palimpseste Habermas

J Habermas (1929)

 

Parmi la jeune génération des philosophes allemands, Habermas a contribué de façon originale au renouvellement de la réflexion critique. Son influence actuelle, dominante en Allemagne, a ouvert un large débat international.
Nourri de lectures de Kant, Hegel et Marx, formé par la pensée de Horkheimer, Adorno et Marcuse, il ne doit pas sa renommée uniquement à son séjour à Francfort (il a été assistant à l’Institut de recherche sociale de 1955 à 1959, professeur de philosophie et de sociologie de 1964 à 1971, après avoir commencé sa carrière d’enseignant à Heidelberg en 1961). En réalité, grâce à ses interventions critiques dans les principales sciences humaines, Habermas n’a pas seulement mis en question l’esprit positiviste et la conscience technocratique qui dominent celles-ci, mais encore il a considérablement enrichi sa propre pensée. C’est ainsi qu’il a situé la «théorie critique» de l’école de Francfort à un autre niveau, en tenant un pari double: celui de ne pas abandonner l’inspiration marxiste tout en pratiquant un révisionnisme affirmé; celui de libérer la théorie critique de sa dette épistémologique tout en lui conservant sa dimension émancipatrice.


Habermas s’oppose à la pensée exclusivement négative d’Adorno en délaissant aujourd’hui la critique au profit d’un travail constructif et systématique. Mais il se rapproche de Horkheimer et d’Adorno dans la mesure où il reprend à son tour la problématique qui a caractérisé la théorie critique depuis quarante ans (et pas seulement celle-ci) et qui revient à se demander comment articuler le rapport entre la théorie et la pratique en tenant compte des nouvelles réalités du capitalisme avancé. Il a consacré à cette question une série d’études: Théorie et pratique (Theorie und Praxis. Sozialphilosophische Studien, 1963), où il critique, dans la philosophie sociale telle qu’elle s’est développée depuis Hobbes, l’élimination de la dimension de la praxis (au sens aristotélicien) au profit d’une réflexion technologique. Par ailleurs, on peut considérer toute son œuvre comme étant une réflexion sur cette problématique, et cela sous trois aspects différents (selon l’auteur lui-même). D’abord est examiné l’«aspect empirique» des rapports entre la politique, la science et l’opinion publique dans le capitalisme avancé: Technik und Wissenschaft als Ideologie, 1968 (La Technique et la science comme idéologie). Ensuite est analysé l’«aspect épistémologique» des liens qui existent entre la connaissance et les intérêts dominants: Connaissance et intérêt (Erkenntnis und Interesse, 1968), ouvrage à la fois historique et systématique, développe le programme épistémologique du philosophe. Enfin, est abordé l’«aspect méthodologique d’une théorie sociale qui doit être en mesure d’assumer le rôle de la critique». Habermas considère toute son œuvre, déjà très riche, comme consistant seulement en une série de prolégomènes et ses nombreux ouvrages comme signifiant autant de stades préliminaires à une théorie de l’activité communicationnelle (Théorie des kommunikativen Handelns, 1989). Cette réflexion est poursuivie dans Morale et communication (1983) et dans De l’éthique de la discussion (1991).


D’abord proche des leaders du mouvement étudiant, considéré comme étant un de leurs maîtres à penser, il est devenu, dès 1967, leur adversaire politique en prônant un «réformisme radical» (cf. Protestbewegung und Hochschulreform, 1969). Concrètement, il lutte pour le rétablissement d’une opinion publique démocratique et critique. Cible de la critique à son tour, il quitte Francfort en 1971, en acceptant le poste de directeur à l’institut Max-Planck, à Starnberg en Bavière. Il revient à l’université allemande de Francfort en 1983.