palimpseste Cournot

Antoine Augustin Cournot
Science et philosophie

 

La science est la connaissance logiquement organisée. Or, l'organisation ou la systématisation logique se résume sous deux chefs principaux : 1° la division des matières et la classification des objets quelconques sur lesquels porte la connaissance scientifique ; 2° l'enchaînement logique des propositions, qui fait que le nombre des axiomes, des hypothèses fondamentales ou des données de l'expérience se trouve réduit autant que possible, et que l'on en tire tout ce qui peut être tiré par le raisonnement, sauf à contrôler le raisonnement par des expériences confirmatives. Il suit de là que la forme scientifique sera d'autant plus parfaite, que l'on sera en mesure d'établir des divisions plus nettes, des classifications mieux tranchées, et des degrés mieux marqués dans la succession des rapports. D'où il suit aussi qu'accroître nos connaissances et perfectionner la science ne sont pas la même chose : la science se perfectionnant par la conception d'une idée heureuse qui met dans un meilleur ordre les connaissances acquises, sans en accroître la masse ; tandis qu'une science, en s'enrichissant d'observations nouvelles et de faits nouveaux, incompatibles avec les principes d'ordre et de classification précédemment adoptés, pourra perdre quant à la perfection de la forme scientifique..

 

 

 

Science & philosophie

De ce que la philosophie ne comporte pas la marche progressive des sciences, il ne faut nullement conclure qu'elle reste étrangère au perfectionnement général. Le germe de toutes les hautes questions se retrouve sans doute dans les textes obscurs des Brames (1), sous les emblèmes bizarres des prêtres d'Egypte, dans les subtilités dialectiques des Grecs et sous la sèche argumentation des scolastiques (2) ; mais la philosophie n'en fait pas moins des progrès au moins en ce sens que les questions sont plus nettement posées, les difficultés mieux classées et leur subordination mieux établie... La philosophie procède encore par voie d'exclusion : si elle n'atteint pas directement à la solution des problèmes, elle peut, par une analyse souvent rigoureuse, indiquer la raison qui les rend insolubles, ou susceptibles d'un nombre de solutions soit limité, soit indéfini. Elle montre l'impossibilité de certaines solutions, en établissant leur incompatibilité soit avec les données de la science, soit avec les lumières naturelles, et la conscience du genre humain, et elle circonscrit ainsi l'indétermination d'un problème que la nature des choses n'a pas rendu susceptible d'une solution déterminée et vraiment scientifique.