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Entre politique et fait divers, entre campagne de presse, rumeurs,calomnie et manigances

 

Ce 16 mars 1914, Mme Caillaux assassine Gaston Calmette directeur du Figaro. L'événement fera évidemment la Une des journaux et constitue un événement politique de premier ordre ne serait ce que parce qu'il entraîne immédiatement la démission de Caillaux du ministère des Finances au moment même du débat sur l'instauration de l'impôt sur le revenu. Immédiatement arrêtée, elle sera inculpée de meurtre avec préméditation mais lors de son procès, qui se tiendra dès la fin juillet - en pleine crise des Balkans et quelques jours seulement avant la déclaration de guerre - elle sera acquittée.

Évidemment, la cible n'est autre que Joseph Caillaux et sans aucun doute la campagne de presse entamée dans le Figaro et dont Calmette est à la fois l'instigateur et le responsable vise à décrédibiliser celui qui porte le projet de l'impôt sur le revenu qui fait tant peur à la droite. L'homme, pas toujours très affable et assez vite méprisant à l'endroit de ses collègues parlementaires, n'est pas très sympathique et pour tout dire haï sur presque tous les bans de l'Assemblée. La suite de ses déboires - son inculpation devant la Haute Cours en 17 le montrera aisément. Néanmoins, pour les projets qu'il porte, il est soutenu sans faille par la gauche.

Il y a dans cet épisode qui semble relever plus du mondain que du politique quelque chose qui en fait un événement révélateur de l'époque

La violence du débat politique

Elle est réelle et ne se repère pas seulement dans les différents duels qui se produisent ici ou là et qui font florès en ces années-là à l'occasion des différentes affaires ou scandale (Panama ; Boulanger ; Dreyfus etc) ou dans la violence parfois étonnante des débats parlementaires comme ce fut le cas en janvier 98 en pleine affaire Dreyfus. (1) : la presse s'en mêle avec délectation envenimant d'autant plus aisément les débats que certains journaux sont partie prenante. Tous les moyens sont bons - et pas toujours politiques - pour se débarrasser d'un ennemi et l'atteinte à l'honneur, le soupçon de corruption font aisément partie de cette panoplie : Clemenceau par exemple accusé d'être un chéquard durant l'Affaire du Panama et qui vit à cette occasion sa carrière connaître un temps d'arrêt ; mais aussi Jaurès dont on pointera avec délectation l'inscription de sa fille dans une école religieuse ce qui faisait tache pour un partisan de la Séparation.

Dans le cas de Caillaux, ce fut la publication de lettres privées qui provoqua le drame : outre les accusations habituelles d'escroqueries inavouables pour financer ses campagnes électorales, une lettre écrite à sa femme avant leur mariage où il se féliciterait d'avoir fait capoter l'impôt sur le revenu tout en ayant l'air de le défendre. Atteinte directe à son honneur par remise en question de sa sincérité, on touchait ici à l'intime. Le coup fut fatal.

Inutile de dire que la presse en fit des tonnes qui tenait là un sujet parfait pour gonfler les ventes ... Âge d'or de la presse avons-nous écrit, âge aussi de sa plus ample influence : la presse est plus aisément à l'époque une presse d'opinion que d'information, tenue par des partis ou par des leaders d'opinion plus que par des chevaliers d'industrie (Rochefort, Maurras). Moins observatrice de la vie politique qu'acteur de plain pied, elle est donc aussi celle qui, à l'occasion, provoque l'événement.

Ce n'est certainement pas un hasard si la campagne initiée par Calmette le fut à l'instigation de Barthou et de Poincaré et sans doute aussi de Briand, double signe à la fois de l'inquiétude que l'impôt sur le revenu suscitait dans les rangs de la bourgeoisie mais aussi du rôle trouble que certains politiques faisaient jouer à la presse où d'ailleurs celle-ci se complaisait aisément. C'est encore souligner que Poincaré abandonnant Matignon pour l'Elysée en 1913 n'avait pas pour autant renoncé à une influence politique directe en dépit de la tradition républicaine depuis Grévy qui exigeait que le président de la République n'exerçât qu'une magistrature morale - ce que son rôle indéniable dans le déclenchement de la guerre en Août illustrera dramatiquement.

Le débat, pour démocratique qu'il fût, ne répugnait manifestement pas à descendre dans les caniveaux quand cela semblait nécessaire !

L'image de la femme en 14

Absente, et pour cause, de la vie politique, la femme n'y apparaît que de manière subreptice sous la forme des amours mondaines auxquelles les politiques ne résistent pas toujours. On remarquera néanmoins deux choses :

- la défense que Labori lit en place est un condensé des stéréotypes de l'époque : Mme Caillaux aurait tué, non par préméditation, mais par passion, celle nourrie à l'endroit de son époux et de son honneur. Elle n'aurait été, finalement, qu'une actrice par défaut !

- la femme entre ici en politique par effraction : elle bouleverse la donne en imitant l'homme - après tout ce coup de pistolet n'est que la face féminine du duel masculin - mais sort aussitôt du champ pour retrouver l'espace intime de la vie privée. On la retrouvera plus tard, dans les années trente, historienne d'art en présentant une thèse sur la vie et l'œuvre de Jules Dalou. Elle ne saurait être, pour ses détracteurs, que la main armée d'un Caillaux trop lâche pour agir de lui-même ; pour ses défenseurs que la victime de ses propres passions.

Curieuse époque vraiment qui pour le coup nous semble terriblement lointaine d'une humanité amputée résolument de sa moitié - et pas seulement en politique.

 


1) Le Petit Journal relate ainsi l'épisode de la séance de la Chambre des députés du 22 janvier 1898 au cours de laquelle Jaurès est frappé à la tribune de la Chambre des députés :
« C'est encore la désolante affaire Dreyfus qui a provoqué le scandale.
M. Jaurès, malgré la déclaration si catégorique et concluante du gouvernement, ayant repris l'interpellation sagement abandonnée par M. Cavaignac, fut violemment apostrophé par M. de Bernis.
M. Gérault-Richard se précipita sur l'interrupteur et le frappa. Ce fut le signal de la mêlée. M. de Bernis, échappant à ses collègues qui le retenaient, s'élance à la tribune et frappe à son tour M. Jaurès.
Le président se couvre, lève la séance, et pendant ce temps on continue dans l'hémicycle à échanger des coups jusqu'au moment où les questeurs se décident à faire intervenir la troupe.
Voilà l'exemple que les élus, qui devraient être les sages de la nation, ont donné. Allez donc après cela reprocher aux étudiants, - des enfants, - de faire du tapage dans la rue ! »