index précédent suivant

 

 

Factieux …

Quand Macron, la veille de la journée de mobilisation dont tout laissait présager qu'elle serait une réussite, le Président ne fit pas que jeter de l'huile sur le feu, il s'en alla chercher terme, historiquement daté, lié aux ennemis de la République (fin XIXe les boulangistes puis les anti-dreyfusards ; dans l'entre-deux-guerres les ligues d'anciens combattants, Camelots du Roi etc …

Que la IIIe ne parvînt à s'installer qu'à coups de crises répétées ne fait aucun doute. Comment oublier que la chambre de 1870 qui finit - en 1875 ! - par voter la République- à une voix près - n'était pas républicaine loin s'en fallut mais seulement divisée entre légitimistes, orléanistes, bonapartistes qui s'ils avaient su s'allier, n'eussent fait qu'une bouchée des espérances républicaines. Il faut être sot comme un technocrate pour imaginer jamais que le politique fût dénué à ce point d'histoire, de mémoire, et délesté de tous les antagonismes passés pour s'avancer en ne regardant que l'avenir dessiné par des algorithmes savamment camouflés d'évidences fallacieuses.

Les mots ont un sens ; leur usage également.

En plus des factions et factieux, opposer ainsi la foule au peuple en déniant à celle-ci toute légitimité face à un peuple qui en serait seul détenteur parce que s'exprimant à travers ses élus, Macron ressuscite la vieille hantise bourgeoise d'un peuple vulgaire, bestial presque quand il se présente comme masse, capable de tout et même du pire - psychologie de masse du fascisme disait Reich - bref sauvage. Peuple pourtant dont la bourgeoisie est issue et qui est la seule source de la souveraineté.

Le politique fonctionne à l'instar de n'importe quel système : il a besoin d'un axiome ou si l'on préfère, d'un principe. La solution la plus simple, parce qu'elle n'ouvre aucune alternative c'est bien entendu Dieu. Face à lui, seul peut prévaloir la soumission sous peine de foudroiement. La place du divin ou de celui qui parle en son nom parce que sacré par lui est imprenable : la monarchie absolue n'a pas fonctionné autrement. En revanche, redescendre le principe dans le réel - et c'est bien de ceci dont il s'agit avec la démocratie - c'est se confronter à une réalité - le peuple - qui ne coïncide pas nécessairement ou toujours avec les nobles idéaux qu'on lui prête. Le peuple demeure introuvable ! Et doit sans doute le demeurer. Aucun système ne peut démontrer l'axiome qui l'a rendu possible. Autre manière de dire que l'on ne peut être à la fois dedans et dehors. Aucune histoire ne peut débuter en présence du principe : Moïse n'entrera jamais en Terre Promise ; Rome n'entrera dans l'histoire qu'après l'épisode du marais de la chèvre : l'apothéose de Romulus - ou le dépeçage de son corps par les sénateurs, qu'importe ! - et quand le peuple en Septembre engloutit les rues de sa colère et de sa violence, Danton n'entendit pas autrement son rôle que de devoir s'interposer : j'entends encore le Soyons terribles pour dispenser le peuple de l'être de son discours, quelques mois plus tard, pour justifier le rôle des tribunaux révolutionnaires.

Toute notre histoire tient dans l'institution d'une démocratie représentative - que Rousseau réprouvait - parce qu'elle s'inscrit nécessairement dans le choix d'un juste représentant. Or, on le sait, l'intermédiaire qui est supposé traduire, manque rarement de trahir, à un moment ou à un autre : de s'interposer. D'apparaître comme une volonté particulière face à la volonté générale.

Je ne connais pas de cas - est-ce ici que réside la perversité pathogène du pouvoir ? - où le Prince ne finisse pas se concevoir plus légitime, mieux à même de saisir les problèmes et les résoudre que le peuple ! Et dès lors de s'interposer. Sans doute est-ce pour cela que la IIIe après l'exemple malheureux de Louis-Napoléon Bonaparte mais encore, à un autre niveau, de Mac-Mahon, préféra toujours des acteurs ordinaires, parfois même falots, plutôt que des héros, fatalement dangereux. Ni César ni tribun … Ce que Mauriac avait parfaitement compris …

Au moins, en fidèle application des préceptes rousseauistes, la déclaration de 93 prévit-elle non seulement un droit mais un devoir de révolte au cas où la loi cesserait de défendre l'intérêt général !

En réalité, Macron ne fait que reposer, sans l'avouer ni surtout se l'avouer, la question de la légitimité et de la légalité, nuance classique en droit constitutionnel, au moins autant qu'en philosophie politique mais qu'il est ironique de poser ainsi sachant qu'un de Gaulle partant à Londres en 40, dérogeait deux fois à la légalité - en tant que militaire et ancien ministre - s'il affirmait haut et fort la légitimité de la Résistance qu'il s'apprêtait à conduire. Et qu'on lui en fit gloire plutôt qu'on ne lui en tint rigueur.

Il est de bonne guerre de systématiquement accuser l'autre de diviser ; le reproche est d'autant plus lourd dans un régime d'inspiration gaulliste où le rassemblement est un impératif moral autant que politique. Comparer comme Macron le fait la situation à l'assaut du Capitole ou aux incidents graves lors de la transition entre Bolsorano et Lula, n'est pas seulement de la mauvaise foi, c'est un acte politique, désormais largement éventé, par quoi l'on assimile tout ce qui n'est pas de son bord non pas seulement à de l'extrémisme mais à de l'anti-républicanisme.

Macron ne doit, et ceci par deux fois, sa place qu'à avoir réussi à se placer comme ultime rempart contre Le Pen, et de jouer de cet épouvantail chaque fois que nécessaire ! De là à jouer de ce si confus populisme qui permet de mettre dans la même ornière et Les Insoumis et le RN …

Ce n'est pas le subterfuge qui me dérange ici : après tout, en politique sans stratégie, coup bas, mauvaise fois et ingratitude, y eut-il jamais et se peut-il y avoir pouvoir parvenant à ses fins et assuré de se survivre ? Mais l'incroyable aveuglement : celui qui vous fait confondre valeur et fonction et vous laisse imaginer que d'avoir été mis au-devant - bien plus qu'au-dessus d'ailleurs - vous confère omniscience autant qu'omnipotence.

Malraux avait deviné que le pouvoir a toujours partie liée avec les dieux mais a-t-il véritablement saisi combien d'abord il relève sinon du blasphème au moins de la malédiction ?

Saint Just - l'archange de la mort - dans un discours célèbre affirma : on ne peut régner innocemment ! Formule que d'ailleurs il mit en exergue de son projet de Constitution. Les circonstances - il s'agissait de condamner Louis XVI - lui firent prononcer régner ; on peut sans embarras généraliser : on ne gouverne jamais innocemment !

Il y a toujours quelque chose de miraculeux de voir se croiser le sens profond de l'histoire avec les projets, ambitions, doutes et volontés d'un homme. Rares sont les moments où, à l'instar de Hegel, l'on peut observer l'esprit du monde défiler à cheval sous ses yeux. Ruse de l'histoire ou de la raison ? ou miracle étrange ourdi par les cieux ?

De n'avoir pas compris cela, d'avoir oublié que si haut que l'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (Montaigne) illustre jusqu'au dépit à quelle cuistrerie on a ici affaire.

Tant pis pour lui !

Pour nous surtout !

 

 

 

 

 

 

 


 

ILS n'étaient pas si nombreux, du temps de la Troisième. A peine les entendions-nous venir. Ils appartenaient à l'espèce rassurante des présidents du Sénat, des ministres des Travaux Publics , de la Marine ou du Commerce : l'espèce des serviteurs modestes qui ne se signalent pas par des gestes illustres, mais non plus par des désastres. Comme la tortue, ils s'étaient mis en route très tôt, d'un train si lent qu'on ne les voyait pas avancer, jusqu'au jour où leur effacement même les désignait tout à coup : ils étaient arrivés. « Je vote pour le plus bête», la boutade fameuse de Clemenceau n'est cruelle qu'en apparence. Elle signifiait : « Je vote pour le plus inoffensif. »
Mauriac Bloc-Notes Novembre 53


Article 35. - Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs.

"J’ai vu l’Empereur cette âme du monde-sortir de la ville pour aller en reconnaissance; c’est effectivement une sensation merveilleuse de voir un pareil individu qui, concentré ici sur un point, assis sur un cheval, s’étend sur le monde et le domine… tous ces progrès n’ont été possibles que grâce à cet homme extraordinaire, qu’il est impossible de ne pas admirer." Hegel, lettre adressée à Niethammer,