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Nicolas Offenstadt : «Un récit national est une négation de l’Histoire comme discipline scolaire» Par Ismaël Halissat — 29 août 2016

Pour ce professeur à l'université Paris-I, l'enseignement que souhaite François Fillon de hauts faits, de grandes figures, de symboles... qui s'accompagnerait d'un abandon de l'esprit critique, ne peut trouver l'assentiment d'aucun historien sérieux.

Nicolas Offenstadt : «Un récit national est une négation de l’Histoire comme discipline scolaire»
François Fillon ne veut pas qu’on oublie qu’il est candidat à la primaire à droite. Pour exister entre Nicolas Sarkozy et Alain Juppé, l’ancien Premier ministre a enchaîné les déclarations chocs sur l’éducation lors d’un meeting dimanche sur ses terres sarthoises. Il souhaite «revoir l’enseignement de l’Histoire à l’école primaire» afin que les professeurs ne soient «plus obligés d’apprendre aux enfants à comprendre que le passé est source d’interrogations».

«Si je suis élu président de la République, je demanderai à trois académiciens de s’entourer des meilleurs avis pour réécrire les programmes d’Histoire avec l’idée de les concevoir comme un récit national», a-t-il déclaré. Pour François Fillon, qui a également été ministre de l’Education, «le récit national c’est une Histoire faite d’hommes et de femmes, de symboles, de lieux, de monuments, d’événements». Nicolas Offenstadt, est farouchement opposé à l’idée d’un «récit national» comme enseignement de l’Histoire à l’école, qu’il considère comme un abandon de l’esprit critique.

D’où vient cette notion de l’Histoire comme un «récit national» ?
L’idée d’un récit national est une conception qui vise à glorifier le rôle de la France dans l’Histoire ou à l’idéaliser. Cette conception correspond notamment à l’enseignement de l’Histoire au XIXe siècle, sous la IIIe République. On parle aussi de «roman national». Dans cette perspective, l’Histoire aurait une fonction unificatrice et aujourd’hui protectrice mais souvent au mépris de l’enseignement critique. C’est prendre le postulat que la population a besoin d’un tel récit pour être rassurée. La conjoncture avec les attentats a donné du matériau combustible à ces discours politiques.

Est-ce qu’un courant politique est particulièrement adepte de cette conception de l’Histoire ?
Cette idée d’un retour à un roman national est véhiculée par la droite «décomplexée» depuis une quinzaine d’années. C’était la même logique lors de la séquence politique autour des débats initiés par le gouvernement sur «l’identité nationale» en 2009 et 2011, période où François Fillon était le Premier ministre de Nicolas Sarkozy. L’enseignement d’un «récit national» à l’école est la continuité de cette offensive. L’éducation nationale est la cible prioritaire de ce discours sur un prétendu déclin de l’enseignement, le fait que l’Histoire de France ne serait plus apprise par les enfants. Cette offensive contre l’école s’accompagne d’un traitement médiatique particulier comme dans le Figaro Histoire, Valeurs actuelles ou la chaîne Histoire.

Comment est enseignée l’Histoire aujourd’hui ?
On apprend, au contraire, à se méfier d’un récit donné par des injonctions politiques et qu’il y a plusieurs façons de raconter l’Histoire. Parce que forcément il faut sélectionner les faits qui constituent l’Histoire. Il existe de nombreuses positions au sein de la profession et pas de version unique de l’Histoire.

A l’école, l’objectif premier est d’apprendre à se situer dans le temps, comprendre le fait que les régimes changent, qu’il existe différentes périodes. Il faut ensuite être capable de développer une analyse critique de cette Histoire, des documents et discours qui la composent. Un récit national figé et glorifiant la France est une négation de l’Histoire comme discipline scolaire. Aucun historien sérieux ne peut être en accord avec cette position. Ce n’est pas possible de nier la réflexion dans notre discipline.

Une Histoire sans historiens en fait ?
C’est ça. L’idée de confier la réalisation du programme scolaire d’Histoire à des académiciens révèle cette défiance totale vis-à-vis des historiens et des enseignants. Par contre, cela conforte l’idée fantasmée d’une Académie comme garante d’une «identité française». Mais les académiciens sont très loin des problématiques liées à l’enseignement, d’ailleurs je ne sais pas quelles sont leurs compétences pour établir un programme scolaire.

Ismaël Halissat