DANTON, SUR L'INSTITUTION D'UN TRIBUNAL RÉVOLUTIONNAIRE
(10 mars 1793)

 

 

Je somme tous les bons citoyens de ne pas quitter leurs postes. (Tous les membres se remettent en place, un calme profond règne dans toutel'Assemblée) Quoi, citoyens au moment où notre position est telle, que si Maranda était battu, et cela n'est pas impossible, Dumouriez enveloppé serait obligé de mettre bas les armes, vous pourriez vousséparer sans prendre les grandes mesures qu'exige le salut de la chose publique ? Je sens à quel point il est important de prendre des mesures judiciaires qui punissent les contre-révolutionnaires ; car c'est pour eux que ce tribunal est nécessaire ; c'est pour eux que ce tribunal doit suppléer au tribunal su­prême de la vengeance du peuple. Les ennemis de la liberté lèvent un front audacieux ; partout con­fondus·, ils sont partout provocateurs. En voyant le citoyen honnête occupé dans ses foyers, l'artisan occupé dans ses ateliers, ils ont la stupidité de se croire en majorité : ·eh bien, arrachez-les vous­ mêmes à la vengeance populaire, l'humanité vous l'ordonne.

Rien n'est plus difficile que de définir un crime politique ; mais si un homme du peuple, pour un crime particulier, en reçoit à l'instant le châtiment s'il est si difficile d'atteindre un crime politique, n'est-il pas nécessaire que des lois extraordinaires, prises hors du corps social, épouvantent les rebelles et atteignent les coupables ? Ici le salut du peuple exige de grands moyens et des mesures terribles. Je ne vois pas de milieu entre les formes ordinaires et un tribunal révolutioïmaire. L'histoire atteste cette Térité et puisqu'on a osé, dans cette Assemblée, rappeler ces journées sanglantes sur lesquelles tout bon citoyen a gémi, je dirai, moi, que si un tribunal eût alors existé, le peuple auquel on a si souvent, si cruellement reproché ces journées, ne les aurait pas ensanglantées ; je dirai, et j'aurai l'assentiment de tous ceux qui ont été les témoins de ces terribles événements, que nulle puissance humaine n'était dans le cas d'arrêter le débordement de la vengeance nationale. Profitons des fautes de nos prédécesseurs.

Faisons ce que n'a pas fait l'Assemblée législative ; soyons terribles pour dispenser le peuple de l'être ; organisons un tribunal, non pas bien, cela est impossible, mais le moins mal qu'il se pourra, afin que le glaive de la loi pèse sur la tête de tous ses ennemis.

 

 

SUR LES DEVOIRS DE CHACUN ENVERS LA PATRIE EN DANGER
(le même jour)

 

Faites donc partir vos commissaires soutenez les par votre énergie ; qu'ils partent ce soir, cette nuit même; qu'ils disent à la classe opulente il faut que l'aristocratie de l'Europe, succombant sous nos efforts, paye notre dette, ou que vous la payiez ; le peuple n'a que du sang; il le prodigue. Allons, misérables, prodiguez vos richesses. Voyez, citoyens, les belles destinées qui vous attendent. Quoi! vous avez une nation entière pour levier, la raison pour point d'appui, et vous n'avez pas encore bouleversé le monde. Il faut pour cela du caractère, et la vérité est qu'on en a manqué. Je mets de côté toutes les passions, elles me sont toutes parfaitement étrangères, excepté celle du bien public. Dans des circonstances plus difficiles, quand l'ennemi était aux portes de Paris, j'ai dit à ceux qui gouvernaient alors : Vos discussions sont misérables, je ne connais que l'ennemi.

Vous qui me fatiguez de vos contestations particulières, au lieu de vous occuper du salut de la République, je vous répudie tous comme traîtres à la patrie. Je vous mets tous sur la même ligne. Je leur disais : Eh que m'importe ma réputation 1 que la France soit libre et que mon nom soit flétri Que m'importe d'être appelé buveur de sang Eh bien, buvons le sang des ennemis de l'humanité, s'il le faut; combattons,conquérons la liberté.

On parait craindre que le départ des commissaires affaiblisse l'un ou l'autre parti de la Convention. Vaines terreurs ! Portez votre énergie partout. Le plus beau ministère est d'annoncer au peuple que la dette terrible qui pèse sur lui sera desséchée aux dépens de ses ennemis, ou que le riche la paiera avant peu. La situation nationale est cruelle ; le signe représentatif n'est plus en équilibre dans la circulation ; la journée de l'ouvrier est au-dessous du nécessaire; il faut un grand moyen correctif. Conquérons la Hollande ranimons en Angleterre le parti républicain faisons marcher la France, et nous irons glorieux à la postérité. Remplissez ces grandes destinées point de débats point de querelles, et la patrie est sauvée.