Bloc-Notes 2016
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Finissons-en avec cet odieux discours réactionnaire !
Guy Sorman
Le Monde du 1 0ct 16

 


La fièvre identitaire qui saisit le débat politique est une horreur, le masque du racisme et de la xénophobie. L’identité au singulier, cela n’existe pas. La France et les Français sont complexes et variables ; la culture, c’est ce qui évolue, seuls les cimetières sont immuables.

Les camelots qui nous fourguent de l’identité sur le marché aux voix et aux livres seraient incapables de la définir clairement, cette identité française, parce que cela ne se peut pas. Face à cette déferlante de l’intolérance, se taire serait une nouvelle trahison des clercs.

Pour mémoire, en 1927, Julien Benda dénonçait le ralliement de certains intellectuels à des idéologies effroyables, le nationalisme réactionnaire en particulier. Hélas ! Les intellectuels et assimilés les plus bruyants aujourd’hui, anoblissent le discours identitaire, ce qui demain autorisera les rafles et les expulsions.

Impératif moral

Ceux-là sont-ils conscients qu’ils infligent déjà de monstrueuses souffrances à tous les Français différents ou venus d’ailleurs ? Et qu’ils condamnent à des souffrances voire à la mort lente, les masses errantes qui se cognent à nos frontières fermées ?

Benda écrivait que l’intellectuel se reconnaît à ce qu’il place l’impératif moral au-dessus de toute idéologie et ne s’exprime jamais qu’au nom de cette morale sans guetter l’approbation, la popularité, le pouvoir. Eh bien, l’impératif moral est évident : reconnaître le droit imprescriptible à la différence, qu’elle soit religieuse, culturelle, ethnique, sexuelle…

L’impératif moral exige d’accompagner les humbles, les damnés de la terre, qui s’appellent plus souvent Aïcha et Saïd que Jean-Paul et Kevin. Ils s’appelaient naguère Luigi, Wenceslas ou Rachel : tous sont devenus des bons Français : ils ont changé la France à la manière dont les Romains avaient métamorphosé les Gaulois.

Un « melting-pot »

La France, réelle, est un melting-pot, autant que les Etats-Unis. J’entends la protestation contre le « communautarisme », ce mot-valise qui sonne fort et creux. Car, tout comme l’identité, il est impossible de définir le communautarisme, sauf à admettre que c’est toujours de « l’autre » dont il s’agit.

Par-delà la dénonciation nécessaire du discours identitaire comme imposture, cherchons les causes objectives de cette guerre civile qui naît. Elles existent : le laïcisme et le chômage.

Le laïcisme qui exclut est le contraire de la laïcité qui inclut. La laïcité authentique autorise chacun à suivre sa coutume aussi longtemps qu’il respecte les lois de la République. Mais le laïcisme, dégénérescence de la laïcité, est une idéologie d’exclusion qui prétend dicter les normes de la vie privée, habillement, mœurs, alimentation : un terrorisme identitaire drapé dans un discours républicain.

Cette idéologie laïciste ne peut que susciter, chez les « différents », le retrait de la communauté nationale, pour se réfugier dans la chaude sécurité de tribus reconstituées.

Marais stagnants de pauvreté

Ce à quoi contribue le chômage qui, en France, est une institution d’Etat : le choix non dit a été fait et tenu, depuis le ralentissement économique de 1974, de protéger ceux qui ont un emploi au détriment de ceux qui n’en auront jamais.

Ainsi se sont constitués aux portes des villes des marais stagnants de pauvreté, marginalité, qui incitent à haïr la société telle qu’elle est devenue. A ces nouveaux prolétaires, on inflige des leçons de « discrétion » (Valls dixit) qui transfèrent sur les victimes la charge des politiques perverses.

Ces faits sont avérés, incontestables, mais la réalité, en ce moment, intéresse moins que le mythe identitaire : la réalité n’en est pas moins vraie et l’impératif moral exige de dire ces faits. Le terrorisme nihilo-islamique est aussi une réalité que je ne nie pas, mais c’est un autre sujet, à ne pas confondre avec l’horreur identitaire, quand bien même l’un nourrit l’autre.