Histoire du quinquennat

Hollande, un "président normal" dans une situation anormale
LE MONDE du 18.06.2012
Par Françoise Fressoz

On comprend mieux a posteriori pourquoi François Hollande s'est accroché jusqu'au bout de sa campagne présidentielle, et même au-delà, à son slogan de "président normal". Car ce qui lui arrive et ce qui arrive au Parti socialiste est tout simplement anormal.

L'Elysée, Matignon, le Sénat, la quasi-totalité des régions, une grande partie des départements et maintenant la majorité absolue à l'Assemblée nationale : le président de la République et le parti dont il est issu ont tous les pouvoirs, si l'on excepte la capacité de modifier la Constitution puisque la majorité des trois cinquièmes requise dans les deux Assemblées réunies n'a pas été atteinte.

Mais pour le reste, quelle puissance aux mains d'un seul homme et d'un seul parti ! Du jamais-vu sous la Ve République, même lors de la puissante vague rose de 1981. Cette concentration historique des pouvoirs résulte de deux phénomènes distincts. Le premier, politique, est la perte de substance territoriale de la droite, qui a échoué à toutes les élections locales sous le précédent quinquennat. Le second, institutionnel, est l'affirmation du fait présidentiel et de la logique anticohabitation du quinquennat.

MATCH PRÉSIDENTIEL

Depuis que le mandat présidentiel est passé de sept à cinq ans, les Français ont tendance à transformer les législatives en une validation de l'élection présidentielle qui les a précédées. En 2007, Nicolas Sarkozy avait obtenu 53,06 % des suffrages exprimés à la présidentielle et avait, dans la foulée, fait élire 314 députés UMP.

Cinq ans plus tard, François Hollande a obtenu 51,6 % des suffrages exprimés et fait élire 300 députés socialistes. La logique est implacable. Cette évolution institutionnelle, votée en l'an 2000, n'était pas de nature à rebuter la droite, notamment son aile bonapartiste, prompte à croire que l'Histoire s'écrit avec des hommes providentiels et des coups de menton.

Elle pose, en revanche, à la gauche, d'infinis difficultés et cas de conscience. Car le PS est de tradition parlementaire. Il ne s'est converti à la logique présidentielle que très lentement et jamais totalement. A preuve, le soin mis par Lionel Jospin, lorsqu'il était premier ministre, entre 1997 et 2002, à cultiver jusqu'à l'épuisement le concept de gauche plurielle, et sa difficulté à entrer dans le match présidentiel en 2002.

PAYS ÉLECTRISÉ

François Hollande, lui, assume beaucoup plus facilement l'évolution de la Ve République et la puissance présidentielle. Question d'efficacité politique et de clarté des choix : dans le contexte de crise européenne et de crise tout court, mieux vaut avoir les mains libres pour décider que de s'épuiser en vaines tractations. Mais, en même temps, il a examiné à la loupe tous les travers du précédent quinquennat.

C'est même en les exploitant qu'il a réussi à se faire élire : il a dénoncé l'"hyper-président" butant sur sa propre impuissance ; il a opposé le début de mandat flamboyant de Nicolas Sarkozy à sa fin difficile , dans un pays électrisé. Il ne veut surtout pas finir comme son prédécesseur.

François Hollande a impérativement besoin de la durée pour réussir. C'est pourquoi il surjoue le "président normal". C'est pourquoi aussi, depuis dimanche soir 17 juin, le premier ministre, Jean-Marc Ayrault, et la première secrétaire du Parti socialiste, Martine Aubry, multiplient les promesses d'écoute, tendent la main aux alliés, rassurent l'opposition. Non à l'hégémonie ! Le PS ne fera pas seul la loi.

ABSENTION RECORD

Une réforme est dans l'air, visant à assurer une meilleure représentation des petits partis au Parlement. A voir, car, dans la pratique, il n'est pas simple de renoncer à la toute-puissance, de faire comme si on avait besoin des autres, alors qu'on peut décider seul. François Bayrou est bien placé pour le savoir. La mise en mouvement de la société tout entière sera l'épreuve de vérité de ce quinquennat.

François Hollande a intérêt à la réussir, car les pleins pouvoirs dont il dispose pourraient n'être qu'un leurre, à cause du niveau record de l'abstention, de ces 44 % d'électeurs qui n'ont pas cru bon de se déplacer, dimanche, sans doute pour de multiples raisons, mais dont une en particulier est un vrai signal d'alarme : ils ne croient plus en la politique, ils ne croient plus que la politique peut changer leur vie.

C'est pourquoi toute cette séquence électorale, qui va de la présidentielle aux législatives, ressemble aussi peu à 1981. François Hollande n'a pas droit à l'erreur.