Gorgias.(454c-454e)
SOCRATE— Examinons encore
ceci : existe-t-il quelque chose que tu appelles « savoir » ?
GORGIAS. — Oui.
SOCRATE. — Et quelque chose que tu appelles « croire » ?
GORGIAS. — Oui, certes.
SOCRATE. — Savoir et croire, est-ce la même chose à ton avis, ou la science
et la croyance sont-elles distinctes ?
GORGIAS. — Je me les représente, Socrate, comme distinctes.
SOCRATE. — Tu as raison, et en voici la preuve. Si l'on te demandait : « Y
a-t-il une croyance fausse et une vraie ? » tu répondrais, je pense
affirmativement.
GORGIAS. — Oui
SOCRATE. — Mais y a-t-il aussi une science fausse et une vraie ?
GORGIAS. — En aucune façon.
SOCRATE. — Science et croyance ne sont donc pas la même chose.
GORGIAS. — C'est juste.
SOCRATE. — Cependant la persuasion est égale chez ceux qui savent et chez
ceux qui croient.
GORGIAS. — Très vrai.
SOCRATE. — Je te propose alors de distinguer deux sortes de persuasions
l'une qui crée la croyance sans la sciences I'autre qui donne la science.
GORGIAS. — Parfaitement.
Ménon
SOCRATE — Qu'on ne puisse bien diriger ses affaires qu'à l'aide de la
raison, voilà ce qu'il n'était peut-être pas correct d'admettre ?
MÉNON — Qu'entends-tu par là ?
SOCRATE — Voici. Je suppose qu'un homme, connaissant la route de Larisse ou
de tout autre lieu, s'y rende et y conduise d'autres voyageurs, ne
dirons-nous pas qu'il les a bien et correctement dirigés ?
MÉNON — Sans doute.
SOCRATE — Et si un autre, sans y être jamais allé et sans connaître la
route, la trouve par une conjecture exacte, ne dirons-nous pas encore qu'il
a guidé correctement ?
MÉNON — Sans contredit.
SOCRATE — Et tant que ses conjectures seront exactes sur ce que l'autre
connaît, il sera un aussi bon guide, avec son opinion vraie dénuée de
science, que l'autre avec sa science.
MÉNON — Tout aussi bon.
SOCRATE — Ainsi donc, l'opinion vraie n'est pas un moins bon guide que la
science quant à la justesse de l'action, et c'est là ce que nous avions
négligé dans notre examen des qualités de la vertu ; nous disions que seule
la raison est capable de diriger l'action correctement ; or l'opinion vraie
possède le même privilège.
MÉNON — C'est en effet vraisemblable.
SOCRATE — L'opinion vraie n'est pas moins utile que la science.
MÉNON — Avec cette différence, Socrate, que l'homme qui possède la science
réussit toujours et que celui qui n'a qu'une opinion vraie tantôt réussit et
tantôt échoue.