Bloc-Notes 2016
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Cicéron,
Tusculanes V, XXXII

 

XXXII. Car qui s'est contenté de moins que lui? Qui a mieux prêché la sobriété? On veut de l'argent pour avoir de quoi fournir à son ambition, à ses amours, aux dépenses journalières : mais l'homme qui ne connaît rien de tout cela, quel cas ferait-il de l'argent? Pourquoi nos philosophes ne le regarderaient-ils pas du même œil que le Scythe Anacharsis, dont voici la lettre à un illustre Carthaginois, qui lui avait envoyé des présents :

« ANACHARSIS A HANNON, salut. Il ne me faut qu'un habit de peau, à la mode de mon pays. La plante de mes pieds me sert de souliers, et la terre de lit. Mes mets sont du lait, du fromage et de la viande. Mon assaisonnement est la faim. Si tu aimes la tranquillité, tu peux la venir chercher chez moi. Pour ce qui est des choses dont il t'a plu de me régaler, et dont tu fais tant de cas, garde-les pour tes concitoyens, ou pour les Dieux immortels ».

Presque aucun philosophe, de quelque secte que ce soit, n'a pensé autrement sur les richesses, à moins qu'un naturel vicieux ne l'empêchât de suivre la raison . Socrate assistant à une cérémonie, où l'on avait étalé beaucoup d'or et d'argent: Que voilà de choses, s'écria-t-il, que je ne désire point! Alexandre avait ordonné qu'on présentât de sa part à Xénocrate cinquante talents; somme alors très considérable, et surtout à Athènes. Xénocrate invita ces ambassadeurs à souper dans l'Académie, et leur fit servir un repas où il n'y avait que le pur nécessaire, sans aucun appareil; et quand le lendemain ils voulurent lui faire compter les cinquante talents : Hé quoi ! leur dit-il, ne vous aperçûtes-vous pas hier, à la frugalité de ma table, que l'argent m'était inutile? Cependant, comme il les vit contristés de cette réponse, il voulut bien accepter trente mines, pour ne pas paraître dédaigner les présents d'un roi. Diogène, en qualité de Cynique, répondit encore avec plus de liberté à ce grand prince, qui lui demandait, s'il n'avait besoin de rien : Je souhaite seulement, lui dit-il, que tu te détournes un peu de mon soleil; lui donnant à entendre qu'il l'empêchait d'en sentir les rayons. Aussi ce philosophe, pour montrer combien il avait raison de s'estimer plus que le roi de Perse, faisait-il quelquefois ce raisonnement : Je ne manque de rien; et il n'a jamais assez. Je ne me soucie pas de ses voluptés; et il ne saurait s'en rassasier. Enfin, j'ai des plaisirs auxquels il ne peut jamais atteindre.

 

Plutarque, Vie des hommes illustres
Alexandre

 

Les Grecs étaient assemblés dans l’isthme, et avaient arrêté, par un décret, qu’ils se joindraient à Alexandre pour faire la guerre aux Perses : il fut nommé chef de l’expédition, et reçut la visite d’une foule d’hommes d’État et de philosophes qui venaient le féliciter du choix des Grecs. Il comptait que Diogène de Sinope (21), qui vivait 454 à Corinthe, en ferait autant. Mais, comme il vit que Diogène ne s’inquiétait nullement de lui, et se tenait tranquillement dans le Cranium (22), il alla lui-même le voir. Diogène était couché au soleil ; et, lorsqu’il vit venir à lui une foule si nombreuse, il se souleva un peu, et fixa ses regards sur Alexandre. Alexandre le salue, et lui demande s’il a besoin de quelque chose : « Oui, répond Diogène ; détourne-toi un peu de mon soleil. » Cette réponse frappa, dit-on, vivement Alexandre ; et le mépris que lui témoignait Diogène lui inspira une haute idée de la grandeur d’âme de cet homme ; et, comme ses officiers, en s’en retournant, se moquaient de Diogène : « Pour moi, dit-il, si je n’étais Alexandre, je voudrais être Diogène. »

Diogène Laërce