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François Hollande , le flegme d'un président face à l'épreuve de la crise
Le monde 1 Novembre

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Le petit déjeuner est servi sur un guéridon, à trois pas du bureau où s'entassent les dossiers. Le vaste parc de l'Elysée, avec sa pelouse vide et ses arbres roux, renvoie sur la pièce surchargée d'ors une douce et belle lumière en ce pâle matin d'automne.

Le président est arrivé d'un pas vif, costume bleu nuit, sourire aux lèvres, dans ce bureau qui offre son décor anachronique au pouvoir. Sur la cheminée, on aperçoit la photo de la victoire, où François Hollande lève le bras, aux côtés de Valérie Trierweiler, devant la foule, place de la Bastille. C'était il y a six mois.

Que sent-il, depuis, des difficultés qui s'amoncellent ? " Exercer le pouvoir, aujourd'hui, c'est très dur, reconnaît-il. Il n'y a plus aucune indulgence, aucun respect. Mais je le savais. " Son sourire ne l'a pas quitté. " Eh puis, je l'ai voulu ! Pas simplement pour des raisons personnelles, le destin d'une vie. Mais parce que je pense que pour la France, c'est mieux que ce soit la gauche qui fasse cette mutation, qu'elle le fasse par la négociation, dans la justice, sans blesser les plus fragiles ni les déconsidérer. Les autres l'auraient fait sans doute, mais brutalement. " Dehors, les plans sociaux tombent dru, la France compte plus de 3 millions de chômeurs et en dénombrera plus encore les prochains mois. Le pays affronte la crise économique la plus sévère de ces cinquante dernières années. La nouvelle équipe est contrainte de réduire les déficits publics dans les pires conditions, avec en plus un handicap de compétitivité qui fait craindre pour la survie de l'industrie. Le président est bien placé pour le savoir, mais il n'aime pas les mots qui claquent, les mots qui font peur. Il parle de " mutation " plutôt que de " choc ", au risque d'alimenter ce soupçon : n'a-t-il pas, depuis qu'il est élu, sous-estimé la gravité de la crise ?

La veille, jeudi 25 octobre, il s'est rendu devant l'assemblée des patrons de PME réunis par la banque Oséo. Il raconte la scène comme un reporter, lui qui a gardé l'habitude de commenter lui-même sa vie, ainsi qu'un journaliste. " Trois mille entrepreneurs devant moi ! Evidemment, j'ai senti... - il cherche le mot juste - qu'il n'y avait pas d'adhésion immédiate, même si certains avaient bien dû voter pour moi, parce que ce n'est pas si simple la vie... Et puis, peu à peu, il y a eu comme une forme d'empathie. Je n'ai pas fait comme Nicolas Sarkozy, je n'ai pas disparu au bout de cinq minutes ! Je suis resté longtemps, ils sont venus me voir, se sont fait photographier à côté de moi. " Avant même de saisir, de l'autre côté du guéridon, la pointe inévitable du scepticisme, il ajoute : " Il y aura sans doute un moment où quelqu'un me lancera un jour, dans la foule, "dégagez !" Mais là, il n'y avait pas de rejet. "

Tout de même, le président ne peut ignorer les messages alarmants qu'il reçoit, lui qui se félicite d'avoir conservé le même numéro de portable qu'" avant " pour ne pas risquer l'isolement élyséen. Ceux qui le connaissent le mieux ne sont pas les moins inquiets. En termes très diplomatiques, son ancienne compagne Ségolène Royal s'est chargée d'une première salve : " Il faut densifier l'impulsion politique ", a-t-elle lancé dans un entretien au Monde, le 20 octobre. Candidate en 2007, elle avait réfléchi à la période cruciale des cent premiers jours où il " faut, disait-elle à l'époque, imprimer une volonté, fixer des objectifs et vérifier qu'ils sont atteints " car " le mécanisme de l'Etat ne fonctionne pas tout seul ".

Quatre jours plus tard, le 24 octobre, un dîner a réuni à la table du président trois de ses intimes, François Rebsamen, Bruno Le Roux et Stéphane le Foll. Les retrouvailles étaient destinées à préparer le congrès du PS mais il a bien fallu aborder d'autres questions plus graves, les sondages en berne et ce lien à reconstruire avec les Français.

Les vieux amis sont de retour et c'est comme un signe supplémentaire que François Hollande prend ses difficultés au sérieux. Exactement comme Nicolas Sarkozy qui, après avoir laissé son ancienne épouse Cécilia marginaliser ceux de ses conseillers qui le connaissaient le mieux, avait eu vite fait de les remettre en cour. Car une campagne présidentielle réussie ne fait pas forcément la réussite d'une présidence. C'est toute une alchimie qu'il faut construire pour endosser l'habit en domptant un naturel qui résiste autant qu'il peut. Seuls les intimes peuvent oser dire certaines vérités.

La plupart des proches du président, ces trois-là mais aussi Michel Sapin, Pierre Moscovici, Manuel Valls, d'anciens collaborateurs au PS, de vieux copains connus à l'ENA ou au régiment, les premiers fidèles du début de la campagne présidentielle - lorsqu'on appelait avec commisération François Hollande " Monsieur 3 % " - ont reconnu, derrière les atermoiements du président, le caractère profond de l'homme : un optimiste invétéré " qui croit à sa bonne étoile " ; un tacticien qui " préférera toujours contourner l'obstacle " ; un solitaire qui réécrit longuement ses discours, passe un temps fou à lire la presse et le moindre SMS et à réagir aussitôt sans forcément veiller à l'orchestration générale ; un pragmatique qui refuse de se laisser enfermer dans un chemin. " François veut toujours se donner la possibilité de changer de route si celle qu'il a choisie ne lui semble plus la bonne, et c'est pour cela qu'il a tant de mal à donner un cap. On a l'impression qu'il s'enlise mais, à un moment donné, il y aura une ouverture dans laquelle il s'engouffrera. C'est un joueur de foot ", commente un ancien condisciple de l'ENA.

M. Hollande connaît ces sempiternels reproches. " J'assume cette méthode, rétorque-t-il. Il faut prendre le temps de décider. Car une fois que c'est décidé, c'est fait. Regardez Sarkozy, il a mis trois ans à détricoter son bouclier fiscal. " Tout au plus concède-t-il qu'" en termes de communication, la négociation est moins facile à porter car elle prend du temps. Mais on verra ce que j'aurai laissé à la fin du quinquennat. " La confrontation avec le modèle sarkozyste reste l'un des moteurs de son quinquennat. Non sans risque. Car elle lui a fait commettre d'emblée une erreur d'appréciation : à force de rejeter l'hyper présidence, François Hollande a mis du temps à comprendre que c'est le quinquennat lui-même qui avait désaxé le couple exécutif et créé une accélération du rythme. En arrivant à l'Elysée, il s'était persuadé de pouvoir non seulement redonner du temps au temps mais aussi de refaire du premier ministre un personnage central. A partir de septembre, il s'est aperçu qu'il fallait accélérer et que c'est sur lui, président, que reposait l'essentiel de la demande. " J'ai révisé un peu le fonctionnement ", concède-t-il.

Malgré cette subite accélération, le doute demeure : n'a-t-il pas sous-réagi à la crise ? Il hausse le sourcil : " Nous ne l'avons pas découverte, j'en ai parlé pendant toute ma campagne ! " Lorsqu'on l'acclamait encore, dans les meetings, c'est lui qui décillait ses amis enthousiastes : " Profitez-en, cela ne va pas durer... " Dans son bureau élyséen, il insiste de nouveau : " Je connais l'état du pays ! " Alors pourquoi ne pas l'avoir dit plus vite aux Français, comme le déplorent aujourd'hui certains de ses proches en décomptant les occasions ratées : la remise du rapport de la Cour des comptes début juillet ou encore l'intervention télévisée du 14-Juillet ? A l'Elysée, cependant, personne ne se souvient que sur le moment l'hypothèse ait été évoquée.

C'est qu'à peine élu, François Hollande a réussi sa négociation européenne. Pour la première fois depuis trois ans, l'été européen s'est déroulé sans crise paroxysmique. Contrairement aux expériences passées, lorsque la gauche prétend gouverner, il n'y a pas eu de tensions sur les taux d'intérêt français. A quoi cela aurait-il rimé de dramatiser ? De comparer la France à l'Espagne ou à l'Italie ? M. Hollande avait été élu pour rendre la confiance, pas pour démolir le moral des Français. " Le 14-Juillet n'était pas le jour pour un grand discours, balaie-t-il aujourd'hui. Il fallait parler de compétitivité et surtout du plan social chez PSA. La demande des Français était d'abord : que pouvez-vous faire pour l'empêcher ? "

A Matignon, cependant l'ampleur des déficits donne le vertige. Lorsque Jean-Marc Ayrault a réuni à la mi-juin sept ou huit conseillers pour commencer à élaborer son discours de politique générale et que ces derniers lui ont demandé : " Par quoi veux-tu commencer ? " Il a répondu : " La vérité. " Au fond de lui-même, le premier ministre sait combien la France s'est affaiblie. Il se serait bien vu en Churchill, mais il a fini par trouver que " le sang et les larmes ", cela faisait un peu grandiloquent. Il s'est autocensuré.

D'emblée, le nouveau duo exécutif paraît un peu trop " ton sur ton ". François Hollande soutient le choix de son premier ministre avec des arguments purement politiques qui paraîtraient presque étriqués : " Je sais qu'il est loyal et qu'il n'a pas d'ambition pour la suite. " Jean-Marc le loyal est dans la roue du président. Et tant pis si les prévisions de croissance s'assombrissent au point de faire craindre la récession.

Fin juillet, le secrétaire général adjoint de l'Elysée, Emmanuel Macron, déjeune avec l'ancien premier ministre Michel Rocard et la patronne du Medef, Laurence Parisot. Cette dernière avait déjà pris à part le premier ministre lors d'une des premières réunions préparatoires de la conférence sociale : " La situation se dégrade et ça s'accélère. " Elle en est certaine, le premier ministre ne lui a alors répondu qu'un " oui, oui ", distrait. Là, elle fait face au jeune conseiller du président, épaulée par un ancien premier ministre, Michel Rocard, le chantre du parler-vrai et de cette deuxième gauche qui a nourri François Hollande, malgré ses revendications sur l'héritage mitterrandien. " La situation est très grave, l'axe de croissance économique a basculé chez les pays émergents et nous ne faisons pas les réformes structurelles qui s'imposent ", s'alarme Rocard.

Au même moment, lors d'un déjeuner avec la presse régionale, M. Hollande semble très au fait de la gravité de la crise. Mais il considère que " les Français ne l'ont pas encore perçue ". Quelques semaines auparavant, lors du premier séminaire budgétaire, plusieurs ministres étaient manifestement dans le même cas. " Dès le mois d'avril, lors d'un meeting à Chelles - Seine- et Marne - , raconte la ministre du commerce extérieur, Nicole Bricq, j'avais dit à Hollande : il y a un a priori favorable pour toi en Europe, mais attention on peut avoir des attaques sur les marchés. Il faut du sérieux budgétaire. Il le savait. Seulement la vérité n'était peut-être pas parvenue aux futurs membres du gouvernement. Le jour du séminaire budgétaire, plusieurs d'entre eux ont été sincèrement secoués lorsqu'ils ont compris combien les dépenses allaient devoir être serrées. "

En août, François Hollande est parti à Brégançon. Il a emmené des dossiers et La France malade de son temps (Grasset), le livre de Guillaume Poitrinal, le PDG d'Unibail Rodamco, un puissant groupe immobilier. Le grand patron du CAC 40 y assure que la France décroche parce qu'elle est trop lente. Il plaide notamment pour la suppression des 35 heures. Sur les photos des magazines, le président en vacances paraît aussi paisible que Georges Pompidou à Saint-Tropez au temps béni de la croissance économique. Erreur de communication d'autant plus funeste qu'elle ne reflète pas la réalité.

En fait, François Hollande appelle ses ministres et bombarde ses conseillers de SMS. Hors les murs de l'Elysée, il a senti grandir l'inquiétude des Français. Le 11 août, Pierre Moscovici qui a loué une maison en Corse avec sa meilleure amie, Safia Okotoré, qui dirige aussi sa communication à Bercy, reçoit un appel. " Il faut bloquer le prix de l'essence ! ", réclame le président qui se rappelle ce que la mauvaise réactivité du gouvernement Jospin sur ce sujet, en 2000, avait coûté à la gauche. Le président propose à son ministre de l'économie de venir jusqu'à Brégançon. Moscovici n'a jamais aimé que l'on empiète sur sa liberté. Il n'ira pas dans le Var. Mais il prépare, en concertation avec les pétroliers, un mécanisme pour faire baisser les prix dès la rentrée. Impatient, le président aurait voulu agir plus fort dès le 15 août.

L'urgence et la dramatisation ont remplacé le ton mesuré des premières semaines. " Nous sommes face à une crise d'une gravité exceptionnelle ", reconnaît le président le 31 août. Neuf jours plus tard, sur TF1, son intervention est carrée, mais axée sur la préparation du projet de budget pour 2013 et très technocratique. " Le verbe hollandais est trop abondant et la parole présidentielle trop faible ", juge un communiquant.

L'annonce d'une rafale de hausses d'impôts achève d'angoisser les Français, tandis que la révolte des " pigeons " met en lumière le fossé qui s'est creusé avec les entrepreneurs. La croissance, surtout, s'est arrêtée. Lors de la réunion d'octobre du Medef, un tour de table des dirigeants des différentes branches est organisé. Les chefs d'entreprise constatent que " la situation pour septembre est plate comme un mois d'août ".

Il faut pourtant avoir un fond véritable d'optimisme pour s'être imaginé conquérir le pouvoir. Et la crise n'a pas entamé l'esprit positif de François Hollande. " Il faut sortir vite de la crise européenne. Je pense qu'il est possible de voir une reprise au deuxième semestre 2013 et le début de l'inversion de la courbe du chômage ", commente-t-il.

Le président a même cette phrase : " Nous en sommes à la troisième année de crise. La reprise va arriver, c'est une question de cycle. " Avant de se reprendre : " Il peut aussi y avoir un scénario noir, celui de la récession. Le rôle du chef de l'Etat c'est de préparer toutes les hypothèses. "

Raphaëlle Bacqué et Françoise Fressoz