μεταφυσικά

LA VOIE


Sparsa colligo [1]


La grande Voie n’a pas de porte. Des milliers de routes y débouchent – Proverbe zen


Il y a ceux qui voudraient améliorer les hommes et il y a ceux qui estiment que cela ne se peut qu’en améliorant d’abord les conditions de leur vie. Mais il apparaît que l’un ne va pas sans l’autre et on ne sait par quoi commencer – André Gide Journal 1942-49, p.31


Les forces « extérieures » du monde sont les mêmes que celles qui nous agitent intérieurement ; ses drames, ses tentations, ses lâchetés, ses cruautés procèdent aussi de la vie intérieure de tous les autres êtres humains….Les cruautés des tyrans leur viennent d’une vie intérieure qui nous est commune à tous – Pierre Guyotat


Il faudrait voir d’une part si le projet humain réalisé durant ces six millénaires par l’homo historicus est le seul projet humain possible et d’autre part voir s’il ne faudrait pas faire aujourd’hui quelque chose d’autre. – Raimundo Pannikar


Si le domaine des idées est révolutionné, la réalité ne peut demeurer telle qu’elle est - Hegel


Nous continuons à chercher des dépanneurs de la planète alpha, alors que nous sommes sur la planète beta – Ph. Caillé


Une terre finie peut-elle supporter un projet infini ? – Leonardo Boff


Quiconque croit qu’une croissance exponentielle peut durer toujours dans un monde fini, est ou un fou ou un économiste – Kenneth Boulding


Nous sommes condamnés à mûrir si nous ne voulons pas être condamnés à mourir – XX


Je ne cesse d’avoir de nouvelles preuves qu’un grand potentiel de bonne volonté sommeille en nous. Celle-ci n’est qu’atomisée, intimidée, piégée, paralysée et désemparée. Dans cette situation, il est du devoir des hommes politiques de ramener à la vie ce potentiel timide et sommeillant, de lui proposer une voie, de lui frayer un passage, de lui redonner assurance, possibilité de se réaliser, bref espoir. – Vaclav Havel


Chaque chose en tout temps marche avec son contraire – Les mille et une nuits


Liez les extrêmes et vous aurez le véritable milieu – Fiedrich Schlegel


Pour atteindre l’humanité il faut le sens d’un au-dela de l’humanité - Friedrich Schlegel


Notre temps n’est pas assez mûr pour cela, disent-ils toujours. Est ce une raison pour y renoncer ? – Friedrich Schlegel


La réalité envoie des signes annonciateurs à l’humanité – Peter Sloterdyk


Tout se passe comme si nous savions que quelque chose d’énorme va soit se produire, soit échouer lamentablement – Mahaswata Devi


La crise sociale, économique et spirituelle actuelle peut être dépassée grâce à la science, la spiritualité et la fraternité – Krishnammal Jagannathan


Il ne s’agit pas de trouver des « solutions » pour certains « problèmes » mais de viser à une alternative globale à l’état de choses existant, une civilisation nouvelle, un mode de vie autre, qui ne serait pas la négation abstraite de la modernité, mais son dépassement (aufhebung), sa négation déterminée, la conservation de ses meilleurs acquis, et son au-delà vers une forme supérieure de la culture – une forme qui restituerait à la société certaines qualités humaines détruites par la civilisation bourgeoise industrielle. Cela ne signifie pas un retour au passé, mais un détour par le passé, vers un avenir nouveau… – Michaël Lowy


Première partie :
La difficulté de penser le présent


- la conscience est toujours en retard par rapport à l’immédiat : « no sabemos lo que pasa y eso es lo que pasa » (Ortega y Gasset)

- il y a la rapidité des processus en cours

- il y a la complexité propre à la globalisation : inter-retro-actions innombrables entre processus extrêmement divers (économiques, sociaux, démographiques, politiques, idéologiques, religieux, etc)

- il y a nos carences cognitives :

les cécités d’une connaissance qui, compartimentant les savoirs, désintègre les problèmes fondamentaux et globaux qui nécessitent une connaissance transdisciplinaire
l’occidentalo-centrisme qui nous situe sur le trône de la rationalité et nous donne l’illusion d’être dans l’universel
Ainsi ce n’est pas seulement notre ignorance, c’est aussi notre connaissance qui nous aveugle.


De la mondialisation à la globalisation

Le processus de mondialisation commence à la fin du XVe siècle avec la conquête des Amériques et la circumnavigation autour du globe.La globalisation commence en 1989 avec l’effondrement des économies dites socialistes, l’universalisation du marché et du capitalisme[2], la constitution d’un réseau de télécommunications immédiates sur tout le globe (fax, téléphone portable, Internet). Cette globalisation opère une unification techno-économique occidentalisante sur la planète en croissance rapide.

La globalisation a comporté, suite à l’effondrement de l’URSS et la déconfiture du maoïsme, une vague démocratisante en diverses parties de la planète, une valorisation des droits de l’homme et des droits de la femme, dont les effets sont demeurés incertains et limités. Elle a comporté également trois processus culturels à la fois concurrents et antagonistes, d’une part un processus d’homogénéisation et de standardisation selon les modèles nord-américains, d’autre part un contre processus de résistances et de refloraisons de cultures autochtones, et, en même temps, un processus de métissages culturels.
Enfin la globalisation a produit comme l’infra-texture d’une société-monde. Une société nécessite un territoire comportant de permanentes et innombrables intercommunications, ce qui est arrivé à la planète ; elle nécessite sa propre économie, ce qui est la cas de l’économie mondialisée ; mais il lui manque le contrôle de l’économie ; il lui manque les autorités légitimes dotées de pouvoirs de décision ; il lui manque la conscience d’une communauté de destin, indispensable pour que cette société devienne Terre Patrie. Aussi ce ne sont pas seulement les souverainetés absolues des Etats-Nations, c’est aussi le mouvement techno-économique de la globalisation qui, parce qu’incontrôlé, empêche la formation d’une société monde


La crise planétaire


a) La crise de l’unification


L’unification techno-économique du globe coïncide dès 1990 avec des dislocations d’empires et de nations aggravant la balkanisation de la planète: dislocation de l’Union soviétique, de la Yougoslavie, de la Tchécoslovaquie, pulsions multiples d’ethnies vers des micros nations (Ossétie du Sud, Abkhazie en dernier lieu), tout cela dans le déchaînement des identités nationales, ethniques, religieuses. D’où l’accroissement d’un chaos en même temps que celui des interdépendances. La coïncidence n’est pas fortuite. Elle s’explique a) par les résistances nationales, ethniques, culturelles à l’homogénéisation civilisationnelle et à l’occidentalisation , b) par l’effondrement d’un Progrès conçu comme Loi du devenir humain[3] et l’accroissement des incertitudes et menaces du lendemain. Ainsi dans la perte du futur, jointe à la précarité et aux angoisses du présent, s’opèrent les reflux vers le passé c’est à dire les racines culturelles, ethniques, religieuses, nationales.
Il y a à la fois une relation inséparable et une contradiction formidable entre l’unité techno-économique du globe et la prolifération d’Etats souverains.

En même temps, et en dépit de l’hégémonie techno-économico-militaire des Etats-Unis se développe un monde multipolaire dominé par de grands blocs aux intérêts à la fois coopératifs et conflictuels, où les crises multiples augmentent à la fois les nécessités de coopération et les risques de conflit.

Ainsi la globalisation, à la fois Une et Plurielle, subit sa propre crise de globalité, qui à la fois unit et désunit, unifie et sépare[4].


b) les poly-crises


La globalisation ne fait pas qu’entretenir sa propre crise. Son dynamisme provoque de multiples crises à l’échelle planétaire


crise de l’économie mondiale, dépourvue de véritables dispositifs de régulation[5]
crise écologique, issue de la dégradation croissante de la biosphère, qui elle-même va susciter de nouvelles crises économiques sociales et politiques

crise des sociétés traditionnelles, désintégrées par l’occidentalisation ininterrompue


crise de la civilisation occidentale, où les effets négatifs de l’individualisme et des compartimentations détruisent les anciennes solidarités, où un mal-être psychique et moral s’installe au sein du bien être matériel, où se développent les intoxications consuméristes des classes moyennes, où se dégrade la sous-consommation des classes démunies, où s’aggravent les inégalités
crises démographiques produites par les surpopulations des pays pauvres, les baisses de population des pays riches, le développement des flux migratoires de misère et leur blocage en Europe


crise des villes devenues megapoles asphyxiées et asphyxiantes, polluées et polluantes, où les habitants sont soumis à d’innombrables stress, où d’énormes ghettos pauvres se développent et où s’enferment les ghettos riches
crise des campagnes devenant déserts de monocultures industrialisées, livrées aux pesticides, privés de vie animale, et camps de concentration pour l’élevage industrialisée producteurs de nourritures détériorées par hormones et antibiotiques
crise de la politique encore incapable d’affronter la nouveauté et l’ampleur des problèmes


crise des religions écartelées entre modernisme et intégrisme, incapables d’assumer leurs principes de fraternité universelle
crise des laïcités de plus en plus privées de sève et corrodées par les recrudescences religieuses


crise de l’humanisme universaliste, qui d’une part se désintègre au profit des identités nationales-religieuses, et d’autre part n’est pas encore devenu humanisme planétaire respectant le lien indissoluble entre l’unité et la diversité humaines.


c) La crise du développement


L’ensemble de ces multiples crises interdépendantes et interférentes est provoqué par le développement, qui est encore considéré comme la voie de salut pour l’humanité.


Le développement a certes suscité sur toute la planète des zones de prospérité selon le modèle occidental et il a déterminé la formation de classes moyennes accédant aux standards de vie de la civilisation occidentale. Il a certes permis des autonomies individuelles délivrées de l’autorité inconditionnelle de la famille, l’accession aux mariages choisis et non plus imposés, l’apparition des libertés sexuelles, des loisirs nouveaux, la consommation de produits inconnus, la découverte d’un monde étranger magique, y compris sous l’aspect du Macdonald et du Coca-cola, et il a suscité de grandes aspirations démocratiques.
Il a apporté aussi, au sein des nouvelles classes moyennes, les intoxications consuméristes propres aux classes moyennes occidentales, l’accroissement de la composante imaginaire des désirs ainsi que l’insatiabilité de besoins toujours nouveaux.


Il a apporté aussi les côtés sombres de l’individualisme, c’est-à-dire l’égocentrisme, la soif du profit, et l’autojustification (qui suscite l’incompréhension d’autrui). Le développement a créé de nouvelles corruptions dans les Etats, les administrations, les relations économiques. Il a détruit les solidarités traditionnelles, exacerbé les égoïsmes sans récréer de nouvelles solidarités et de nouvelles communautés. D’où la multiplication des solitudes individuelles.


De plus, le développement a créé d’énormes zones de misère, ce dont témoignent les ceintures démesurées de bidonvilles qui auréolent les mégapoles d’Asie, d’Afrique, d’Amérique latine. Comme l’a dit Majid Rahnema, la misère y chasse la pauvreté des petits paysans ou artisans qui jouissaient d’une relative autonomie en disposant de leurs polycultures ou de leurs outils de travail. Je ne sais qui a dit « le développement est un voyage qui comprend plus de naufragés que de passagers ».


Le moteur du développement est techno-économique. Il est censé entraîner les wagons du bien-être, de l’harmonie sociale, de la démocratie. De fait, il est compatible avec les dictatures pour qui le développement économique comporte l’esclavagisation des travailleurs et la répression policière comme ce fut le cas au Chili et au Brésil et comme le montre l’hyper développement de la Chine actuelle..


D’autre part, le développement instaure un mode d’organisation de la société et des esprits où la spécialisation compartimente les individus les uns par rapport aux autres et ne donne à chacun qu’une part close de responsabilité. Et, dans cette fermeture, on perd de vue l’ensemble, le global, et la solidarité. De plus, l’éducation hyper spécialisée remplace les anciennes ignorances par le nouvel aveuglement.


Cet aveuglement vient également de la conception techno-économique du développement qui ne connaît que le calcul comme instrument de connaissance (indices de croissance, de prospérité, de revenus, statistiques qui prétendent tout mesurer) . Autrement dit, il ne fonctionne qu’avec le quantifiable. Il ignore non seulement les activités non monétarisées comme les productions domestiques et/ou de subsistance, les services mutuels, l’usage de biens communs, la part gratuite de l’existence, mais aussi et surtout ce qui ne peut être calculé : la joie, l’amour, la souffrance, l’honneur c’est-à-dire le tissu même de nos vies.


Le développement est une formule standard qui ignore les contextes humains et culturels. Il s’applique de façon indifférenciée à des sociétés et cultures très diverses, sans tenir compte de leurs singularités, de leurs savoirs, savoir-faire, arts de vivre, présents aussi chez les peuples que l’on réduit à leur analphabétisme, et dont on ignore par la même les richesses de leurs cultures orales traditionnelles. Il constitue un véritable ethnocide pour les petits peuples indigènes sans Etats.


Le développement, promu comme vérité universelle pour la planète, est en réalité pseudo-universaliste, puisqu’il donne le modèle occidental comme modèle universel. C’est un produit du sociocentrisme occidental et c’est aussi un moteur d’occidentalisation forcené. Il suppose que les sociétés occidentales sont la finalité de l’histoire humaine.


Or le développement-solution ignore que les sociétés occidentales sont en crise du fait même de leur développement. Celui-ci a produit un sous-développement intellectuel, psychique et moral. Intellectuel parce que la formation disciplinaire que nous recevons, en nous apprenant à séparer les choses, nous a fait perdre l’aptitude à relier, et du coup l’aptitude à penser les problèmes fondamentaux et globaux. Psychique parce que nous sommes dominés par la logique purement économique et quantitative, qui ne voit comme perspective politique que la croissance et le développement, et que nous sommes poussés à tout considérer en termes quantitatifs et matériels. Moral parce que partout l’egocentrisme prime la solidarité. Il faut dire aussi que l’hyper-spécialisation, l’hyper-individualisme, la perte de solidarité, tout ceci conduit à un mal-être, y compris au sein du bien-être matériel. Et ainsi nous vivons dans une société où les solutions que nous voulons apporter aux autres sont devenues nos problèmes.


Aussi, l’occident ressent en lui un vide et un manque, puisque de plus en plus nos esprits désemparés font appel aux psychanalyses et psychothérapies, au yoga, au bouddhisme Zen, aux marabouts ; on essaie de trouver dans les cultures et les sagesses d’autres continents, des remèdes à notre vide créé par le caractère quantitatif et compétitif de nos vies.


La conscience de la crise du développement n’est arrivée que de façon partielle, insuffisante, limitée à la problématique écologique, ce qui a conduit à attendrir la notion de développement en lui accolant l’épithète « durable ». Mais l’os demeure.
Enfin, si l’on considère que le développement, l’occidentalisation et la globalisation sont les moteurs l’un de l’autre, alors toutes les crises que nous avons énumérées peuvent être considérées aussi comme les composantes d’une mega-crise à trois visages inséparables : crise du développement, crise de l’occidentalisation, crise de la mondialisation


Crise cognitive/ crise politique /sociale


d) la crise de l’humanité


La globalisation, l’occidentalisation, le développement[6] [7]sont donc les trois faces du même dynamisme qui produit une pluralité de crises interdépendantes et enchevêtrées, et qui elles-mêmes produisant la crise de la globalisation, celle de l’occidentalisation, celle du développement. Mais comme ce caractère complexe même de la crise planétaire est généralement ignoré, cela indique que la multi crise est aussi cognitive.. La gigantesque crise planétaire n’est autre que la crise de l’humanité qui n’arrive pas à accéder à l’humanité.


Vers l’abîme ?

Le développement du développement développe la crise du développement et conduit l’humanité vers de probables catastrophes en chaînes.

Le vaisseau spatial terre est propulsé par quatre moteurs incontrôlés : la science, la technique, l’économie, le profit. Leurs effets sont ambivalents. La science a produit non seulement des élucidations et suscité des applications bénéfiques, mais a produit aussi les armes de destruction massive, notamment nucléaires, et des possibilités inconnues de manipulation des gènes et des cerveau humains. La technique, ambivalente par nature, a permis d’asservir les énergies naturelles mais aussi les êtres humains à son service. L’économie a produit non seulement des richesses inouïes mais aussi des misères inouïes, et son manque de régulation laisse libre cours au profit lui-même propulsé et propulseur d’un capitalisme déchaîné hors de tout contrôle, ce qui contribue à la course vers l’abîme.

A cela se combine l’aggravation des diverses crises enchevêtrées qui, dans un monde disloqué, aggravent les antagonismes, lesquels aggravent les déferlements idéologiques-politiques-religieux, lesquels eux-mêmes intensifient les manichéismes et les haines aveugles, suscitant des hystéries de guerre. Deux barbaries sont plus que jamais alliées. La barbarie venue du fond des âges historiques qui mutile, détruit, torture, massacre, et la barbarie froide et glacée de l’hégémonie du calcul, du quantitatif, de la technique sur les sociétés et les vies humaines.

L’issue catastrophique du cours actuel est ainsi hautement probable, la probabilité étant définie par ce qu’un observateur, en un temps et un lieu donnés, peut induire de la continuation des processus en cours.

Aussi peut-on dire que la globalisation constitue le pire qui soit arrivé à l’humanité.


Le meilleur

Mais il faut dire également qu’elle en constitue le meilleur. Le meilleur est que pour la première fois dans l’histoire humaine sont réunies les conditions d’un dépassement de cette histoire faite de guerres s’aggravant jusqu’au point de permettre le suicide global de l’humanité.

Le meilleur est qu’il y ait désormais interdépendance accrue de chacun et de tous, nations, communautés, individus sur la planète terre, et que se multiplient symbioses et métissages culturels en tous domaines, en dépit des processus d’homogénéisation qui par ailleurs tendent à détruire les diversités.

Le meilleur est que les menaces mortelles et les problèmes fondamentaux communs aient créé une communauté de destin pour toute l’humanité.

Le meilleur est que la globalisation ait créé l’infratexture d’une société-monde. Le meilleur est que dans les conditions de communauté de destin et de possible société-monde nous puissions envisager la terre comme patrie, sans que cette patrie nie les patries existantes, mais au contraire les englobe et les protège.

Mais la conscience des périls est encore faible et dispersée. Mais la conscience de la nécessité de dépasser l’histoire n’a pas encore émergé. Mais la conscience de la communauté de destin reste déficiente. Mais la conscience d’une Terre Patrie est encore marginale et disséminée. Mais la globalisation techno-économique empêche la société-monde dont elle a pourtant créé les infratextures. Mais il y a contradiction entre les souverainetés nationales encore absolues et la nécessité d’autorités supra-nationales pour traiter les problèmes vitaux de la planète.

Ainsi effectivement, la mondialisation est à la fois le meilleur (la possibilité d’émergence d’un monde nouveau) et le pire (la possibilité d’auto-destruction de l’humanité) Elle porte en elle des périls inouïs. Elle porte en elle des chances inouïes. Elle porte en elle la probable catastrophe. Elle porte en elle l’improbable donc possible espérance.
Tous les processus actuels portent en eux des ambivalences. Toute crise, et la crise planétaire de façon paroxystique, porte en elle risque et chance. La chance est dans le risque. La chance s’accroît avec le risque. « Là où croit le péril croit aussi ce qui sauve » (Holderlin).

La voie : tout est à recommencer, tout est à repenser

Epoque qui devrait être comme la renaissancce et plus encore l’occasion d’une repensée reproblématisation généralisée
Mais la chance n’est possible que s’il est possible de changer de voie. Est ce possible ?


Vers la métamorphose ?

Quand un système est incapable de traiter ses problèmes vitaux, il se dégrade, se désintègre ou alors il est capable de susciter un meta-systême capable de traiter ses problèmes : il se métamorphose

Le système terre est incapable de s’organiser pour traiter ses problèmes vitaux:


- périls nucléaires qui s’aggravent avec la dissémination et peut être la privatisation de l’arme atomique
- dégradation de la biosphère
- économie mondialisée dépourvue d’un systême de contrôle/régulation
- retour des famines
- conflits ethno-politico-religieux pouvant se développer en guerres de civilisation.

L’amplification et l’accélération de tous ces processus peuvent être considérés comme le déchaînement d’un formidable feed-back négatif, processus par lequel se désintègre irrémédiablement un système.

Le probable est la désintégration.

L’improbable mais possible est la métamorphose.

Qu’est ce qu’une métamorphose ? Nous en voyons d’innombrables exemples dans le règne animal notamment chez les insectes. Une chenille s’enferme dans une chrysalide. Elle commence alors un processus qui est à la fois d’autodestruction et d’auto-reconstruction selon une organisation et une forme différentes. Quand la chrysalide se déchire, il s’est formé un papillon, qui est autre que la chenille, tout en demeurant le même. L’identité s’est maintenue et transformée dans l’altérité.
La naissance de la vie peut être conçue comme la métamorphose d’une organisation physico-chimique, qui, arrivée à un point de saturation, a créé une méta-organisation, l’auto-éco-organisation vivante, laquelle, tout en comportant exactement les mêmes constituants physico-chimiques, a produit des qualités nouvelles, dont l’autoreproduction, l’autoréparation, l’alimentation en énergie extérieure, la capacité cognitive.

La formation des sociétés historiques, au Moyen-Orient, en Inde, en Chine, au Mexique, au Pérou constitue une métamorphose à partir d’un agrégat de sociétés archaïques de chasseurs-cueilleurs, qui a produit les villes, l’Etat, les classes sociales, la spécialisation du travail, les grandes religions, l’architecture, les arts, la littérature, la philosophie. Et cela pour le meilleur comme aussi pour le pire : la guerre, l’esclavage, la barbarie.

À partir du XXIe siècle se pose le problème de la métamorphose des sociétés historiques en une société-monde d’un type nouveau, qui engloberait les Etats-nations sans les supprimer. Car la poursuite de l’histoire, c’est-à-dire des guerres, par des Etats disposant des armes d’anéantissement, conduit à la quasi-destruction de l’humanité. Il y a la nécessité vitale d’une métahistoire. Alors que pour Fukuyama les capacités créatrices de l’évolution humaine sont épuisées avec la démocratie représentative et l’économie libérale, nous devons penser qu’au contraire c’est l’histoire qui est épuisée et non les capacités créatrices de l’humanité.

C’est dans la métamorphose que se régénéreraient les capacités créatrices de l’humanité. L’idée de métamorphose est plus riche que l’idée de révolution. Elle en garde la radicalité novatrice, mais la lie à la conservation (de la vie, des cultures, de l’héritage des pensées et des sagesses de l’humanité).

Pour aller vers la métamorphose, il est nécessaire de changer de Voie. Mais s’il semble possible d’en modifier certains cheminements, de corriger certains maux, il est impossible de même freiner le déferlement techno-scientifico-économico-civilisationnel qui conduit la planète aux désastres

Et pourtant l’Histoire humaine a souvent changé de voie. Comment ? Tout commence, toujours, par une initiative, une innovation, un nouveau message de caractère déviant, marginal, modeste, souvent invisible aux contemporains. Ainsi ont commencé les grandes religions. Le prince Sakyamuni a élaboré le bouddhisme au terme d’une méditation solitaire sur la vie puis à partir de quelques disciples s’est développée une religion qui s’est répandue en Asie. Jésus était un chaman galiléen qui énonça sa prédiction sans succès auprès du peuple juif, mais son message, repris et universalisé par un pharisien dissident, Paul de Tarse, se répandit lentement dans l’Empire romain pour devenir finalement sa religion officielle. Mahomet dut fuir La Mecque et se réfugier à Médine ; le Coran se propagea de disciples en disciples, et devint le texte sacré d’innombrables populations en Afrique, Asie, Europe. Le capitalisme se développa en parasite des sociétés féodales pour finalement prendre son essor et, avec l’aide des royautés, les désintégrer. La science moderne s’est formée à partir de quelques esprits déviants dispersés, Galilée, Bacon, Descartes, puis créa ses réseaux et ses associations, s’introduisit dans les Universités au XIXe siècle, puis au XXe siècle dans les économies et les Etats pour devenir l’un des quatre puissants moteurs du vaisseau spatial Terre. Le socialisme est né dans quelques esprits autodidactes et marginalisés au XIXe siècle pour devenir une formidable force historique au XXe.

Aujourd’hui, tout est à repenser. Notre époque devrait être, comme fut la renaissance, et plus encore, l’occasion d’une reproblématisation généralisée. Tout est à repenser. Tout est à recommencer.

Tout en fait, a recommencé mais sans qu’on le sache. Nous en sommes au stade de commencements, modestes, invisibles, marginaux, dispersés.

Mais il existe déjà, sur tous continents, en toutes nations, un bouillonnement créatif, une multitude d’initiatives locales, dans le sens de la régénération économique, ou sociale, ou politique, ou cognitive, ou éducationnelle, ou éthique, ou de la réforme de vie. Mais leur dispersion est inouïe. (Tout ce qui devrait être relié est séparé, compartimenté, dispersé). Ces initiatives ne se connaissent pas les unes les autres, nulle administration ne les dénombre, nul parti n’en prend connaissance. Mais elles sont le vivier du futur. Le salut commencera par la base. Il s’agit de les reconnaître, de les recenser, de les collationner, de les répertorier, et de les conjuguer en une pluralité de chemins réformateurs. En chacun et en tous, il s’agit de relier, améliorer, stimuler. Ce sont ces voies multiples qui pourront, en se développant conjointement, se conjuguer pour former la Voie nouvelle, laquelle altérerait et décomposerait la voie que nous suivons, et nous mènerait vers l’encore invisible et inconcevable Métamorphose.


Pour élaborer les voies qui se rejoindront dans la voie, il nous faut nous dégager des alternatives bornées, auxquelles nous contraint le mode de connaissance et de pensée hégémonique :


Mondialisation/démondialisation
Croissance/décroissance
Développement/enveloppement

Il faut à la fois mondialiser et démondialiser, croître et décroître, développer et envelopper ou « introverser »

Disons rapidement ce qui apparaîtra nettement en cours d’exposé. L’orientation mondialisation/démondialisation signifie que s’il faut multiplier les processus de communications et de planétarisation culturelles, s’il faut que se constitue une conscience de « terre-patrie » qui est une conscience de communauté de destin, il faut aussi promouvoir, de façon démondialisante, l’alimentation de proximité, les artisanat de proximité, les commerces de proximité, le maraîchage périurbain, les communautés locales et régionales. Autrement dit il faut développer à la fois le global et le local sans que l’un dégrade l’autre. Du même coup, le monde humain doit évoluer en spirale, retourner partiellement au passé pour repartir vers le futur : c’est à dire retourner aux paysans, aux villages, à l’artisanat.

L’orientation croissance/décroissance signifie qu’il faut faire croître les services, les énergies vertes, les transports publics, l’économie plurielle dont l’économie sociale et solidaire, les aménagements d’humanisation des mégapoles, les agricultures et élevages fermiers et biologiques, mais décroître les intoxications consommationnistes, la nourriture industrialisée, la production d’objets jetables et non réparables, le trafic automobile, le trafic camion (au profit du ferroutage).

L’orientation développement/enveloppement signifie que l’objectif n’est plus fondamentalement le développement des biens matériels, de l’efficacité, de la rentabilité, du calculable, il est aussi du retour de chacun sur soi, sur ses besoins intérieurs, de la stimulation de nos aptitudes à comprendre autrui, notre prochain et notre lointain, d’un retour au temps long et non strictement chronométré. L’enveloppement signifie le grand retour à la vie intérieure et au primat de l’amour et de l’amitié

Il ne suffit plus de dénoncer. Il nous faut maintenant énoncer. Il ne suffit pas de rappeler l’Urgence. Il faut savoir aussi commencer, et commencer par définir les voies qui conduiraient à la Voie. Le Message qui indique la Voie n’a pas encore été formulé, il est en cours d’élaboration, ce à quoi nous essayons de contribuer.

L’origine est devant nous disait Heidegger. La métamorphose serait effectivement une nouvelle origine.


Les raisons d’espérer


Quelles sont les raisons d’espérer ? Nous pouvons formuler cinq principes d’espérance :

1 Le surgissement de l’inattendu et l’apparition de l’improbable. Ainsi la résistance victorieuse par deux fois de la petite Athènes à la formidable puissance perse, cinq siècles avant notre ère, fut hautement improbable et permit la naissance de la démocratie et celle de la philosophie. De même fut inattendue et improbable la congélation de l’offensive allemande devant Moscou en automne 1941, puis la contre-offensive victorieuse de Joukov commencée le 5 décembre, et suivie le 8 décembre par l’attaque de Pearl Harbor qui fit entrer les Etats Unis dans la guerre mondiale.

2 Les vertus génératrices/créatrices inhérentes à l’humanité. De même qu’il existe dans tout organisme humain adulte des cellules souches dotées des aptitudes polyvalentes (totipotentes) propres aux cellules embryonnaires, mais inactivées, de même il existe en tout être humain, en toute société humaine des vertus régénératrices, génératrices, créatrices à l’état dormant ou inhibé. Dans les sociétés normalisées, stabilisées, rigidifiées, les forces génératrices/ créatrices se manifestent chez les marginaux souvent déviants que sont artistes, musiciens poètes, peintres, écrivains, philosophes, découvreurs, bricoleurs, inventeurs. Or la conscience que tous les grands mouvements de transformation commencent toujours de façon marginale, déviante, modeste, nous montre que même (surtout ?) dans les sociétés figées ou sclérosées peuvent apparaître les innovations créatrices

3 les vertus de la crise : en même temps que des forces régressives ou désintégratrices, les forces génératrices créatrices s’éveillent dans les sociétés en crise. La crise de la mondialisation, la crise du néo-libéralisme, la crise de l’humanité à l’ère planétaire sont riches de périls mais aussi riches de possibilités transformatrices. Ainsi, de Seattle à Porto Alegre et Belem s’est formée une volonté de répondre à la mondialisation techno-économique par un alter-mondialisme, terme à prendre à la lettre comme aspiration à un autre monde, et qui pourrait conduire à l’élaboration d’une véritable « politique de l’humanité »

4 Ce à quoi se combinent les vertus du péril : « la où croit le péril croit aussi ce qui sauve ». Là ou croit la désespérance croit aussi l’espérance. La chance suprême est dans le risque suprême.

5 L’aspiration multimillénaire de l’humanité à l’harmonie (paradis, puis utopies, puis idéologies libertaire/socialiste/communiste, puis aspirations juvéniles des années 60 (Peace-Love) et révoltes juvéniles de 68 ne peut mourir. Cette aspiration renaît et renaîtra sans cesse. Elle est présente dans le grouillement des initiatives multiples et dispersées à la base des sociétés civiles, qui vont pouvoir nourrir les voies réformatrices, elles-mêmes vouées à se rejoindre dans la Voie vers la métamorphose.

L’espérance était morte. Les vieilles générations sont désabusées des fausses promesses et des faux espoirs. Les jeunes générations sont en désarroi. Elles se désolent qu’il n’ait plus de cause à laquelle se vouer, comme fut celle de notre résistance durant le seconde guerre mondiale. Mais notre cause portait en elle même son contraire. Comme disait Vassili Grossman de Stalingrad, la plus grande victoire de l’humanité était en même temps sa plus grande défaite, puisque le totalitarisme stalinien en sortait vainqueur. La victoire des démocraties rétablissait du même coup leur colonialisme. Aujourd’hui, la cause est sans équivoque, sublime : il s’agit de sauver l’humanité.

L’espérance est ressuscitée ! L’espérance n’est pas illusion. L’espérance vraie sait qu’elle n’est pas certitude, mais sait que l’on peut faire un chemin en marchant (caminante no hay camino, se hace el camino al andar), l’espérance non pas au meilleur des mondes, mais en un monde meilleur, l’espérance qui sait que le salut par la métamorphose est possible.


Deuxième partie :
Les voies de la Voie.


Les réformes politiques seules, les réformes économiques seules, les réformes éducatives seules, les réformes de vie seules ont été et seront condamnées à l’insuffisance et à l’échec. Chaque voie ne peut progresser que si progressent les autres. Les voies réformatrices sont corrélatives, interactives, interdépendantes.


Pas de réforme politique sans réforme de la pensée politique, qui suppose une réforme de la pensée elle-même, qui suppose une réforme de l’éducation, laquelle elle même suppose une réforme politique. Pas de réforme économique et sociale sans réforme politique qui elle même suppose réforme de la pensée. Pas de réforme de vie ni de réforme éthique sans réforme des conditions économique et sociales du vivre, et pas de réforme sociale ni économique sans réforme de vie et réforme éthique.
Plus profondément encore la conscience de la nécessité vitale de changer de voie est désormais inséparable de la conscience que le grand problème de l’humanité est celui de l’état souvent monstrueux et misérable des relations entre individus, groupes, peuples. La question très ancienne de l’amélioration des relations entre humains, qui a suscité tant d’aspirations révolutionnaires et tant de projets politiques, économiques, sociaux, éthiques, est désormais indissolublement liée à la question vitale du 21ème siècle qui est celui de la Voie nouvelle et de la Métamorphose.


J’ai déjà indiqué qu’à la base, dans toutes les sociétés civiles il y a multiplicité d’initiatives dispersées, ignorées des partis, des administrations, des médias. Tout est épars, séparé, compartimenté. Mais les reliances, développements et convergences des innombrables initiatives permettraient de frayer des voies qui convergeraient pour former La Voie.


La voie de la Réforme politique : politique de l’humanité et politique de civilisation.


1 régénération de la pensée politique

L’action politique s’est toujours fondée, implicitement ou explicitement sur une conception de la société, de l’homme, et du monde, c’est à dire sur une pensée. C’est ainsi qu’une politique réactionnaire a pu se fonder sur Bonald, Joseph de Maistre, Maurras, qu’une politique modérée a pu se fonder sur Tocqueville, que des politiques révolutionnaires ont pu se fonder sur Marx, Proudhon, Bakounine. Une politique qui vise à l’amélioration des relations entre humains (peuples, groupes, individus) doit plus qu’une autre se fonder non seulement sur une conception de l’homme de la société et du monde (ou anthropologie) mais aussi pouvoir se baser sur une conception pertinente du monde contemporain et de son devenir.

C’est bien l’effort que j’ai tenté dans « Introduction à une politique de l’homme», « Pour une politique de civilisation », « Terre Patrie ».

Il nous faut plus encore : un diagnostic pertinent sur le cours actuel de l’ère planétaire qui emporte l’espèce l’humaine : c’est ce que j’ai tenté dans « Vers l’abîme » et c’est un concentré de ce diagnostic qui se trouve présenté dans la première partie du présent document.

La régénération de la pensée politique suppose conjointement la réforme de la pensée que nous indiquons plus loin. La nouvelle politique obéirait à une double orientation, celle d’une politique de l’humanité et celle d’une politique de la civilisation. Et elle veillerait à penser en permanence et simultanément planétaire, continental, national et local.


2 Politique de l’humanité

La politique de l’humanité se justifie comme politique de la communauté de destin de l’espèce humaine face à des problèmes vitaux et mortels communs ; elle concrétiserait cette conscience dans l’idée de Terre patrie, laquelle loin de nier les patries singulières les intégreraient dans une patrie commune. Les internationalismes ignoraient l’importance des diversités culturelles et nationales. La «terre patrie» comporterait le souci de sauvegarder indissolublement l’UNITE/DIVERSITE humaine : le trésor de l’unité humaine est la diversité, le trésor de la diversité humaine est l’unité humaine.

Elle partirait du constat que la globalisation a créé le substrat d’une société-monde (reseau de communications multiples sur le globe et économie désormais planétaire) mais sans créer des institutions propres et une conscience commune. Elle œuvrerait pour la création d’institutions planétaires compétentes pour les problèmes vitaux de l’économie, de la biosphère, des armes de destruction massive, de protection des richesses culturelles. Il devient désormais nécessaire, d’élaborer, à partir d’une ONU réformée, les premières institutions d’une société-monde qui pourraient éventuellement par la suite constituer une première forme de gouvernance mondiale.

La politique de l’humanité opérerait le dépassement de l’idée de développement, même soutenable (durable).

L’idée de soutenabilité, apporte au développement la prise en compte de la sauvegarde de la biosphère et corrélativement de la sauvegarde des générations futures. Cette idée a une composante éthique importante. Mais cette composante éthique ne peut améliorer profondément l’idée même de développement.

La notion de développement appliquée à la société dérive de la notion de développement biologique, de l’embryon à la personne devenue adulte. Mais le développement biologique comporte corrélativement progrès en qualités et en quantités, progrès en complexité, dont en solidarité entre tous les éléments en développement, accroissement des communications entre les parties et le tout, accroissement corrélatif de l’unité et des diversités

Or l’idée admise du développement se fonde essentiellement sur le moteur techno-économique, conçu comme locomotive entrainant démocratie et vie meilleure. C’est une idée réductrice, privée de complexité et du sens des solidarités ; elle est sous-développée.

Enfin, la notion de sous-développement a quelque chose d’injustement péjoratif, parce qu’on appelle sous-développées des cultures qui comportent des savoirs, des savoir-faire (en médecine par exemple), des sagesses, des arts de vivre souvent absents chez nous ; bien entendu, elles comportent des superstitions, des illusions, mais nous-mêmes nous avons nourri de nombreuses illusions, dont le mythe du progrès comme loi de l’histoire, la dernière étant la capacité de l’économie libérale à résoudre tous les problèmes humains. Nous avons à nous défaire de l’arrogance intellectuelle occidentalocentrique, et non des supposés sanglots de l’homme blanc.

Il ne s’agit nullement ici d’idéaliser les sociétés traditionnelles, qui ont leurs carences, leurs fermetures leurs injustices, leurs autoritarismes. Il faut voir aussi leurs qualités, et considérer leurs ambivalences. Nous devons également concevoir toutes les ambivalences du développement et promouvoir les aspects positifs de l’occidentalisation (les droits humains, les autonomies individuelles, la culture humaniste, la démocratie). Ces éléments positifs peuvent et doivent féconder une politique de l’humanité, tandis qu’une politique de civilisation devrait refouler au second plan le négatif, qui aujourd’hui est au premier plan, c’est-à-dire l’hégémonie de la quantité sur la qualité, la réduction de la politique à l’économie, la réduction de la connaissance au calcul, (lequel ignore la multi dimensionnalité de l’existence humaine), la domination de la rationalisation (qui écarte tout ce qui échappe à sa logique close), sur la rationalité ouverte. Cela nous confirme que le problème désormais n’est pas de continuer sur la voie du développement, n’est pas même de l’aménager avec quelques adoucisseurs qui le rendraient soutenable; il est de changer de voie.

Nous pouvons commencer à élaborer une voie nouvelle avec une politique de l’humanité et une politique de la civilisation. Une politique de l’humanité peut et doit prendre en charge des problèmes que normalement devrait résoudre le développement, par exemple le problème accru de la faim. Une politique de la santé devrait pouvoir fournir gratuitement les médicaments, notamment contre le Sida aux pays du Sud. Une politique de l’humanité devrait fournir gratuitement aux mêmes pays tous les dispositifs producteurs d’énergie verte , dont les centrales solaires et marémotrices. La politique de l’humanité, c’est aussi une politique humanitaire à l’échelle de la planète qui devrait mobiliser, non seulement les ressources matérielles, mais aussi la jeunesse des pays qu’on appelle développées, mobilisées dans un service civique planétaire, qui remplacerait les services militaires, afin d’aider sur place les populations dans le besoin. Une politique de l’humanité voit les différents problèmes tels qu’ils se posent dans les différentes régions du globe, et au lieu d’une formule standard appliquée dans les contextes les plus divers, elle élaborerait des actions convenant à ces contextes. Une politique de l’humanité est surtout une politique de LA civilisation, qui serait la symbiose entre ce qu’il y a de meilleur de la civilisation occidentale, et les apports extrêmement riches des autres civilisations.

La politique de l’humanité comporte le respect des savoirs, savoir faire, arts de vivre des cultures y compris orales. Il intègre ce qu’il y a de valable dans l’idée actuelle de développement mais pour le concevoir dans les contextes singuliers de chaque culture ou nation. De plus, comme je l’ai indiqué, il faut compléter la notion de développement par celle d’enveloppement, c’est à dire de sauvegarde des qualités que le développement tend à détruire, de retournement vers les valeurs non matérielles de sensibilité, de cœur et d’âme.

La politique de l’humanité est une politique de symbioses planétaires : elle prône le grand rendez vous du donner et du recevoir dont parlait Senghor. Ainsi pour les médecines : elle comporte l’apport des médecines occidentales en hygiène, médicaments antisida, etc, mais l’intégration des médecines indigènes, non seulement dans les nations de traditions médicales millénaires, Inde et Chine, mais aussi dans les peuples archaïques d’Amazonie connaissant vertus et venins des plantes ainsi que les thérapies chamaniques.

Quant à la politique de civilisation, elle ne saurait être limitée aux sociétés occidentales « développées » ; elle vaut aussi pour toutes les parties occidentalisées du monde.

La politique de civilisation s’exercerait contre les effets négatifs croissants du développement de notre civilisation occidentale (cf mon diagnostic dans Politique de civilisation, Arlea). Elle viserait à restaurer les solidarités, à réhumaniser les villes, revitaliser les campagnes, renverserait l’hégémonie du quantitatif au profit de la qualité de la vie, prônerait le mieux plutôt que le plus, et contribuerait à la réforme de vie.

Elle dépasserait l’alternative croissance/décroissance dans la considération de ce qui doit croitre/décroitre/demeurer stationnaire

Tout en étant de portée planétaire, la politique de civilisation peut déjà être entreprise à l’échelle d’une nation et, du même coup contribuer par l’exemple à développer, pour l’Europe ou l’Amérique latine, une réforme à l’échelle d’un continent
La Voie des Réformes économiques

L’établissement d’une institution permanente (conseil de sécurité économique) vouée aux régulations de l’économie planétaire et au contrôle des spéculations financières

Le développement d’une économie plurielle comportant le développement des mutuelles, coopératives, entreprises citoyennes, agriculture fermière, agriculture biologique, alimentation de proximité (en même temps que régression de l’agriculture et de l’élevage industrialisés), généralisation du biochar[8] qui supprimerait la faim dans le monde, microcrédit, commerce équitable, entreprises citoyenne.

Le maintien ou la résurrection des services publics nationaux (poste, télécommunications, chemins de fer) et pour l’Europe, l’institution de services publics européens

Un new deal de grands travaux de salut collectif (énergies renouvelables, ceinture de parkings autour des villes, transports publics non polluants, aménagement des chemins de fer pour le ferroutage)


La voie des Réformes sociales


1 En réponse à l’accroissement des inégalités, institution d’un observatoire des inégalités » déterminant les réductions progressives des inégalités par le haut et par le bas

2 En réponse à l’accroissement de la misère, politique d’allocation de logement et nourriture aux démunis et politique d’aide et incitation aux métiers de solidarité et de convivialité ; retour des contrôles humains dans le monde désertique de l’automatisation.

3 Réforme des administrations. Débureaucratisassion des administrations devenues sous-efficientes et inhumaines (cf. les indications dans ma conférence de Madrid) Centrisme, hiérarchie, spécialisation, compartimentation corrigés par combinaison de centrisme/polycentrisme/acentrisme, hiérarchie combinée avec polyarchie et anarchie.

4 régénération des solidarités par institutions de maisons de la solidarité dans les villes et d’un service civique de solidarité, l’aide à la formation de métiers de solidarité[9] et de convivialité

5 résurrection et actualisation de la notion de bien commun naturel (eau, climat), de bien commun social (transports urbains) et conversion des biens culturels (via internet) en biens communs permettant de vastes démocratisations culturelles


La Voie de la Réforme de pensée.

Toutes les crises de l’humanité planétaire, dans la mesure où elles sont mal perçues, sous-évaluées, disjointes les unes les autres sont en même temps des crises cognitives. Nous sommes arrivés au paradoxe où ce qui nous aveugle est notre système de connaissance.

Les aveuglements résultant d’une connaissance parcellaire, les illusions propres à une vision unidimensionnelle de toutes choses vont de pair avec le mirage que nous sommes arrivés à la société de la connaissance, alors que nous sommes arrivés à la société des connaissances séparées les unes des autres ,et que nous sommes inconscients notre aveuglement.
Nous nous croyons détenteurs d’une pensée rationnelle alors que nous ne savons pas distinguer rationalité et rationalisation ni reconnaître les limites de la raison.

Notre connaissance séparatrice a perdu l’aptitude à contextualiser l’information et à l’intégrer dans un ensemble qui lui donne sens. Le morcellement et la compartimentation de la connaissance en des disciplines non communicantes rendent inapte à percevoir et concevoir les problèmes fondamentaux et globaux. La réforme de la pensée nécessité une pensée de reliance, qui puisse relier les connaissances entre elles, relier les parties au tout, le tout aux parties et qui puisse concevoir la relation du global au local et celle du local au global. Nos modes de pensée doivent intégrer un va et vient constant entre ces niveaux.[10]
Si nos esprits restent dominés par une façon mutilée et abstraite de connaître, par l’incapacité de saisir les réalités dans leur complexité et dans leur globalité, si la pensée philosophique au lieu d’affronter le monde, demeure enfermée dans des préciosités moliéresques, alors paradoxalement notre intelligence nous aveugle. Notre mode de connaissance parcellarisé produit des ignorances globales. Notre mode de pensée mutilé conduit à des actions mutilantes. Seule une pensée apte à saisir la complexité non seulement de nos vies, de nos destins, de la relation individu/société/espèce mais aussi de l’ère planétaire, peut tenter le diagnostic de la course actuelle de la planète vers l’abîme et définir les réformes vitalement nécessaires pour changer de voie. Seule une pensée complexe peut nous nous armer pour préparer la métamorphose à la fois sociale, individuelle et anthropologique.


La voie de la Réforme de l’éducation


Un nouveau système d’éducation, fondé sur la reliance, radicalement différent donc de l’actuel, devrait s’y substituer. Ce système permettrait de favoriser les capacités de l’esprit à penser les problèmes individuels et collectifs dans leur complexité. Il introduirait aux problèmes vitaux, fondamentaux et globaux occultés par le morcellement disciplinaire.

La réforme introduirait à tous les niveaux de l’enseignement, depuis le primaire jusqu’à l’université, les matières suivantes:


- les problèmes de la connaissance : l’erreur, l’illusion ; qu’est ce qu’une connaissance pertinente ?
- la nature humaine comme trinité individu/société/espèce
- l’ère planétaire : de la conquête du monde à la globalisation
- la compréhension d’autrui, compréhension entre personnes, entre peuples, entre ethnies[11].
- l’affrontement des incertitudes

Elle introduirait un enseignement de civilisation portant sur les médias, la publicité, la consommation, la famille, les relations entre générations, la culture adolescente, les addictions et intoxications de civilisation (le consumérisme, l’intoxication automobile, etc…)

Une telle réforme d’éducation serait indispensable pour le développement des voies nouvelles. Elle est inséparable de la réforme de pensée. Paradoxalement l’une suppose l’autre. Seuls des esprits réformés pourraient réformer le système éducatif, mais seul un système éducatif réformé pourrait former des esprits réformés. Marx déjà, se demandait « qui éduquera les éducateurs ». De fait ce sera par une multiplication d’expériences pilotes que pourrait naître la réforme de l’éducation, réforme particulièrement difficile à introduire car aucune loi générale ne permettrait de l’implanter. C’est elle pourtant qui conduirait à créer la forme d’esprit capable d’affronter les problèmes fondamentaux et globaux, de les relier au concret, et qui conduirait à réformer la pensée. Réforme de l’éducation et réforme de la pensée se stimuleraient l’une l’autre, en un cercle vertueux.[12]


La voie de la réforme de vie

C’est le problème concret sur lequel devraient converger toutes les autres réformes.

Nos vies sont dégradées et polluées par l’état lamentable et souvent monstrueux des relations entre les humains, individus, peuples, par l’incompréhension généralisée d’autrui, par la prosaïsassion de l’existence consacrée aux tâches obligatoires que ne donnent pas de satisfaction, au détriment de la poésie de l’existence qui s’épanouit dans l’amour, l’amitié, la communion, le jeu.

La recherche d’un art de vivre est un problème très ancien abordé par les traditions de sagesse des différentes civilisations et en occident par la philosophie grecque. Il se présente de manière particulière dans notre civilisation caractérisée par l’industrialisation, l’urbanisation, la recherche du profit, la suprématie donné au quantitatif… La mécanisation de la vie, l’hyperspécialisation, la chronométrisation, l’application du calcul et de la logique de la machine artificielle à la vie des individus, la généralisation d’un mal-être au sein du bien-être matériel provoquent en réaction une aspiration à la « vraie vie »
La réforme de vie vise à échapper à la vie soumise aux contraintes et obligations extérieures comme à nos intoxications de civilisation, elle est de chercher à vivre poétiquement, dans la dialogique permanente entre raison et passion.

La réforme de vie doit nous conduire à vivre les qualités de la vie, à retrouver un sens esthétique, à travers l’art bien sûr mais également dans la relation à la nature, dans la relation au corps, et à revoir nos relations les uns aux autres, à nous inscrire dans des communautés sans perdre notre autonomie. C’est le thème de la convivialité évoqué par Illich dans les années 70. Il existe aujourd’hui, un peu partout, des germes de cette réforme. Ils apparaissent à travers l’aspiration à une autre vie, à travers les choix de vie visant à mieux vivre avec soi-même et autrui, parfois le renoncement à une vie lucrative pour une vie d’épanouissement, ainsi que dans une recherche d’accord avec soi même et le monde que l’on constate dans les attractions pour le bouddhisme zen, les sagesses orientales, dans la recherche de l’alimentation saine que proposent l’agriculture fermière et l’agriculture biologique… Cette aspiration à vivre "autrement" se manifeste de façons multiples et l’on assiste un peu partout à des recherches tâtonnantes de la poésie de la vie, amours, fêtes, copains, rave parties. Les vacances sont antidotes à la vie prosaïque Une partie des citadins partage le temps entre, d’un côté une vie urbaine à laquelle ils sont soumis avec ses contraintes et obligations, et d’un autre côté une vie de week-end ou de vacances durant laquelle ils se déprogramment, échappent à la chronométrie, abandonnent les vêtements citadins pour des rustiques, voire la nudité, et vivent librement pendant ce temps : le club méditerranée est l’utopie concrète d’une vie libérée même de la monnaie (il faut évidemment payer au préalable pour y vivre sans argent) Le contraste est aussi fort que celui évoqué par Mauss lorsqu’il nous apprend que les esquimaux ont une religion d’été et une religion d’hiver, avec des dieux différents en fonction des saisons. Tout se passe comme si nous n’avions, nous aussi, des dieux différents en fonction des périodes de la semaine ou de l’année. Mais il ne suffit pas d’alterner : nous devons intégrer dans nos vies quelques-unes des vertus que nous pouvons trouver dans nos vacances et loisirs. Il y a mille ébauches de réforme de vie, d’aspirations à bien vivre, à échapper au mal-être qu’a produit la civilisation du bien-être matériel, à pratiquer la convivialité, qui ne sont pas encore reliées. Mais si on considère ensemble ces éléments qui, séparément, semblent insignifiants, il est possible de montrer que la réforme de vie est inscrite dans les possibilités de notre temps. Le dénominateur commun en est : la qualité prime sur la quantité, le besoin d’autonomie est lié et le besoin de communauté doivent être associés, la poésie de l’amour est notre vérité suprême.

Relater ici l’expérience du Monte Verita, celle d’Auroville à travers ses problèmes, celle de communes californiennes, qui ont voulu réaliser la réforme de vie, mais ont échoué, tous ces échecs étant dus, semble t’il à l’isolement de ces expériences de vie, à l’inconscience des difficultés à maintenir une continuité, et à l’absence d’une conjonction avec d’autres réformes qui leur auraient été solidaires

Parler du besoin d’harmonie qui traverse toute l’histoire humaine et s’est exprimé dans les paradis, les utopies, les idées libertaires-communistes-socialistes, les « communes » californiennes et autres, les explosions juvéniles de mai 68 et qui renaîtront sans cesse sous d’autres formes. Avec toujours les mêmes aspirations à l’autonomie, la communauté, l’aspiration à vivre poétiquement.

La prise de conscience que "la réforme de vie" est une des aspirations fondamentales dans nos sociétés est un levier qui peut puissamment nous aider à ouvrir la Voie…

Aller au delà de l’esprit de conquête, de domination, de réussite non pas l’annihiler, mais le réguler par le développement des valeurs féminines (amour, tendresse) Aller vers l’esprit d’épanouissement de communion de poésie (impossibilité d’éliminer la prose, mais la subordonner).

La réforme de pensée dépend de la réforme de l’éducation, mais celle ci dépend aussi d’une réforme de pensée préliminaire, ce sont deux réformes maitresses en boucle récursive l’une productrice/produit de la réforme de l’autre, et indispensable pour la réforme de la pensée politique laquelle commandera les réformes sociales, économiques, etc. En même temps la réforme de vie est cruciale, en relation de boucle avec réforme de l’alimentation, de la consommation, de l’habitat, des loisirs/vacances. Ces trois méta-réformes permettent de concevoir la solidarité de toutes les réformes, lesquelles les nourriront…
La voie de la réforme morale

Constater la barbarie de nos vies. Nous ne sommes pas intérieurement civilisés. La possessivité, la jalousie, l’incompréhension, le mépris, la haine. L’aveuglement sur soi même et sur autrui, phénomène général et quotidien. Que d’enfers domestiques, microcosmes des enfers plus vastes des relations humaines.

Nous retombons là sur une préoccupation très ancienne puisque les principes moraux sont présents tant dans les grandes religions universalistes que dans la morale laïque. Mais les religions qui ont prôné l’amour du prochain ont déchaîné des haines épouvantables, et rien n’a été plus cruel que ces religions d’amour.

Il semble donc évident que la morale mérite d’être repensée et qu’une réforme doit l’inscrire dans le vif du sujet humain.
Si on définit le sujet humain comme un être vivant capable de dire « je », autrement dit d’occuper une position qui le met au centre de son monde, il s’avère que chacun de nous porte en lui un principe d’exclusion (personne ne peut dire «je » à ma place). Ce principe agit comme un logiciel d’auto-affirmation égocentrique, qui donne priorité à soi sur toute autre personne ou considération et favorise les égoïsmes. Dans le même temps, le sujet porte en lui un principe d’inclusion qui nous donne la possibilité de nous inclure dans une relation avec autrui, avec les « nôtres » (famille, amis, patrie), et qui apparaît dès la naissance où l’enfant ressent un besoin vital d’attachement. Ce principe est un quasi logiciel d’intégration dans un « nous », et il subordonne le sujet, parfois jusqu’au sacrifice de sa vie. L’être humain est caractérisé par ce double principe, un quasi double logiciel: l’un pousse à l’égocentrisme, à sacrifier les autres à soi ; l’autre pousse à l’altruisme, à l’amitié, à l’amour… Tout, dans notre civilisation, tend à favoriser le logiciel égocentrique. Le logiciel altruiste et solidaire est partout présent, mais inhibé et dormant. Il peut se réveiller. C’est donc ce logiciel qui doit être stimulé.

Il faut concevoir également une éthique à trois directions, en vertu de la trinité humaine : Individu/société/espèce.


L’éthique individuelle

La réforme morale nécessite l’intégration, dans sa propre conscience et sa propre personnalité, d’un principe d’auto-examen permanent, car, sans le savoir, nous nous mentons à nous-mêmes, nous nous dupons sans cesse. Nos souvenirs se transforment, nous avons une vision de ce que nous sommes et des autres entièrement pervertie par l’égocentrisme. Nous ne pouvons donc faire l’économie de pratiquer l’auto-examen et l’autocritique. Or, là encore, dans notre civilisation, il semble que nous ayons complètement oublié cette possibilité, préférant confier la solution de nos maux moraux et psychiques à des tiers tels les psychiatres, les psychanalystes. Autrui est important pour nous connaître nous-mêmes, mais seul l’auto-examen nous permet d’intégrer le regard d’autrui, dans notre effort pour mieux nous comprendre nous-mêmes, avec nos carences, nos lacunes, nos faiblesses. . .

Aller vers les compréhensions mutuelles. Se comprendre est indispensable si l’on veut comprendre l’autre. Cette compréhension, nous l’avons potentiellement. Nous la manifestons lorsque nous sommes au théâtre, au cinéma, ou lorsque nous lisons un roman. Nous sommes alors capables de comprendre des personnages totalement éloignés de nous, vivant dans des mondes exotiques, ou de personnages ambigus, parfois criminels, comme le parrain de Coppola ou les personnages de Shakespeare. Nous comprenons la misère du clochard, nous comprenons un vagabond comme Charlot. Mais lorsque nous retournons dans la vie courante, nous perdons notre capacité à comprendre autrui. Alors que nous l’avons dans l’imaginaire, nous la perdons dans la réalité.

La réforme morale doit développer deux caractéristiques fondamentales chez tout être humain: l’auto-examen permanent et l’aptitude à la compréhension d’autrui. La réforme morale doit bien évidemment être conjuguée avec la réforme de l’éducation et avec la réforme de vie, qui elles mêmes doivent êre conjuguées av ec les autres réformes.

L’éthique civique

C’est l’éthique du citoyen qui, dans une société où il dispose de droits, doit assumer ses devoirs pour la collectivité

L’éthique du genre humain

Autant une éthique universelle concernant tous les hommes était abstraite avant l’ère planétaire, autant la communauté de destin de tous les humains la rend concrète. Nous pouvons aujourd’hui tenter d’agir pour l’humanité, c’est-à-dire d’abord contribuer à la prise de conscience de la communauté de destin humain et à notre inscription comme citoyen de la terre-patrie.

En conclusion,

Les réformes sont interdépendantes La réforme morale, la réforme de pensée, la réforme de l’éducation, la réforme de civilisation, la réforme politique la réforme de vie s’entr’appellent les uns les autres et par là même leurs développements leur permettraient de s’entre dynamiser

Nous devons être conscience de la limite des réformes ( de vie, éthique, donc aussi des autres) Homo est non seulement sapiens, faber, economicus, mais aussi demens mythologicus, ludens. On ne pourra jamais éliminer la capacité délirante, on ne pourra jamais rationaliser l’existence (ce qui serait la normaliser, la standardiser, la mécaniser) On ne pourra jamais réaliser l’utopie de l’harmonie permanente, du bonheur assuré,

Ce qu’on peut espérer c’est non plus le meilleur des mondes, mais un monde meilleur. Seul le cheminement des sept réformes régénérera assez le monde pour faire advenir la Voie vers la métamorphose. Seule la métamorphose pourra améliorer le monde.
Tout est à réformer et transformer. Mais tout a commencé sans qu’on le sache encore. Apportons la reliance, la conscience. Travaillons à diagnostiquer, réformer, transformer chacun dans sa voie

Travailler à relier, relier, toujours relier.

Répétons le les réformes sont solidaires : la réforme de pensée dépend de la réforme de l’éducation, mais celle ci dépend aussi d’une réforme de pensée, ce sont deux réformes maîtresses en boucle récursive l’une productrice/produit de la réforme de l’autre, et indispensables pour la réforme de la pensée politique laquelle commandera les réformes sociales, économiques, etc. En même temps la réforme de vie est cruciale, en relation de boucle avec réforme de l’alimentation, de la consommation, de l’habitat, des loisirs/vacances. Ces trois méta-réformes permettent de concevoir la solidarité de toutes les réformes, lesquelles les nourriront…

Les chemins des réformes pourront se relier pour former la Voie. C’est la Voie qui régénérera le monde pour faire advenir la métamorphose.



[1] « Je réunis ce qui est épars, je rassemble ce qui est dispersé »

[2] Les conséquences de l’échec du communisme ont été énormes : déchaînement capitaliste, déchaînements ethno religieux (y compris et parfois surtout dans les pays ex-socialistes)

[3] Le Progrès, grand mythe providentiel du monde occidental, avait envahi toute la planète : il prétendait apporter à l ‘Ouest avec les développements de la démocratie libérale, la meilleure société possible, à l’Est « l’avenir radieux » du socialisme et partout ailleurs les accomplissements heureux du développement. Partout science, raison, technique, économie libérale et capitalisme ici, socialisme là, semblait être les moteurs d’un avenir humain d’harmonie. Nous avons eu l’illusion du progrès mécanique, automatique de l’histoire et nous avons perdu cette illusion au cours des quinze dernières années, quand nous avons commencé à comprendre que l’histoire n’allait pas vers un progrès assuré, mais vers une incertitude extraordinaire – personne ne sait ce que sera demain, personne ne peut dire si dans un mois nous sommes en guerre avec l’Iran ou non, personne ne peut dire ce que sortirait de cette guerre éventuelle avec l’Iran, etc. Donc, une incertitude, mais pas seulement l’incertitude ; c’est que tout ce qui était bénéfique pour nous, qui nous semblait raisonnablement bénéfique, c’est-à-dire le développement de la science, a montré son ambivalence. Effectivement la science produit des bienfaits considérables, mais elle produit aussi des menaces et des dangers à travers les armes ou les manipulations génétiques. La science produit des connaissances fabuleuses, que seule elle a pu provoquer. Mais aussi la science produit, avec ses compartimentations disciplinaires, des fermetures et des ignorances qui empêchent de voir, je le répète, les problèmes globaux. La technique elle-même – parce que aujourd’hui le vaisseau spatial (la Terre) est emporté par un quadrimoteur, qui sont tous issus du développement, c’est-à-dire la science, la technique, l’industrie et l’économie. Ce sont des forces qui ont eu un aspect bénéfique, mais les aspects maléfiques, périlleux, voire mortels, ce sont développés de façon considérable et le vaisseau spatial n’a pas de pilote. Et, en plus, les passagers se disputent les uns avec les autres

[4] Alors que le grand problème posé par la globalisation est de sauvegarder inséparablement l’unité et la diversité humaines. Ce qui exige de comprendre que la trésor de l’humanité humaine est sa diversité que le trésor de la diversité humaine est sa diversité. Que le propre de l’unité humaine est de produire de la différence (entre individus, cultures, langues, cultures) et que le propre de la diversité humaine est d’être produite par l’unité humaine ( cf plus loin réforme politique)

[5] Il suffit de citer deux auteurs qui parlent de l’intérieur du système puisqu’il s’agit de Patrick Artus directeur de la recherche de Natixis et Marie Paule Virard rédactrice en chef de Enjeux-les Echos de 2003 à 2008. Après avoir écrit « le capitalisme est en train de s’autodétruire », ils récidivent en 2008 avec : Globalisation le pire est à venir. Le livre est écrit, précisons le, avant la grande crise de septembre 2008 ouverte par la faillite de la quatrième banque d’affaires américaines Lehman Brother. La page de garde de l’ouvrage est édifiante et pourrait relever de la littérature altermondialiste si elle n’émanait d’auteurs au cœur du système : « le pire est à venir de la conjonction de cinq caractéristiques majeures de la globalisation : une machine inégalitaire qui mine les tissus sociaux et attise les tensions protectrices ; un chaudron qui brûle les ressources rares, encourage les politiques d’accaparement et accélère le réchauffement de la planète ; une machine à inonder le monde de liquidités et à encourager l’irresponsabilité bancaire ; un casino où s’expriment tous les excès du capitalisme financier ; une centrifugeuse qui peut faire exploser l’Europe » . Fermez le ban ! ce sont là des avis venus de l’intérieur du système financier lui-même tout comme ceux d’Alan Greenspan, l’ancien patron de la FED (la banque fédérale américaine) qui dans son livre « le temps des turbulences » montre à quel point la finance mondiale est devenue un bateau ivre ou Jean Peyrelevade, l’ancien patron du Crédit Lyonnais qui dresse un constat accablant dans son livre « le capitalisme total » de l’état d’un système financier incapable d’investir au-delà du court terme. Et le fait que l’on puisse, à juste titre, s’interroger sur la cohérence éthique de ces différents auteurs qui ont très largement profité de rémunérations indécentes du système avant de le critiquer, ne retire rien à des analyses d’autant plus percutantes qu’elles viennent
Patrick Viveret dans « André Gorz : Un penseur pour le XXIe siècle », La découverte, 2009

[8] http://www.pronatura.org/archives/Newsletter_25ans.pdf

[9] sur l’aptitude à la solidarité, cf Réforme morale, les deux logiciels

[10] Voir Edgar Morin « Introduction à la pensée complexe » ESF 1990

[11] Tous ces points sont développés dans Edgar Morin, « les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur » éditions du Seuil, 2000.

[12] Une telle réforme intégrerait l’expérience des enseignements « d’éducation nouvelle » initiées par de grands pédagogues comme Decroly, Freinet, Montessori et autres.