palimpseste Chroniques

Le coup de poignard vert
ZAKI LAÏDI,
directeur de recherche à l'Institut d'études politiques de Paris

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La décision prise par les instances des Verts de voter contre le traité européen constitue un acte politique gravissime. Il confirme leur indéniable immaturité politique en tant que partenaire de gouvernement en même temps qu’il donne raison à François Hollande qui, dès les primaires socialistes, avait veillé à contenir leur influence.

Naturellement, il n’y a a priori pas de raison qu’au sein d’une même majorité politique ne s’expriment des sensibilités différentes conduisant inévitablement à des votes politiques contradictoires. Mais en l’espèce, cette forme de liberté sans responsabilité n’est pas politiquement acceptable pour la gauche.

La première tient au fait que sur le fond, les Verts n’avancent à peu près aucun argument pour justifier leur vote négatif en dehors du fait que la politique des petits pas menée en Europe aggrave l’austérité. Certes, la situation européenne reste très préoccupante. Mais encore faut-il pouvoir proposer une alternative crédible. Or, de cela, il n’en est absolument pas question chez les Verts, qui confirment leur fidélité à une grande tradition de la gauche antieuropéenne, qui s’est toujours prétendue fédéraliste, mais qui, jugeant l’Europe trop peu fédérale, s’oppose à toute avancée politique graduelle.

Or ce qu’il faut dire ici, c’est que le traité européen introduit y compris par rapport au Pacte de stabilité de réelles améliorations. La première et la plus fondamentale est la référence explicite à la notion de budget structurel. Celle-ci peut paraître purement technique. Mais dans les faits sa signification politique est essentielle. Pour la première fois, on concède que la mesure statistique d’un déficit n’a aucun sens si l’on ne vient pas à tenir compte de la conjoncture. Ce qui veut dire que ce n’est pas le déficit observé à un moment donné qui compte mais le déficit à moyen terme qui doit être pris en compte. Pour la première fois donc, l’Europe sort du fétichisme des chiffres pour admettre que l’on peut parfaitement faire du déficit en période de récession ou de faible croissance. Mais dès que la croissance revient il est impératif d’utiliser le surcroît de ressources au désendettement et au retour à l'équilibre.

La seconde innovation de ce traité consiste à déplacer la sanction de Bruxelles vers les Etats eux-mêmes. Avant c'était Bruxelles qui évaluait les politiques et imposait des sanctions. Désormais, la discipline se doit d'être retranscrite dans les législations nationales. Ce qui veut dire que c’est aux Etats de définir les conditions de la mise en œuvre de ces disciplines communes. Bien sûr, on peut contester et combattre l’idée même de discipline budgétaire. Mais dans ce cas on ne peut pas continuer à défendre l’idée d’une monnaie unique. Sur ce plan les Verts sont moins cohérents que le FN. La mise en place d’un Haut Conseil des finances publiques, annoncée par le gouvernement, constitue de ce point de vue un pas vers ce que l’on pourrait appeler la reconquête nationale de la discipline budgétaire européenne. C’est d’ailleurs sur cet élément central que le soutien au traité doit être politiquement construit. Et ce n’est d’ailleurs pas un hasard si ceux qui s’y opposent occultent systématiquement cette avancée.

Mais il y a dans l’attitude des Verts une circonstance aggravante. Toute leur opposition au traité est construite comme si l'élection de François Hollande n’avait pas eu lieu, comme si celle-ci n’avait rien changé. Or cette élection a eu des conséquences politiques tout à fait importantes, dans la mesure où elle a conduit à la réouverture du débat et permis à la BCE de prendre des mesures non conventionnelles que, sous la pression allemande, elle se refusait à prendre jusque-là. De ce point de vue, Hollande a bel et bien enterré Merkozy. Et c’est bien mal le récompenser que de voter contre le Traité.

Naturellement, rien n’est réglé pour autant en Europe. Mais pour faire avancer le débat en Europe il faut réunir deux conditions. La première est d’accepter l’idée de gradualisme politique. Les petits pas sont toujours petits. Mais ils valent mieux que le surplace. Car même dans l’hypothèse d’une défaite de Mme Merkel en Allemagne, il ne faut nullement s’attendre à ce que les sociaux-démocrates allemands ou même les Verts allemands viennent à renverser la table.

La deuxième condition repose sur la construction d’un meilleur rapport de forces politiques en Europe face à l’Allemagne. Ce dernier, on ne l’obtiendra ni grâce au voyage de M. Mélenchon à Caracas ni en fermant Fessenheim. On l’obtiendra en musclant l'économie française, en la rendant plus compétitive, et donc en intensifiant les réformes économiques indispensables à son redressement. Il ne suffit pas de dénoncer l’austérité. Il faut aussi se donner les moyens concrets d’en sortir. C’est d’une certaine manière ce que le gouvernement Ayrault tente de faire en faisant reculer le dogmatisme allemand tout en engageant des réformes structurelles sans lesquelles rien ne changera. Le Parti socialiste a longtemps été hésitant sur la manière de traiter les Verts. Ces derniers ont très clairement cherché à tirer avantage de la compétition en son sein pendant les primaires pour lui arracher des concessions exorbitantes. Mais François Hollande a fait depuis son élection un choix stratégique essentiel : il a refusé de sous-traiter l'écologie aux Verts car il sait que leur maturité politique est aléatoire. Certes, tout le monde a compris que la décision des Verts relève de considérations tactiques liées au rétrécissement de leur espace politique depuis la crise. Mais ce coup de poignard a un double mérite : confirmer leur très faible fiabilité politique en même temps que l’impossibilité pour certains au sein du PS de mêler leur voix négative à une force qui œuvre à son affaiblissement.