Bruno Latour

 

Ressources

 

Nous n'avons jamais été modernes La Découverte 1991

On ne peut rien contre la fatalité des faits 1997

Quel cosmos ? Quelles cosmopolitiques ? 2007

Le sphynx de l'œuvre, 2009

Faire (de) la politique 2011

COMPOSER UN MONDE COMMUN, 2015

ESQUISSE D’UN PARLEMENT DES CHOSES, 2018

UNE TERRE SANS PEUPLE, DES PEUPLES SANS TERRE, 2018

« LA TECHNIQUE, C’EST LA CIVILISATION ELLE-MÊME », 2018

LES NOUVEAUX CAHIERS DE DOLÉANCES, 2019

L’apocalypse, c’est enthousiasmant ITV Le Monde, 2019

Troubles dans l'engendrement 2019

«Face à la crise écologique, nous avons fait exactement ce qu’il ne faut pas faire» ITV Libération mai 2020

ITV Science Culture 2012

 

 

Biographie

( Encyclopédia Universalis)

 

 

Fondée à Beaune voici plus de deux siècles, la maison Latour figure parmi les négociants-éleveurs les plus réputés de Bourgogne. C'est là, au sein d'une famille typique de la bourgeoisie provinciale, que Bruno Latour a vu le jour en 1947.

Ce philosophe de formation, aujourd'hui internationalement reconnu pour ses écrits en anthropologie et en sociologie des sciences, a suivi un itinéraire dont l'inspiration non conformiste n'a pas été sans effet sur sa pratique de sociologue. Agrégé de philosophie, Bruno Latour s'en va poursuivre à Abidjan (Côte d'Ivoire), dans un laboratoire de l'O.R.S.T.O.M., ses études en anthropologie. Sa première enquête de terrain porte sur l'ivoirisation des cadres au sein des usines installées autour de la capitale ivoirienne d'alors, une recherche qu'il mène parallèlement à une thèse de troisième cycle sur l'exégèse biblique des textes relatifs à la résurrection. Le jeune chercheur non seulement se nourrit d'anthropologie, de théologie, de philosophie, mais s'ouvre aussi aux méthodes d'investigation empirique des sciences sociales. Depuis lors, comme il l'écrira dans un article en 2001, son projet intellectuel vise à saisir les racines de l'impérialisme en développant « une anthropologie comparée des formes centrales, occidentales, „blanches“, de vérité indiscutable », en appliquant aux sociétés du « centre » les outils que les anthropologues utilisent pour l'étude des sociétés « périphériques ». Le projet scientifique de Latour s'avère inséparable d'un projet plus politique, celui de trouver une alternative à la pensée moderniste. On comprend mieux alors la particularité d'une production intellectuelle à la fois énorme, thématiquement diversifiée et adressée à des auditoires très différents.

Si la plupart de ses écrits portent sur l'anthropologie des sciences et des techniques, d'autres sont plus clairement ancrés en philosophie, d'autres parlent d'art, des rapports de l'homme à la nature, des régimes d'énonciation en science et en religion. Une impression de foisonnement brillant, mais qui peut déconcerter, se dégage de tout cela. Cependant, une inflexion est repérable : le milieu des années 1990 paraît marquer la naissance d'une volonté de « légiférer » plus librement dans le domaine de la théorie sociologique et de la politique.

Pour autant, la renommée internationale dont jouit Bruno Latour et dont attestent les nombreuses distinctions qu'il a obtenues – prix Bernal décerné par la Society for Social Studies of Science (1992), prix Holberg (2013), doctorats Honoris Causa, décernés par les universités de Lund (1996) et de Lausanne (2006) – sont plus étroitement liés à ses travaux sur le travail scientifique et l'innovation technique. Cette réputation internationale n’est sans doute pas étrangère à sa nomination au poste de directeur scientifique et directeur adjoint de Sciences Po en 2007. En collaboration avec le sociologue Michel Callon, comme lui-même enseignant à l'École des mines de Paris, Latour est à l'origine d'une profonde évolution du champ des études sociales de la science, non seulement en France, mais également sur le plan international.

Lorsque Latour publie Laboratory Life en 1979, la sociologie des sciences ne constitue pas un domaine de recherche florissant en France alors qu'aux États-Unis, sous l'impulsion de Robert K. Merton, la science est, depuis les années 1940, l'objet d'investigations sociologiques nombreuses portant essentiellement sur la réalité des disciplines et l'existence de processus de stratification dans les communautés scientifiques. Au milieu des années 1970, l'hégémonie de l'école mertonienne commence à être remise en cause par des sociologues britanniques, notamment D. Bloor et B. Barnes, dont le propos est de développer une sociologie de la connaissance scientifique et non exclusivement une sociologie de l'institutionnalisation des sciences. Latour est un héritier critique de ce courant. Ses travaux font la part belle à l'analyse des pratiques discursives dans la science, mais aussi à l'étude des modes de production des images. Prenant le contre-pied des thèses de l'épistémologie classique, Latour considère qu'un énoncé scientifique est tenu pour vrai parce qu'il tient dans le temps. L'essentiel du travail scientifique ne consiste pas à administrer la preuve, mais à mener une démonstration de force : le chercheur convoque ainsi tableaux et graphiques, références incontournables et citations de travaux existants. La sociologie des sciences qu'il construit se signale ainsi par sa propension à lire le travail scientifique comme un ensemble de stratégies guerrières ; l'horizon de l'homme de science n'est plus, dans cette logique, le travail de la preuve mais la résistance aux épreuves de la concurrence scientifique. La veine relativiste et nietzschéenne de la contribution de Latour a fréquemment été relevée. Cependant, il convient de souligner que sa contribution à la sociologie des sciences est très importante et qu'elle a suscité une réelle avancée de la spécialité en exigeant des sociologues et des philosophes un déplacement du regard de la science faite vers la science en train de se faire. En se penchant sur le scientifique au travail et son environnement matériel, Latour a, de surcroît, contribué de façon décisive à attirer l'attention sur le rôle central des instruments dans le travail scientifique.

Sur un plan plus global, Bruno Latour a construit au fil du temps une conception générale de la sociologie dont les inspirateurs sont essentiellement l'ethnométhodologue américain Harold Garfinkel et le sociologue français Gabriel Tarde. Pour lui, la sociologie doit renoncer à être explicative pour rester descriptive, et la recherche de causes résidant au sein d'un « contexte social » est hors de propos. Latour est très clairement empiriste – voire positiviste – sur ce point ; invoquer des facteurs sociaux ou encore des causes invisibles comme des dispositions, des intérêts de connaissance, des croyances de classe n'a pour lui aucun sens. Les acteurs savent ce qu'ils font, ils ne s'inscrivent pas dans un contexte mais le co-construisent, ce qui fait d'eux plus que de simples informateurs. Pour Latour, la sociologie est une discipline vouée à l'analyse descriptive et au suivi des connexions qui s'établissent entre des entités de nature hétérogène et constituent la trame de notre monde ; elle n'a pas à postuler l'existence du social mais doit s'attacher à analyser les processus sans fin de ses assemblages et réassemblages.

Pascal RAGOUET, « LATOUR BRUNO (1947- ) », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 16 mai 2020. URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/bruno-latour/