Chronique d'un temps si lourd

2013

JP Delevoye le suggère : faute de perspective, le désarroi se transforme en ressentiment et rien n'est plus dangereux tant pour la société elle-même que pour la démocratie. Année inquiétante - mais ne le sont-elles pas toutes ? - après d'autres ... depuis si longtemps. C'est peu dire que la gauche au pouvoir n'enthousiasme pas mais il y a si longtemps que les grands soirs ne font plus rêver. Sans autre posture que la rigueur du bon gestionnaire, Hollande est à la peine et ressemble de plus en plus à ce pauvre Chirac qui lui même ressemblait tant au petit père Queuille ... Rompu à des modèles idéologiques épuisés, incapable de saisir au bond une mutation qui se fera de toutes façons et sans doute dans la douleur, le pouvoir égrène ses litanies sans plus même donner l'illusion d'y croire. Il faut la belle figure de Taubira, égérie d'une gauche qu'on lui saura gré de nous montrer encore vivante, pour nous rappeler la fierté d'être de gauche et le désir d'encore et toujours se battre.

Sauf miracle d'une aurore économique que plus personne n'ose même espérer, ce pouvoir ne s'en sortira pas. Et les gesticulations programmées d'un Sarkozy font figure d'invraisemblable retour du refoulé que l'on risque de payer cher demain.

Pour le reste, figures de tyrans prêts à tout pour demeurer au pouvoir, le coréen ressemblant à s'y méprendre au syrien ; catastrophes climatiques et autres révolutions qui tournent mal ; sans compter avec ce retour macabre du racisme et de l'antisémitisme dont Dieudonné est la figure de proue du moment

... Non décidément peu de lueurs.

Je réalise que j'aurai peu écrit cette année et la morale que j'ai achevée et la métaphysique commencée ne sont que partiellement des excuses : non qu'il manquât d'événements méritant quelque chronique - de Cahuzac à Léonarda, en passant par le mariage pour tous et l'invraisemblable figure de Frigide Barjot, de la lente et inexorable descente aux enfers de la popularité de ce pouvoir dont on n'attendait rien pourtant aux incertitudes égyptiennes ou tunisiennes, aux terribles certitudes syriennes ou nord-coréennes ... tout y était pour égrener la litanie d'une année lamentable où percent la certitude d'une catastrophe à venir et l'impuissance à la prévenir ; la régression démocratique et la défaite de la pensée.

Ne pas céder à la sinistrose ambiante est difficile autant qu'au désir enfoui de se rapetasser sur soi-même et tenter de parer autant que faire se peut les morsures trop douloureuses. Cette crise aura été trop longue pour ne pas atteindre finalement les fondamentaux d'une société qui s'épuise à s'inventer encore un avenir ou qui peine à y croire encore. Crise des fondements peut aussi signifier crise de fondation - comment se fait-il que personne ne parvienne plus à entrevoir la lueur possible d'une telle perspective hormis le nonagénaire Morin ?

Oui ... c'est sans doute ceci qui me retient avec l'idée que ma plume a mieux à faire ailleurs : le souci de ne pas hurler avec les loups ! D'être au milieu du gué, je vois bien se dessiner des initiatives et des initiatives ; je mesure aussi l'extraordinaire impuissance où je conçois la caractéristique majeure de l'époque. Ne céder ni à l'angélisme ni à la sinistrose même si - effet de l'âge ? - j'ai peine à espérer quoique ce soit d'un demain que je n'imagine plus.

Mais, après tout, pourquoi serais-je plus malin, sagace ou clairvoyant que les autres ?