misère de la gauche

A lire les lignes, souvent féroces, que Mauriac consacre à Guy Mollet et à son gouvernement, ce n'est pas seulement le délitement de la IVe qui saute aux yeux, ou le dégoût qui saisit devant la compromission de certains - presque tous - en Algérie, sur la question de la torture etc, c'est aussi l'incroyable désarroi que suscite la défaillance de chaque camp.

Car c'est bien de ceci dont il s'agit !

Pour que Mauriac, homme de droite, en fût venu à rallier l'Express, à mettre sa notoriété en jeu, que de renoncements, que de faiblesses, que de lâchetés dans son propre camp.

Mais le vieil enfant attardé que je suis, selon vous, n'a pas gardé le goùt des découpages : il vous le laisse. A mes yeux la contradiction essentielle, la seule qui compte, est celle dont les socialistes et les démocrates chrétiens ont chez nous donné l'exemple. Si j'étais sncialiste, je ne me consolerais pas de ce que la politique française, surtout dans ces deux dernière s années, fut dirigée par un socialiste. maître de son parti qui n'a cessé de l 'approuver et de le soutenir. Et je ne me console pas moi-même de la part que des chrétiens, depuis la Libération, ont prise à la politique indnchinoise, marocaine et tunisienne de la France.
(…) Mais j'avais cru, j'avais espéré que la transmutation de volonté de puissance en volonté ·d'amour (non ! ne souriez pas), seuls des chrétiens pouvaient l'accomplir, alors surtout que la France, déchue du premier rang, détenait encore intacte, comme par miracle, sa prééminence spirituelle. Ce qui paraissait une folie, aux yeux des pieux renards du M.R.P., rejoignait en fait la politique la plus réaliste et qui eût été payante.
(…) Que de sang répandu, tout de même, Maurice Schumann, durant ces années où la démocratie chrétienne a eu part au gouvernement de la France ! Il y aurait de quoi en perdre le sommeil, ne trouvez-vous pas ?
7nov 57

Il le comprend vite ! Ce n'est pas qu'une question de constitution ! C'est une question d'homme ! de fidélité aux principes. Il se se résout pas à la politique coloniale de la démocratie dite chrétienne ! Il ne se résoudra pas plus à l'invraisemblable revirement de Mollet dès le début de son gouvernement : combien lui aura-t-il fallu comme médiocrité, comme faiblesse aussi pour qu'après un voyage mal préparé à Alger, où il s'était rendu pour trouver une solution, il traduise immédiatement guerre en pacification et s'en aille mener une politique exactement contraire à celle pour laquelle il avait été élu.

Non ! l'homme fait autant l'histoire que l'histoire fait l'homme, disait Marx : il en va de même ici ! Le grand acteur ne suffit pas ; il y faut les circonstances autant que les moyens politiques. En 45, avec de Gaulle et 54 avec Mendès-France, il y eut les hommes mais pas la constitution. En 56, avec le Front Républicain ; une mineure réforme constitutionnelle mais pas de solide volonté politique ni de grand acteur pour la mener. De Gaulle resta à l'écart où l'on réduisit très vite Mendès-France.

 

Ces années-là demeurent une honte pour la gauche ; elle s'était sortie plutôt grandie de la guerre : Front Populaire, puis Résistance lui auront donné une telle image de respectabilité et de courage qu'elle est le grand vainqueur des élections de l'après-guerre. Tri-partisme signifie que SFIO et PC recueillent ensemble la majorité. Il faut dire que la droite dévaluée après les années de collaboration se retrouve réduite au MRP - parti pseudo centriste qui rassemble en réalité tout ce qui à droite demeurait présentable. Ce sont évidemment aussi une honte pour la droite mais c'est de cette période que date l'expression - et la croyance - que la gauche n'arrivait auj pouvoir que pour faire finalement une politique de droite.

Assurément la IVe - la mal-aimée - n'aura pas arrangé les choses même si tout durant ces douze années n'aura pas été négatif. Pourtant le systématique jeu de massacre gouvernemental ajouté aux successives crises coloniales qui mirent aux prises des intérêts et des préjugés que nul - hormis sans doute PMF - ne fut de taille ou n'eut envie de combattre, empêchèrent quoi que ce soit de tangible de se réaliser, et facilitèrent de délitement incroyable de tout l'appareil d'Etat. Il est fou néanmoins de songer que cette période qui fut l'occasion rêvée de la gauche aura été pour elle totalement ratée.

M. Guy Mollet, porté au pouvoir par les grands malins que nous sommes, choisit le général Catroux pour gouverner l'Algérie - ce qui montre assez qu'à ce moment-là ses vues étaient les nôtres. Mais les fascistes d'Alger n'eurent qu'à paraître - et leurs tomates. M. Guy Mollet ne changea pas de discours. Simplement, les lapins furent baptisés carpes et la guerre, pacification. C'est cette monnaie de singe à l'usage des militants de tous les partis, et dont vous-mêmes, M.R.P., m'avez payé durant trop d'années (j'en rougis encore de honte), que j'ai jetée au nez de l'homme qui, le 6 février 1956, a donné le coup de barre fatal.
ibid

Comparaison n'est pas raison, certes ! mais je vois plus que des analogies entre cette ambiance putride des années 56-58 où tout, Etat, hommes, partis et idéologies semble partir à vau-l'eau - ce que Mendès France appelait la politique du chien crevé au fil de l'eau et ce qui est en train de se passer aujourd'hui. Car oui, quand la gauche ne ressemble plus à rien, pas même à son histoire dont elle n'eût retenu que son endémique division ; qu'elle fait la politique de la droite tout en poussant des refrains qu'on pût encore espérer socialistes ; quand la droite, par peur, défense de ses intérêts ou lâcheté, se vautre dans les draps de l'extrême-droite au point de ne même plus apparaître comme une alternative crédible, que reste-t-il de la démocratie ? pire encore, que reste-t-il de la République ?

Reste que, en 56, la gauche disparait d'avoir tout dit et fait le contraire. Que toute la classe politique apparut inutile, faible, lâche ou simplement affairiste : les dérives extrêmistes ne sont jamais loin dans ce cas là !

Quad la gauche meurt ou s'anémie ; quand la gauche s'embourgeoise ou trahit ; quand elle disparaît sous le ridicule ou la sotte invective, alors c'est tout le système qui souffre.

Je n'arrive pas à oublier ce dernier plan de l'Aveu de Costa-Gavras : parce que, de l'évidence mortifère du socialisme soviétique, à l'influence délétère du socialisme post-moderne qui n'aura été qu'un libéralisme à peine saupoudré de quelque charité bourgeoise bien comptée, décidément il y aura eu bien des trahisons …

Jaurès revient !

Car la gauche nous a abandonnés

La Constitution, on l'aura eue, finalement en 58 ! Soixante ans après, après que le grand acteur eut disparu et que ses imitateurs eurent profité des ultimes lueurs de son charisme, en dépit des petites réformes successives, un régime qui n'a plus rien de parlementaire mais un système partisan tellement éclaté où le moindre Iago aux allures de jeune premier - intelligent certes, mais est-ce la question ? - suffisamment habile pour profiter de l'échec et de la maladresse du sortant, de la pusillanimité de certains, de l'habileté démagogique des autres ou encore de la malhonnêté avaricieuse d'un troisième parvient sans véritablement coup férir à nous faire le coup de l'ancien et du nouveau monde, du dépassement des clivages et de la hauteur de vue jupitérienne.

J'en tire une conclusion simple : même si l'histoire ne se répète jamais tout à fait, et que ce fût l'antienne obsessionnelle de tous les bien-pensants que d'affirmer dépassés les clivages gauche/droite qu'il serait de bon ton d'estimer désuets et où l'on persiste à vouloir considérer les ultimes ressacs d'une guerre civile depuis longtemps enterrée, en réalité l'opposition gauche/droite a non seulement un sens social évident mais est même la condition de possibilité même de toute vie démocratique. Le nier c'est en vérité vouloir neutraliser sous les ors de la technocratie tout ce qu'une réalité peut comporter d'ambivalent, de contradictoire, de mouvant … de vivant. Nier ce clivage c'est bien pire qu'être de droite ! c'est être, sous couvert d'expertise et de modernité, antirépublicain.

J'en tire une seconde conclusion : quelque sophistiquée que soit une constitution, il arrive toujours un moment où la machine se grippe et où, ceci même qui fut une solution, devient une entrave. La Ve en est peut-être arrivée à ce point : l'hyperprésidentialisation a étouffé toute vie parlementaire mais aussi tout système partisan.