Bloc-Notes 2017
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Cela fait un moment que ce bloc-notes est demeuré vide comme si l'été avait épuisé mes capacités à écrire … et ce n'est pas complètement faux. Quelque chose comme un tournant ou une fin, des préoccupations parasites ralentissent ma plume ou l'épuisent, je ne sais.

Dualisme

Voici bien classique et fondatrice controverse mais tout en même temps expérience si triviale et si … désagréable ! Tout dans nos connaissances, tout dans l'approche scientifique, tout dans la bien-pensance de ce début de siècle plus dédié à l’efficacité économique qu'aux exigences spirituelles, tout, oui, plaide pour un monisme matérialiste bon teint. Et pourtant …

Voici bien trivial et peu élégant propos révélant, au gré, soit l'insupportable fatuité de qui le tient, soit - mais est-ce vraiment mieux - une bien ridicule niaiserie …

Il m'aura suffi de courir derrière mon bus que je venais de voir sottement passer devant mes yeux, pour soudainement comprendre que mon corps résistait, qu'il était lourd et ne se pliait à ma volonté que quelquefois… pour autant que j'allasse dans son sens.

Qu'on l'admette ou non, s'attarde en nos consciences, cette idée venue de si loin - autant d'Athènes que de Jérusalem - qu'il y a ce qui est et qui apparaît seulement ; qu'il y a d'un côté l'idée, l'être, l'esprit, hors de la caverne, quelque part dans un autre monde, une autre réalité, une autre manière de penser ce qui est en tout cas ; et, puis, de l'autre, ici et maintenant, engoncé dans la matière, le temps et l'espace, ce qui existe et donc fuit, passe et se délite et qu'ainsi ne vaudrait que ce qui dure et donc certainement pas ce qui resterait rivé au matériel.

Ai toujours été amusé que stoïciens comme épicuriens parvinssent à la même conclusion même si pour des raisons inverses. Et la figure du sage ressemble toujours peu ou prou à celle du vieux se retirant - dans le désert ou loin en tout cas des gloires du moment ; celle de la tentation consistant toujours à raviver le désir pour les choses matérielles - pouvoir, richesse, commerce des beaux corps. En dépit de leur goût manifeste pour le beau et notamment pour le beau corps, les grecs ne s'y trompèrent pas qui le ne considérèrent jamais que pour autant qu'il fût l'expression, le reflet du Beau - et non pour lui-même.

Sans tomber dans l'excès d'un monde chrétien qui décidément jamais n'aima le corps autrement que souffrant et coupable et qui ne considéra en lui que le tombeau de l'âme, je crois bien, pour ma part, avoir été toujours déchiré entre, d'une part, la certitude spinoziste que notre rapport au monde était bien plus pétri de désirs qui nous propulsaient en et vers lui que de raison qui parvenait au mieux à nous le faire entendre et, d'autre part, la sensation qu'assez logiquement en fin de compte, mourir - et par voie de conséquence vieillir - revînt à dénouer ces liens somme toute très provisoires qui nous liaient au monde. Qu'à la période, impétueuse mais si souvent illusoire des premières fois qui caractérisaient jeunesse et maturité, succédât celle, progressivement plus calme, non tant du renoncement mais des dernières fois, d'abord isolées puis de plus en plus nombreuses.

La vieillesse venant - il paraît que c'est pathétique - l'inclination me vint presque spontanément de me détacher de tout cet attirail matériel qui entrave, ralentit ; épuise. Je n'ai jamais été tourmenté par des pulsions ravageuses ; pas du tout par les délires de possession encore moins par le désir de richesse et s'il m'est arrivé de courir parfois après quelque objet ou aisance ce fut surtout pour n'avoir pas à y être aliéné… autant dire que je ressens mon âge plutôt comme une libération qu'une perte. Dans ma morale, les concepts de pesanteur et grâce qu'avait avancés S Weil, m'avaient aidé à comprendre le jeu de compensation ou mieux encore la boucle de rétroaction que dessinaient ensemble l'envolée vers l'être et la pesée du corps ; qu'il ne fallait ni fustiger celle-ci ni trop céder à celle-là.

Bref, autant le concéder, je ne me suis jamais véritablement identifié à mon corps : j'en ai un, oui, évidemment ! je ne le suis pas ! ne m'y reconnais que très malaisément. Est-ce pour cette raison que j'en pris rarement soin et que même je l'aurai négligé ? sans doute même s'il est clair que l'éducation et l'époque qui m'a vu naître privilégièrent assurément plus l'esprit que le corps sain !

La surprise vint de ce corps qui soudain se rappela à mon souvenir non sur le mode du plaisir mais de la douleur - ce qui en soi n'était pas bien grave même si désagréable et même plutôt attendu - mais surtout m'infligea comme une claque le démenti on ne peut plus péremptoire à mon indifférence à la mort. Quoique j'en eusse prétendu auparavant, je n'étais prêt à rien - pas même à la souffrance et tenais plus à la vie que je ne le croyais.

Me suis presque surpris à le regretter.

Etonnant paradoxe ou implacable contradiction : qu'il faille, de ce corps stupide et difforme, espérer quelque lueur de sagesse ! Qu'il faille, pour se retirer lentement, subir l'épreuve de la rentrée, pour s'envoler s'enfouir et subir l'affront de la chair épaisse et lourde … M Serres avait peut-être raison, finalement : la morale n'est posée que pour nous aider à supporter la douleur.

Il y aurait beaucoup à en écrire - mais ce fut si bien fait par d'autres - et je n'aurais certainement pas la fatuité de penser que j'en eusse plus sagace, profond ou intelligent à en écrire.

Des questions demeurent néanmoins : je le répète, la question de l'identité ne me hante pas. Qui suis-je, d'entre cette pensée qui se croit libre et de ce corps qui l'entrave, a peu de sens pour la boucle qui s'en interpénètre. Mais où suis-je ? qui mesure à quel point subitement temps et espace s'étriquent …

Y revenir sans doute