Chronique d'un temps si lourd

Yousuf Karsh

Une exposition à Paris en ce moment ! Que de portraits célèbres !

Dans le dessin que l'on fait de quelqu'un - et c'est bien après tout le sens premier de portraire - au-delà des problèmes classiques que suppose la représentation, il y a en réalité une idée reçue, pour ne pas écrire un préjugé ; un implicite qu'on n'avoue jamais totalement : que les traits physiques, l'allure générale, le port et la démarche soient en quelque sorte le portique de l'âme ; que des traits physiques l'on puisse induire quelque chose du psychologique. Vaste escroquerie qui flatte notre paresse intellectuelle, mais artifice sans quoi nul portrait n'aurait de sens autre que simplement anecdotique.

Je vois bien ce qu'il peut y avoir de pose ou de posture dans des photos comme celles de Mauriac où la pénombre soulignant malaisément l'angulosité du profil laisse ouvre le champ infini des tourments intimes d'une littérature que la pose pieuse apaise si peu. Tout y est de cet auteur qui laissa filtrer d'on ne sait où tout ce que la décence ou l'éducation dussent recommander de taire ; tout y est par ce délicieux art du contraste qui offre l'exemplaire même de l'apaisement quand tout transpire le tourment !

Dans celui, évidemment de W Churchill, massif, solidement planté devant l'objectif, le regard moins boudeur que mauvais, qui vous toise, bravache, prompt à bondir sur vous : bougon, chafouin, mais où la puissance suinte tout autant de cette main plantée sur la hanche élargissant la silhouette jusqu'à occuper tout l'espace de la photo que de cette moue lippue à ravir, mi-ironique mi songeuse que le sourcil froncé aggrave encore. L'élégance so british est là que souligne la chaine d'or conférant quelque arrondi à cette silhouette trop massive pour ne pas trahir ce côté mauvais garçon qui prmet sueur sang et larmes sans quoi il n'eût pas pu être l'homme de guerre intraitable qu'il fut.

Celle d'Hemingway ou de J Sibélius sont plus étonnante tant elles démentent l'idée qu'on se peut former d'un créateur. Rustique, c'est le moins que l'on puisse dire pour le premier, où la maille épaisse du pull fait écho aux traits épais et burinés d'un visage où l'on chercherait en vain une quelconque expression. Celui-ci ne nous regarde pas, il est ailleurs, depuis longtemps ; depuis toujours. Sibélius n'a quant à lui décidément pas la tête de l'emploi : on imaginerait pour ses mélodies fluides de grands espaces une figure plus souple, plus aérienne. Ici il semble s'opposer de toute sa masse où fuite sinon le tragique en tout cas le désespoir.

Et puis, il y a ces portraits étonnants d'un Kennedy ou d'un Stokowsi en prière qui ne ressemblent ni à l'un ni à l'autre.

J'aime en tout cas ces N&B dont on dit juste en affirmant qu'ils sont la vérité de la photographie : n'en pardonnent en tout cas pas les imperfections.

A Schweitzer m'étonne ici : d'autres photos de lui offraient plutôt le beau visage d'un vieillard blanchi par la tension, la vocation et les épreuves. Ici, perce plutôt le doute d'une méditation que le souci semble grever. Ce bronze de la peau qui la fait presque s'entremêler au gris de la chevelure fige le personnage en une posture hiératique qui ne lui ressemble pas. Lui l'organiste brillant de Saint Guillaume, lui le théologien qui promena sa gaîté tout au long des portées de sa mission était bien étranger à cette torture méditative.

Peut-être fut ce ceci que le phoyographe chercha à transmettre : non pas des icônes qu'on pût accrocher chez soi et aduler comme ces temps futiles nous en offrent l'occasion ; mais bien au contraire des visages, presque toujours en forme de questions, nous ignorant parfois, nous toisant souvent, qui expriment les mille et une façons de n'être jamais la représentation que la célébrité impose de soi.

Rien que pour cela, parce qu'elles ne sont jamais des réponses mais des invitations au mystère, ces photos importent.