Textes

F Mitterrand
Mémoires interrompus,

 

Visite, le 29 avril 1945 des camps de Landsberg et Dachau

“Ce que nous avons vu était pire que tout, inconcevable, hallucinant [...]. À Landsberg, pas un seul survivant. Des corps brûlés par milliers au lanceflammes [...]. À Dachau, la mort partout, les pendus, les gazés, les fours crématoires, les fusillés [...]. Une épidémie de typhus ajoutait au tourment des survivants [...].”

“C’est à Dachau que, par un hasard providentiel, j’ai retrouvé Robert Antelme, qui avait été arrêté le 1er juin 1944 avec d’autres camarades de notre mouvement et déporté ensuite, Il était si mal qu’on l’avait déjà jeté dans le carré des morts. Comme nous enjambions les corps, me voyant passer, il a murmuré mon nom, mon prénom plutôt. Pierre Bugeaud, qui était avec moi, l’a entendu et s’est penché vers moi pour me dire : Je crois qu’on vous appelle.”

“Je n’ai pu obtenir du général Lewis de le ramener le soir même dans notre avion à cause de l’épidémie de typhus. Rentré à Paris dans la nuit, j’ai aussitôt dépêché Dionys Mascolo, Jacques Bénet et Georges Beauchamp [qui] sautèrent dans une voiture et atteignirent Dachau à marche forcée. Ils trouvèrent Antelme à l’endroit indiqué. Il vivait encore. Ils l’habillèrent en GI et le portèrent comme s’il s’agissait d’un homme ivre [...]. À Strasbourg, ils le crurent mort [...]. Il était comme un pantin cassé quand ils franchirent la porte du 5 de la rue Saint-Benoit, où sa femme Marguerite et moi les attendions. Les médecins déjà sur place estimèrent qu’il n’y avait pas d’espoir de le sauver [...]. Il se rétablit, et on lui doit l’un des plus beaux livres sur la déportation, L’Espèce humaine.