Bloc-Notes 2016
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L’entreprise citoyenne : une question d’urgence

André Coupet, associé du cabinet de conseil en stratégie Paris Montréal Conseil

Le Monde du 6 avril 16

Le ministre de l’économie, Emmanuel Macron, et le premier ministre, Manuel Valls, déclarent volontiers qu’ils aiment l’entreprise. Ils ont raison de nous rappeler que le produit intérieur brut (PIB) provient à 70 % de la valeur ajoutée des entreprises ; que les emplois et la croissance dépendent d’elles.

Mais s’ils énonçaient clairement ce qu’ils souhaitent voir aujourd’hui derrière le mot entreprise, une entreprise pleinement responsable, assurément citoyenne, ils éviteraient le procès qu’on leur intente ces jours-ci de vouloir libéraliser pour libéraliser, et d’être confondus avec les partisans du néolibéralisme pur et dur tel que défini par Milton Friedman en 1985.

Alors que l’opinion commence enfin à ne plus faire l’amalgame entre la finance et l’économie, il serait intéressant de faire la distinction entre les entreprises qui ne songent qu’à l’optimisation fiscale et la maximisation des dividendes, et celles qui créent de la valeur pour leur communauté, créent des emplois, se préoccupent de l’environnement et se libèrent de l’obsession du court terme.

Il est urgent que l’on affirme haut et fort qu’il faut évoluer vers un modèle réconciliant l’entreprise avec la société. On ne peut pas continuer à exiger des rendements sur fonds propres de 12 % alors que la croissance dans les pays de l’OCDE n’est que de 1 %. Avec un tel déséquilibre, ce modèle ne survit qu’en épuisant toutes les ressources, celles des fournisseurs, celles de la planète… et en nous épuisant nous, les humains, obligés de suivre le rythme et les aléas de ses partisans.

Il devient impératif de porter au plus haut niveau de l’Etat un message plus clair, plus engageant, à l’attention de tous les dirigeants de nos entreprises, et de ne pas se contenter d’encourager telle ou telle initiative positive ou les organisations de l’économie sociale et solidaire. Non, il importe d’amener chaque entreprise, quels que soient son statut, son activité, sa taille, à créer de la valeur pour les cinq grandes parties prenantes que sont les clients, les salariés, les fournisseurs, les actionnaires et la société.

Une entreprise progressiste

Il s’agit d’intégrer l’économique et le sociétal au sein de la stratégie de l’entreprise et de ne plus se contenter d’avoir, à côté d’un business plan 100 % économique, quelques actions humanitaires ou sociales, même désintéressées. La responsabilité sociétale des entreprises (RSE) doit être totalement intégrée. Il est temps de passer de la RSE palliative à la RSE stratégique !

Il importe de promouvoir, au cœur de cette entreprise citoyenne, un management par les valeurs, avec une vraie couleur humaniste : l’honnêteté par exemple, incrustée dans les comportements et les processus, aurait empêché Volkswagen de tricher pendant des années !

Ce modèle de création de valeur partagée implique une gouvernance en phase avec les parties prenantes et avec l’équation selon laquelle les résultats sont une fonction du talent, du capital et du temps ; moyennant quoi, il apparaît logique qu’il y ait des administrateurs salariés au conseil d’administration.

Manuel Valls et Emmanuel Macron pourraient démontrer que cette entreprise nouvelle n’est d’ailleurs pas que « citoyenne » ou « responsable » ; elle est « progressiste ». N’ayons pas peur des mots : audacieuse, altruiste et volontariste, elle est déterminée, comme l’ont été au début du XXe siècle tous les réformateurs européens et américains – à l’instar du président Roosevelt –, à « combattre les excès de la société industrielle [financière dirions-nous aujourd’hui] et l’injustice sociale ».

En ces temps d’inquiétudes, il est urgent de redonner de l’espoir par un souffle nouveau au cœur de nos vies quotidiennes ; il est urgent de promouvoir une entreprise qui s’inscrit dans une économie de marché au service de l’homme, et non l’inverse.

André Coupet est coauteur de « Vers une entreprise progressiste » (www.entrepriseprogressiste.com).